« Les Palestiniens n’ont d’autre choix que d’être révolutionnaires »

30 janvier 2025 - Des combattants de la résistance armée palestinienne remettent la prisonnière israélienne Arbel Yehud à Khan Yunis, dans le sud de Gaza, devant les restes de la maison détruite de l'ancien dirigeant du Hamas Yahya Sinwar, assassiné l'année dernière. Une foule nombreuse se rassemble pour saluer les forces de la résistance et assister à la cérémonie de remise, au cours de laquelle huit prisonniers, trois Israéliens et cinq Thaïlandais, ont été libérés en échange de 110 prisonniers palestiniens, dont 30 enfants, dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu. Environ 14 000 prisonniers palestiniens sont détenus dans les geôles israéliennes, soumis aux mauvias traitements dont la torture et la négligence médicale. Un tiers d'entre eux sont en détention administrative, c'est-à-dire détenus sans aucune accusation - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills

Par Marie Schwab

« Les Palestiniens ont montré que la violence des armes ne suffit pas à atteindre des objectifs politiques. Nous avons affaire à un nouveau type de résistance – je ne parle pas des armes et des balles, mais de la volonté du peuple », expose le journaliste palestinien Ramzy Baroud.

« Les Palestiniens sont toujours à Gaza, et ils luttent toujours. (…) Ce qui les unit, c’est la résistance, la ténacité résiliente : le soulèvement contre le projet colonial et l’apartheid israéliens est quelque chose que nous avons tous en commun, à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, dans la diaspora. Les foules palestiniennes célèbrent la libération des prisonniers, malgré le prix terrifiant payé pour cette libération, malgré la destruction de 92 % de la Bande de Gaza. Voilà l’unité. Israël fait tout pour briser cette unité, pour dresser les gens de Gaza les uns contre les autres, pour faire monter la pression contre tel ou tel parti. (…) Si nous pensons ‘maintenant le génocide est fini, nous pouvons peut-être coexister avec l’occupation militaire, l’apartheid, le racisme, les murs, les colonies, peut-être qu’il y aura un petit apaisement, peut-être qu’il y aura un peu moins de morts’, alors tout va recommencer. C’est le moment de continuer. »

« Nous savons qu’Israël va manipuler l’aide entrant à Gaza », dit encore Ramzy Baroud. « Nous savons qu’Israël va utiliser la reconstruction, la nourriture, les biens médicaux pour exercer des pressions. Mais pour la résistance, déposer les armes en échange de ciment ne fait aucun sens. Si la résistance se rend, Israël va prendre Gaza de Beit Hanoun à Rafah et de Al-Bureij à Nusseirat en l’espace de 6 heures. »

Les Palestiniens de Gaza sont retournés aux 60 millions de tonnes de débris qui étaient autrefois leurs maisons. Ils essaient de reconnaître leur quartier dans l’immense charnier que sont devenues leurs villes, où sont enfouis les corps de dizaines de milliers de personnes sous des mètres de gravats.

Des existences uniques et précieuses pulvérisées en un instant ou effacées dans une longue agonie entre deux blocs de béton – la mère entendant impuissante les plaintes de ses enfants peu à peu faiblir, si proches, abandonnés à la mort dans leur linceul de poussières de pierres, sans un dernier câlin, avant de s’évanouir elle-même.

Gaza aurait dû faire la une de tous les médias tous les jours.

Ne laissons pas ceux qui ont soutenu le génocide se refaire une respectabilité en posant en faiseurs de paix.
Ne laissons pas les pourvoyeurs de fonds transformer Gaza en Singapour du Proche Orient pour occulter la Soweto de la Méditerranée.

L’espérance de vie a été divisée par deux à Gaza en un an. [1]

Mais nos médias réduisent deux ans de génocide à une opération pour libérer les otages – israéliens bien entendu – et continuent de donner la parole à ceux qui torturent les médecins et les secouristes, ceux qui ont ciblé les enfants cherchant de l’eau, qui ont exterminé des familles entières.

