La justice pour les Palestiniens !

Photo : Ali Jadallah
Une Palestinienne se lamente au milieu des débris de sa maison, détruite par un bombardement israélien - Photo : Ali Jadallah

Par Mariam Barghouti

En Palestine, le mot “paix” est devenu un euphémisme en faveur de la prolongation du statu quo et de l’occupation israélienne.

Peu de temps après son arrivée à la Maison Blanche, le président américain Donald Trump a promis de faire ce que ses prédécesseurs n’avaient jamais fait : négocier un accord de paix durable entre Israël et la Palestine. Trois ans après son entrée en fonctions, les détails de la partie politique de son prétendu “accord du siècle” n’ont toujours pas été publiés et la paix reste tout aussi insaisissable pour la Palestine.

Les Palestiniens savaient dès le départ que l’accord de Trump ne mettrait pas fin à leur réalité coloniale. Ils étaient sceptiques non seulement parce que l’accord était rédigé par une équipe incroyablement inexpérimentée et résolument pro-israélienne, mais aussi parce qu’en Palestine, la “paix” elle-même repose sur une longue histoire de trahisons.

Les Palestiniens ont appris depuis longtemps que dans le contexte des négociations israélo-palestiniennes, la “paix” prend une dimension particulièrement biaisée. Cette idée est souvent associée à des “solutions” au “problème” palestinien qui ne permettent pas de rendre la justice ou d’assurer l’égalité au peuple palestinien. Cela a été le cas des ainsi-nommés accords de paix d’Oslo de 1993, qui ont échoué, et il en ira certainement de même avec “l’accord final” de Trump.

Les tentatives visant à instaurer la “paix” en Palestine consistent souvent à offrir aux Palestiniens des “opportunités économiques” pour les convaincre d’abandonner leur combat pour une existence libre et digne dans leur pays, et d’accepter les conditions imposées par Israël. Trump a déjà montré qu’il n’allait pas changer de tactique lorsque son équipe a révélé le “volet économique” de son “plan de paix” – une proposition visant à attribuer aux Palestiniens 50 milliards de dollars pour aider leur économie – sans faire la moindre référence à l’occupation militaire israélienne qui est au cœur de la myriade de problèmes économiques, politiques et humanitaires en Palestine.

Les Palestiniens sont sceptiques quant à toute tentative de parvenir à une solution sociale et politique qui s’attache à la notion de paix, car nous savons que de telles tentatives réduisent notre lutte à un simple accroc. Les vendeurs de paix occidentaux et israéliens voient dans notre résistance un fardeau et une preuve de l’incapacité présumée des peuples du Moyen-Orient de coexister en paix. C’est pourquoi ils continuent de nous asséner que pour parvenir à la paix, nous devons d’abord être “tolérants” – ce qui signifie que nous devrions accepter le vol de notre terre et l’état d’apartheid dans lequel nous vivons actuellement.

La résistance palestinienne, à la fois violente et non violente, est constamment qualifiée d’obstacle à la paix. Pendant ce temps, Israël évoque régulièrement la formule totalement éculée selon laquelle il a “le droit de se défendre”.

Cette semaine encore, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a repris ce slogan après l’assassinat par Israël du dirigeant du Jihad islamique et de son épouse à Gaza. La même chose a été dite lorsque des Palestiniens manifestaient pacifiquement contre des soldats lourdement armés.

Alors que nous sommes constamment accusés d’avoir commis des actes de violence, la violence qui nous est imposée n’est jamais reconnue.

Lorsque nous ne sommes ni bombardés ni abattus par centaines, nous sommes quotidiennement humiliés, opprimés et violés dans nos droits – que ce soit lorsque nous passons par un poste de contrôle militaire, que nous sommes confrontés à une nouvelle loi israélienne discriminatoire, que nous sommes expulsés de chez nous, que nous essayons de manger dans le noir à cause d’une coupure de courant, luttant pour prouver notre innocence devant les tribunaux militaires israéliens, essayant de survivre dans les prisons israéliennes ou subissant la pression exercée par les États policiers de facto que sont nos gouvernements.

Même la simple volonté d’être avec ceux qu’on aime signifie parfois subir une multitude d’agressions de toutes les formes de la part de l’occupation, puisque les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et du reste de la Palestine historique sont physiquement et juridiquement séparés les uns des autres.

Et pourtant, les efforts de “paix” en Palestine exigent toujours des Palestiniens – et jamais des Israéliens – de faire une concession et de se contenter d’encore moins : moins de souveraineté, moins de liberté et moins de droits. Année après année, négociateurs, diplomates et politiciens nous demandent d’accepter comme normale l’existence d’un peuplement hostile de colons sur nos terres ancestrales et l’oppression que nous subissons de la part des occupants israéliens.

C’est pourquoi les Palestiniens se trouvent toujours dans une situation qui aura empiré après chaque tentative de “paix”. Le Protocole de Paris (un corollaire des accords de paix d’Oslo de 1993), par exemple, a accru la dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis d’Israël, tandis qu’Oslo lui-même autorisait de facto le contrôle israélien de plus de 62% de la Cisjordanie.

Les Palestiniens doivent toujours accepter toute offre qui est déguisée en “un pas en avant vers la paix” et sont criminalisés lorsqu’ils ne le font pas. Le rejet d’un plan de paix devient un emblème du refus des Palestiniens de parvenir à la paix, plutôt que la reconnaissance du caractère imparfait d’une solution proposée qui ne reconnaît pas le besoin de justice.

La paix est sans aucun doute une volonté du peuple palestinien. Mais celui-ci ne mène pas une guerre. Il n’a pas d’armée officielle, pas de frontières officielles; il n’a aucun contrôle sur ses ressources et ses terres; et même ses politiciens sont parfois assassinés ou incarcérés. Si la paix est considérée comme quelque chose de distinct et de plus crucial que la “justice”, elle se transforme alors en une quête de normalisation de l’oppression coloniale, voulant une population silencieuse et se préoccupant d’autre chose.

En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, la “paix” est un euphémisme en faveur de la prolongation du statu quo et de la dégradation continue du niveau de vie des Palestiniens.

C’est pourquoi il est temps que les acteurs qui prétendent trouver une solution au conflit israélo-palestinien concentrent en premier leurs efforts sur la justice. Celle-ci implique la fin de l’oppression coloniale de notre peuple, la fin des restrictions imposées à nos mouvements, la fin de l’apartheid, la fin de notre traitement comme moins qu’humain dans notre propre pays.

Ce n’est qu’alors que la Palestine pourra aboutir à une paix réelle – une paix définie non par l’absence de violence déclarée, mais par la capacité de tous les habitants de ce pays à vivre, se déplacer et respirer librement.

* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l’International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Son compte twitter. : @MariamBarghouti

13 novembre 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine Lotfallah