« La politique étrangère du mouvement Hamas », une analyse de Daud Abdullah

Janvier 2012 - Ismaïl Haniyeh s'est rendu en visite à Tunis où il a reçu un accueil officiel et populaire remarqué. Il a été accueilli par le chef du gouvernement, Hamadi Jebali [à g.], le leader d’Ennhada, Rached Ghannouchi et des membres du gouvernement, notamment, Samir Dilou, ainsi que des centaines de militants d’Ennahda - Photo extraite de : http://www.leaders.com.tn

Par Hanna Eid

La bataille pour la Palestine fait rage et le phare tenace et sagace de l’Axe de la Résistance nous guide vers la libération totale.

Daud Abdullah a rédigé une analyse documentée et exhaustive de la politique étrangère du Hamas qui a été publiée par l’Afro-Middle East Center (AMEC) en 2020. La majeure partie de cette analyse a été rédigée en 2019, et il est donc nécessaire de la compléter, car il s’est passé beaucoup de choses dans le monde pendant les cinq dernières années.

À l’échelle mondiale, la pandémie de Covid-19 a ébranlé les secteurs de la production, de la distribution et de la santé publique ; l’opération militaire spéciale russe en Ukraine est sans doute la première d’une série de guerres qui accompagnera le déclin de l’hégémonie atlantiste.

En Palestine, l’« Intifada de l’unité » – également connue sous le nom de bataille de Seif Al-Quds – a mis en évidence la grande coordination des différentes factions de la Résistance en Palestine.

Aujourd’hui, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » et ses conséquences ont changé la géométrie régionale, en augmentant encore plus l’unité de toutes les factions de l’Axe de la Résistance à travers la région.

J’analyserai, tout d’abord, certaines des recommandations politiques qu’Abdullah a faites au Hamas sur la base de la situation mondiale en 2020, puis je verrai si ces préconisations ont été mises en œuvre par le mouvement islamique et, si oui, à quel niveau de réalisation elles en sont.

L’élaboration de la politique étrangère du mouvement Hamas – un ouvrage du Dr Daud Abdullah

Dans cet article, je vais m’intéresser à trois éléments de la politique étrangère du Hamas : ses relations avec la Russie et la Chine, les changements et reconfigurations de l’axe de la résistance et, enfin, la capacité du Hamas à manœuvrer politiquement et diplomatiquement après les évènements du 7 octobre.

Les relations du Hamas avec la Russie et la Chine

L’analyse d’Abdullah sur les relations du Hamas avec la Russie et la Chine est l’une des analyses les plus honnêtes, les plus mesurées et les plus importantes qu’il m’ait été donné de lire depuis un certain temps.

En ce qui concerne la Russie, Abdullah souligne qu’au début de l’existence du Hamas, la Russie était prête à rompre avec la poigne de fer du Quartet [1] et à défendre le Hamas contre l’étiquette de « terroriste ».

Des responsables et des délégués du Hamas se sont rendus à Moscou à plusieurs reprises, la dernière fois au début de l’année 2024.

Lors de ces réunions, le Hamas a été traité comme un parti politique ordinaire et un représentant des Palestiniens, ce qui a permis au mouvement et à ses dirigeants de rencontrer de hauts responsables russes, tels que Sergey Lavrov.

Pourtant, l’aigle bicéphale de la Russie reste encore à la croisée des chemins. Maintenant que l’Ukraine n’est plus au cœur de l’actualité, la guerre ralentit et certains signes indiquent qu’un traité de paix pourrait être conclu dans un avenir proche.

Poutine et la Russie comprennent que le régime ukrainien est une marionnette des impérialistes chargée de faire tomber la superpuissance eurasienne, mais cette analyse n’englobe pas « Israël ».

Comment cela se fait-il ? Est-ce parce qu’un grand nombre de citoyens « israéliens » sont d’origine russe ? Est-ce parce que Poutine, tel l’aigle bicéphale de l’étendard russe, veut maintenir un équilibre entre son rôle d’homme d’État libéral post-soviétique et son rôle d’Hercule eurasien dont l’épée plane au-dessus du nœud gordien de l’impérialisme de l’OTAN ?

Ce délicat exercice d’équilibre devra prendre fin, en particulier avec le carnage perpétré par « Israël » et les États-Unis à Gaza aujourd’hui.

En ce qui concerne la Chine, Abdullah ne ménage pas les critiques sur la position vis-à-vis de la Palestine et du Hamas de la République populaire. Bien que la Chine, tout comme la Russie, ait dès le départ défendu le Hamas contre l’étiquette « terroriste » et l’ait traité comme un parti gouvernemental légitime, elle essaie, elle aussi, de maintenir un difficile équilibre.

La Chine entretient des relations commerciales étendues avec la colonie sioniste et utilise cette situation, ainsi que sa reconnaissance du Hamas, pour tenter de jouer le rôle de « médiateur pour une paix juste et loyale » dans la région.

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite doit être porté au crédit de la Chine mais on peut regretter que ce grand pays n’utilise pas son influence internationale pour isoler et sanctionner les sionistes.

La Chine s’accroche toujours officiellement à la solution des « deux États », pourtant morte et enterrée.

Cependant, comme le souligne Abdullah, la relation entre l’intelligentsia chinoise la plus radicale et l’État chinois est étroite et le Hamas devrait l’exploiter :

Dans l’état actuel des choses, l’intelligentsia chinoise se demande de plus en plus si la politique du « profil bas » est adaptée au XXIe siècle. Dans ce contexte, le Hamas n’a rien à perdre et tout à gagner en se positionnant de manière à bénéficier des changements qui semblent imminents dans la politique étrangère de la Chine.