La seule image d’un enfant malmené par des soldats armés en Cisjordanie devrait suffire à révéler la nature du projet sioniste. Nul besoin d’être expert. Nul besoin de l’extermination d’un peuple.

En 1965, le juriste palestinien Sayed Sayegh écrivait : « Tandis que la plupart des régimes coloniaux européens cherchent à dominer, le régime colonial sioniste cherche à éliminer. »

L’occupant affame les survivants du génocide. L’occupant continue de refuser l’accès à l’eau et aux soins à une population composée pour moitié d’enfants.
Chacun sait qu’un camion chargé de lait maternisé ne représente pas de menace pour Israël. Chacun sait que rien ne justifie d’empêcher les blessés et les malades d’aller recevoir des soins vitaux à l’étranger. Chacun sait que le blocus est illégal.

L’UE sait qu’il est grotesque de suspendre la révision de l’accord d’association au motif que cela pourrait mettre en péril le « processus de paix ». [2] Ils savent combien ils sont complices. Et font le choix de continuer à traiter la question comme si les Territoires occupés étaient des territoires souverains israéliens occupés par les Palestiniens.

Depuis 70 ans, un terme s’impose pour désigner la Bande de Gaza : un camp de concentration. [3]

En 2005, deux ans avant ce qui est considéré comme le début du blocus, Sara Roy, économiste à Harvard, écrivait : « Selon la Banque mondiale, les Palestiniens [de Gaza] subissent actuellement la pire dépression économique de l’histoire récente, causée principalement par les restrictions israéliennes persistantes ayant dramatiquement entravé le commerce à Gaza et privé les travailleurs de leur emploi en Israël. 65 à 75 % des Palestiniens de Gaza vivent dans la pauvreté, et nombreux sont ceux qui souffrent de la faim. »

A partir de 2007, l’occupant ne cache pas qu’il impose à la population de Gaza un « régime de famine améliorée » (« starvation plus diet ») ou « minimum humanitaire », calculant la quantité de calories autorisées à entrer de manière à maintenir un niveau de malnutrition n’entraînant pas la mort. Un accès à l’alimentation comparable à celui de Haïti ou la République Démocratique du Congo, selon le Rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations Unies Michael Fakhri.

Comment vit-on dans un camp de concentration ? Quels sont les sentiments d’un enfant qui ne connaît de l’occupant que ses bombes et ses tanks ? Quels genre de liens noue-t-on lorsque le rapport à l’autre se résume à un rapport d’oppression ? Comment sort-on de ce camp de concentration ? Un bouquet à la main ? Comment y envisage-t-on l’avenir ? Quels moyens s’offrent-ils pour se libérer du joug de la violence de l’occupant à ceux qui refusent une vie d’oppression ?

Vivre à Gaza, c’est vivre entouré d’une clôture d’acier de six mètres, bardée de miradors, de caméras et d’un système d’armes à distance. Une des frontières les plus militarisées du monde.

C’est savoir que tout ce qui entre et sort est soumis à l’arbitraire d’Israël. C’est assister à l’agonie d’un parent à qui l’occupant refuse d’aller recevoir des soins à quelques dizaines de kilomètres de là, dans une des villes dont les Palestiniens ont été expulsés en 1948. C’est ne pas pouvoir sortir alors qu’on a obtenu un visa et une bourse d’études à l’étranger. C’est se coucher le soir sans savoir si on se réveillera le lendemain car l’occupant bombarde en toute impunité qui bon lui semble quand bon lui semble, et mène un assaut meurtrier majeur tous les deux ans.

A Gaza, on détermine son âge au nombre de guerres auxquelles on a survécu.

« Depuis 100 ans nous luttons pour notre libération, nous avons tout essayé. La paix sans justice, c’est juste la poursuite de l’apartheid, de la colonisation et de l’injustice. Les peuples souffrant d’injustice se soulèvent contre l’injustice», pose Ubai Al-Aboudi, chercheur palestinien.

Les Palestiniens n’ont pas choisi une vie d’occupation et d’oppression, mais puisque tel est leur sort, ils n’ont d’autre choix que de résister.

Survivre en Palestine, c’est résister. Mettre des enfants au monde, c’est résister. Rire, créer en dépit de tout, chanter et dessiner avec les enfants, c’est résister. Sortir des centres de torture israéliens et fêter avec les siens, c’est résister. Lire Ghassan Kanafani, faire vivre la poésie de Mahmoud Darwish, danser le debke en hommage aux collègues secouristes assassinés, c’est résister. Soigner sans moyen, sans sommeil, sans prendre le temps de pleurer ses proches, c’est résister.

Soumoud, la ténacité résiliente, est résistance. Ce n’est pas oublier ni renoncer, c’est se souvenir et lutter encore, malgré tout. C’est ne pas céder un pouce de ce qui vous appartient, en tant que peuple, mais aussi en tant qu’individu, à l’occupant.

Soumoud et résistance tout entiers sont incarnés dans cette vieille femme qui retourne seule à Gaza-Ville et pleure de joie. Parce qu’elle a perdu ses quatre fils et va enfin pouvoir planter un olivier pour chacun d’eux.

« Nous n’avons plus rien – ni écoles, ni hôpitaux, ni maisons, ni familles, ni amis. Israël a tout détruit. (…) Cette guerre nous a brisés. Elle a blessé notre âme. Nous aurons besoin de décennies pour guérir, et plus encore pour reconstruire nos maisons. Mais nous le ferons», affirme Mahmoud, 51 ans, à Deir el Balah.

Réduire la résistance à une faction, sans jamais inviter ni citer ses membres, sans jamais leur donner de visage ni de voix, d’histoire ni de raison, voilà précisément ce qui a servi de justification au génocide.

Les équations simplifiées contenant « Hamas », « islamistes », « terroristes » ont toutes eu pour résultat une carte blanche à l’occupant.

Des personnalités comme Messieurs D. de Villepin, G. Malbrunot, E. Plenel, qui peuvent avoir une analyse assez fine de la situation coloniale en Palestine, s’enferrent dans leur ignorance dès lors qu’il s’agit du droit à la résistance d’un peuple sous occupation. Il s’obstinent à refuser de prendre connaissance de l’amendement à la Charte du Hamas de 2017 [4] et propagent, peut-être à leur insu, les mensonges les plus néfastes.

Or rappelons que le Hamas demande la création d’un Etat palestinien sur 22 % de la Palestine historique – ce qui revient à une reconnaissance de facto d’Israël -, ou un Etat binational démocratique. Qui le sait ? Qui le relaie ? Et qui refuse ?

« Jeter les Juifs à la mer », etc, correspond à des fantasmes d’Occidentaux. L’antisémitisme est un problème européen, que l’Occident recycle en problème avec l’Islam, essayant de se laver d’un crime en en soutenant un autre.

Dans les pays arabes, Juifs et musulmans ont vécu comme un peuple à travers les siècles. Les pays du Maghreb et la Turquie ont accueilli les Juifs persécutés en Europe à partir du XI° siècle, lorsque les pays européens ont commencé à émettre des décrets royaux pour chasser les Juifs.

En 1947-48, les Palestiniens ont refusé le Plan de partage. Ils ont refusé de se voir chassés de leurs maisons et confisquer plus de la moitié de leurs terres. Mais ils ont proposé d’accueillir chez eux les réfugiés juifs fuyant le nazisme et le fascisme européens.

« Israël est le seul problème – Israël en tant que projet colonial terroriste qui a mené un génocide à Gaza pendant deux ans et qui torture les Palestiniens depuis plus de 70 ans», résume le journaliste palestinien Abubaker Abed.

Je voudrais terminer par une pensée pour Haitham, que personne n’est venu attendre à sa libération de Sde Teiman. Plus jamais il ne reverra Layan, 2 ans, Iman, 5 ans, Baraa, 8 ans, ni leur maman – ceux pour qui il s’est accroché à la vie pendant plus d’un an de torture. Haitham, comme 5.000 autres Palestiniens, est l’unique survivant de sa famille.

Une pensée pour Yasser, 10 ans, de Masafer Yatta, qui se jette sur les soldats qui enlèvent en le traînant son ami Bassem, tout aussi petit que lui.

« Gaza n’a jamais eu besoin d’être sauvée. Gaza avait besoin que le monde arrête de la tuer. Gaza avait besoin que le monde laisse son peuple vivre sur ses terres, libre de l’occupation, de l’apartheid et du génocide », écrit le journaliste palestinien Ahmad Ibsais.

« La seule pression qui a compté, c’est celle que les Israéliens ne pouvaient pas faire taire, les Palestiniens documentant leur propre mort. Gaza a survécu grâce à sa résistance. Les bombes n’ont pas brisé la ténacité palestinienne, et le cessez-le-feu s’est imposé parce que l’opinion mondiale a tourné contre Israël malgré tous les efforts pour un consensus sur le génocide. (…) La ‘paix’ que le plan Trump promet est morte avec chaque enfant de Gaza, avec chaque famille déplacée, et chaque fois que le monde parlait de ‘légitime défense’. (…) Le seul avenir juste est la libération complète – un Etat démocratique avec des droits égaux pour tous. (…) Nous ne nous reposerons pas tant que tout le système d’occupation et d’apartheid ne soit démantelé, et fasse place à la libération, une Palestine libre de la rivière à la mer. »

Notes :

* Le titre est issu des propos de Omar Al-Akkad dans : Amid ceasefire, Omar Al-Akkad on the politics that betrayed Gaza (vidéo), The Take, Al Jazeera, 16.10.2025

[1] Selon The Lancet, l’espérance de vie à Gaza est passée de 75 à 35 ans entre octobre 2023 et septembre 2024. The Lancet précise au moment de la publication de ces données, en février 2025, qu’il ne fait aucun doute que les chiffres ont empiré depuis.
Statistiquement, un enfant né à Gaza en 2024 vivra 44 ans de moins qu’un enfant né en Israël la même année, sous les effets conjugués des bombardements, de la famine et de la destruction systématique du système de soins. Cf. Mads Gilbert dans : Gaza Tribunal Final Session Istanbul Day 2 (vidéo), Katie Halper, 24.10.2025
[2] Cette mauvaise blague ne cesse de se répéter depuis 1991, année où l’Assemblée générale des Nations Unies révoque la résolution 3379 votée en novembre 1975, stipulant que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale – cédant au chantage d’Israël relative à sa participation à la Conférence de Madrid.
[3] « Un vaste camp de concentration » selon ELM Burns, administrateur des NU, dans les années 1950 ; « un vaste camp de concentration », pour Al Gore Sr, sénateur américain, en 1967 ; « le plus grand camp de concentration de tous les temps », d’après le sociologue israélien Baruch Kimmerling, en 2002 ; tandis que le général israélien Giora Eilan se félicitait en 2004 de ce que la Bande de Gaza soit « un gigantesque camp de concentration ».
Compilé par Norman Finkelstein, FULL TALK | Norman Finkelstein at UMass: Gaza, Truth & the Battle for Free Speech (vidéo), Media Education Foundation, 8.10.2025
Aujourd’hui, le camp est doublement concentré puisque plus de 52 % de la Bande de Gaza sont inaccessibles aux Palestiniens.
[4] Charte du Hamas amendée en 2017
La doctrine Hannibal, appliquée massivement le 7 octobre, bénéficie de la même censure. Cf. par exemple : Max Blumenthal, October 7 testimonies reveal Israel’s military ‘shelling’ Israeli citizens with tanks, missiles, The Grayzone, 27.10.2023

26 octobre 2025 – Transmis par l’auteure

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