
27 janvier 2025 - A l'occasion du court cessez-le-feu de janvier à mars 2025, les Palestiniens retournent vers le nord de la bande de Gaza - Photo via Middle East Monitor / Hassan Jedi / AA
Par Munir Nuseibah
Le génocide perpétré actuellement par le régime israélien à Gaza a mis en évidence l’échec des cadres juridiques internationaux en matière de protection des civils, marquant ainsi une rupture sans précédent dans la fonction protectrice du droit international.
Si la Convention sur le génocide oblige les États à prévenir et à punir le génocide, et si les Conventions de Genève établissent des mesures de protection pour les civils sous occupation, ces mécanismes se sont révélés impuissants sans la volonté politique de les appliquer.
Cela est devenu flagrant en janvier 2024, lorsque la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu des mesures provisoires visant à prévenir les actes de génocide à Gaza, ordonnant au gouvernement israélien de s’y conformer, ce que celui-ci a ouvertement refusé de faire en poursuivant sa campagne militaire.
Néanmoins, plusieurs États du Sud se sont regroupés pour former le Groupe de La Haye, une initiative visant à lutter contre l’impunité dont bénéficie le régime israélien grâce à une action juridique et diplomatique coordonnée.
Composé de huit pays (Afrique du Sud, Malaisie, Namibie, Colombie, Bolivie, Sénégal, Honduras et Cuba), le Groupe de La Haye s’est engagé à faire progresser l’application du droit international et à faire respecter les obligations mondiales en matière de défense des droits des Palestiniens.
Cette note d’orientation examine comment le Groupe de La Haye met en évidence le potentiel d’une action coordonnée des États pour tenir les États responsables de violations du droit international, malgré les limites structurelles de son application.
La solidarité transnationale du Sud
Le 31 janvier 2025, les États membres du groupe se sont réunis à La Haye, siège des principales cours internationales, et ont convenu de prendre des mesures concrètes pour faire respecter le droit international.
Ils se sont engagés à protéger le peuple palestinien et à soutenir son droit à l’autodétermination, appelant les autres États à exercer une pression collective sur le régime israélien.
Les membres du Groupe de La Haye viennent d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est.
L’absence d’États arabes et européens, y compris d’acteurs traditionnellement influents comme l’Irlande et l’Espagne, est frappante, mais pas fortuite. Elle reflète le fait que le respect du droit international est devenu de plus en plus politisé et coûteux, en particulier sous le poids de l’hégémonie américaine qui exerce des pressions diplomatiques, des contraintes économiques et une hostilité ouverte à l’égard des institutions internationales.
Cette dynamique, qui s’est intensifiée sous l’administration Trump, a eu un effet dissuasif.
Il convient notamment de noter que, lors du lancement du Groupe de La Haye, l’administration Trump a soutenu une législation visant à sanctionner toute personne ou entité impliquée dans des enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI) visant les États-Unis ou leurs alliés, principalement Israël.
Défier les États-Unis pour faire respecter le droit international dans le cas d’Israël comporte des risques politiques et économiques importants, que les dirigeants européens n’ont jusqu’à présent pas été prêts à assumer.
Leur soutien à la Palestine est resté largement symbolique, se limitant à des gestes diplomatiques tels que la reconnaissance de l’État palestinien, qui sont loin des mesures coercitives nécessaires pour mettre fin au génocide, démanteler l’apartheid et mettre fin à l’occupation.
Récemment, cependant, plusieurs pays européens ont commencé à menacer le régime israélien de sanctions et réexaminent activement le traitement préférentiel dont il bénéficie dans le cadre des accords de l’UE.
En réponse à la pression croissante des États membres, la Commission européenne a accepté de réexaminer le bilan d’Israël en matière de droits humains et de réévaluer l’accord d’association UE-Israël.
Mais ces mesures arrivent trop tard pour mettre fin à l’offensive israélienne en cours à Gaza et au-delà, et sont jusqu’à présent restées symboliques tant dans leur portée que dans leur impact.
De même, la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique (OCI) ont publié des résolutions et des condamnations fermes, appelant à la fin de l’offensive militaire israélienne. Cependant, elles n’ont pas donné suite à ces déclarations par des mesures concrètes, révélant ainsi un fossé persistant entre les discours et la volonté politique.
La vague croissante de normalisation des relations entre les États arabes et le régime israélien a érodé la capacité du bloc à demander des comptes à l’État sioniste.
En revanche, les États membres du Groupe de La Haye ont commencé à traduire les obligations juridiques internationales en actions coordonnées, confrontant l’impunité israélienne là où les acteurs régionaux et occidentaux ont hésité.
Une action politique au-delà de la solidarité symbolique
Le Groupe de La Haye s’est engagé à prendre une série de mesures politiques et juridiques décisives visant à mettre fin à l’impunité dont bénéficie Israël et à faire respecter le droit international. Ces mesures comprennent :
- Embargo sur les armes : les États membres se sont engagés à suspendre tous les transferts d’armes et d’équipements militaires vers le régime israélien, en particulier lorsqu’il existe un risque manifeste que ceux-ci soient utilisés pour commettre des crimes de guerre.
- Restrictions portuaires et de transit : le groupe s’est engagé à empêcher les navires transportant du carburant ou des fournitures militaires à destination d’Israël d’entrer dans ses eaux territoriales ou d’accoster dans ses ports, dans le but de perturber la chaîne d’approvisionnement qui pourrait contribuer à des violations du droit international.
- Soutien aux mandats d’arrêt de la CPI : Le Groupe de La Haye a officiellement approuvé les mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, s’engageant à les exécuter si ces personnes entrent sur leur territoire, ce qui compromet la mobilité internationale et l’impunité diplomatique des responsables israéliens.
- Condamnation publique et isolement politique : par le biais de déclarations communes et d’actions de défense coordonnées au niveau international, le groupe vise à isoler politiquement le régime israélien et à délégitimer ses prétentions à une conduite légale, en faisant pression sur les autres États et institutions qui continuent de lui apporter leur soutien.
Les mesures coordonnées du Groupe de La Haye marquent un tournant décisif dans les initiatives à l’échelle mondiale visant à faire respecter le droit international et à lutter contre l’impunité israélienne.
Cependant, sans un engagement plus large, leur impact restera limité. Davantage d’États doivent se joindre à cette initiative afin de restaurer la crédibilité du système juridique international et de défendre les droits du peuple palestinien.
Les organisations de défense des droits humains devraient faire pression sur les gouvernements pour qu’ils s’alignent sur le programme décolonial fondé sur les droits humains du groupe.
Parallèlement, les instances régionales telles que l’OCI, la Ligue arabe et l’Union africaine doivent prendre des mesures concrètes conformes à la déclaration de mission du groupe.
Il est essentiel d’élargir cette coalition pour en faire un mouvement international plus large afin de mettre fin au génocide et de rétablir la responsabilité juridique internationale pour les crimes contre l’humanité.
En vertu du droit international, les États ont l’obligation légale de prévenir le génocide et de s’abstenir de toute forme de complicité. Soutenir des initiatives telles que le Groupe de La Haye n’est donc pas une question de simple décision politique, mais un impératif juridique et moral évident.
Auteur : Munir Nuseibah
* Munir Nuseibah, analyste politique pour Al-Shabaka, est un avocat spécialiste des droits de l'homme basé à l'Université Al-Quds de Jérusalem, en Palestine occupée. Il est professeur assistant à la faculté de droit de l'université Al-Quds.
8 juillet 2025 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
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