Je suis d’accord avec Abdullah ; les intellectuels chinois, tels que Zhang Weiwei et Minqi Li, théorisent la multipolarité et la chute actuelle de l’hégémonie américaine. L’intelligentsia chinoise est également impliquée dans les campagnes idéologiques du président Xi qui visent à politiser l’armée populaire de libération [2] et à l’impliquer davantage dans la construction socialiste.

La polarisation croissante des relations sino-américaines est une opportunité pour le Hamas et le mouvement national palestinien.

La reconfiguration de l’axe de la résistance

La réconciliation du Hamas avec le gouvernement Assad à Damas est un développement important après que les deux partis ont pris des positions différentes sur la guerre civile et la guerre par procuration en Syrie en 2012. Les relations entre l’Iran et le Hamas, qui avaient également souffert après 2012, s’en sont trouvées améliorées.

La capacité du Hezbollah, et de Sayyed Hassan Nasrallah lui-même, à orchestrer cette réconciliation montre le sérieux et l’importance de la profondeur stratégique arabe.

L’« Intifada de l’unité » de 2021 et les changements survenus sur le terrain dans la région, qui ont renforcé la Résistance, ont été l’un des moteurs de cette réconciliation.

L’ « Intifada de l’unité » de 2021 est importante pour un certain nombre de raisons, notamment parce que la Résistance à Gaza – le minuscule territoire dont l’Occupation s’est retirée pour l’assiéger, et à partir duquel la lutte de libération nationale est actuellement lancée – et la Résistance dans les territoires occupés ont combattu main dans la main pour la première fois depuis la scission entre le Hamas et le Fatah en 2007.

Histoire de la politique étrangère du Hamas – édition française

L’union de toute la Résistance, du fleuve à la mer, n’est pas seulement une source lointaine d’inspiration, elle a eu des effets positifs pour les Palestiniens.

Les crises internes de la colonie sioniste indiquent qu’elle suit une courbe inverse : alors que les Palestiniens s’unissent après des années de division, les sionistes sont à couteaux tirés.

L’union de la Résistance et la désintégration des relations sociales dans la colonie sioniste se poursuivent aujourd’hui, au cœur de l’opération « Déluge d’Al Aqsa ».

L’élargissement des marges de manœuvre politiques et diplomatiques du Hamas depuis le 7 octobre

Depuis le 7 octobre, le Hamas et d’autres factions de la Résistance à l’intérieur de la Palestine (notamment le PIJ, le FPLP et le FDLP) ont déclenché sans relâche une guerre de guérilla contre la colonie sioniste.

Cela n’a pas conduit uniquement à des victoires militaires ; le Hamas va sortir de la situation dans une meilleure position sur le plan diplomatique.

Comme toujours, tout dépend de l’équilibre des forces en présence. Le Hamas a insisté sur le fait que la seule fin qu’il juge appropriée dans tout « cessez-le-feu » est un échange de tous les prisonniers.

L’ampleur du nombre de prisonniers palestiniens par rapport aux prisonniers « israéliens » sera déjà une victoire numérique si cela se produit, et il se pourrait que les sionistes soient obligés d’accepter l’échange car leurs maîtres américains semblent vouloir tirer sur la laisse.

Mais pourquoi le Hamas devrait-il s’arrêter là ? Les forces d’Ansar Allah à Sanaa ont démontré leur capacité à perturber le commerce mondial pour soutenir la Palestine.

Le Hezbollah s’apprête à intensifier les attaques sur le front nord, et la crainte qu’en ont les sionistes n’est pas irrationnelle, compte tenu de ce qui s’est passé en 2000 et 2006. Alors comment le Hamas pourrait-il donc remporter une victoire plus large ?

Si la Résistance parvenait à affaiblir les sionistes et à conclure une trêve temporaire sur les frontières de 1967, cela augmenterait la taille de la base territoriale et faciliterait la logistique pour le lancement d’une guerre de libération totale, car il y aurait alors une certaine contiguïté territoriale.

Cela modifierait également les développements internes en Palestine, tels que la formation potentielle d’un gouvernement d’unité qui se débarrasserait des éléments compradores du Fatah.

En effet, les sondages du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR) montrent que l’Autorité Palestinienne (AP), corrompue jusqu’à l’os, est plus impopulaire que jamais.

La création potentielle d’un gouvernement d’unité ouvrirait alors un espace diplomatique pour que de pays puissants comme la Russie et la Chine soutiennent un État démocratique, ce qu’ils ne font pas actuellement.

Pour le moment la bataille pour la Palestine fait rage, et la marge de manœuvre du Hamas en matière de politique étrangère fluctue au rythme des évènements.

Mais comme toujours, le phare tenace et sagace de l’axe de la résistance, nous montrera le chemin de la libération totale.

Note :

1. Le Quartet pour le Moyen-Orient, aussi appelé Quatuor pour le Moyen-Orient, Quartet diplomatique ou plus simplement Quartet, est un groupe formé de quatre États et organisations nationales et internationales décidé à réaliser une médiation dans le processus de paix israélo-palestinien. Le Quartet est composé des États-Unis d’Amérique, de la Russie, de l’Union européenne et des Nations unies. John N. Clarke est l’envoyé spécial du Quartet à partir de mai 20211 (Wikipedia)
2. L’Armée populaire de libération (APL) est le bras armé du Parti communiste chinois (PCC) et la principale force militaire de la République populaire de Chine(Wikipedia)

2 février 2024 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet