Kenya et Palestine : une seule et même lutte contre le colonialisme

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La révolte Mau-Mau a disposé d'une très large base populaire - Photo : Archives

Par Ramzy Baroud

L’auteur et journaliste palestinien, le Dr Ramzy Baroud, est arrivé au Kenya pour une tournée de meetings et de conférences de 10 jours à partir du 23 juin. Explorant le sujet de l’intersectionnalité, de la solidarité et de la résistance populaire, Baroud doit s’exprimer dans différentes universités et stations de radio.

En 1948, mon grand-père et des milliers de Badrasaouis ont été expulsés par les forces militaires israéliennes de notre village ancestral de Beit Daras, en Palestine.

Comme des centaines de milliers de Palestiniens de plus de 500 autres villages, mon grand-père a alors imaginé qu’il serait de retour chez lui après quelques semaines. “Pourquoi se donner la peine de transporter les bonnes couvertures sur le dos d’un âne, en les exposant à la poussière du voyage, alors que nous savons que nous reviendrons à Beit Daras dans une semaine ou un peu plus ?”

Beit Daras se trouvait à 32 kilomètres au nord-est de la bande de Gaza, entre une grande colline et une petite rivière qui semblait ne jamais être à sec. Un massacre s’y est déroulé alors que les habitants quittaient le village. Les maisons ont été dynamitées et les puits et les greniers détruits.

Un village paisible, qui existait depuis des millénaires, a été complètement détruit dans l’intention de l’effacer à jamais. À sa place se trouvent maintenant les villes israéliennes de Giv’ati, Azrikam et Emunim. La vie de ces villes israéliennes repose sur la mort de notre village.

Soixante-dix ans plus tard, nous ne sommes toujours pas revenus chez nous. Pas seulement les Badrasaouis, mais des millions de Palestiniens, dispersés dans des camps de réfugiés à travers le Moyen-Orient et dans une diaspora qui ne cesse de grandir dans le monde. Nos “bonnes couvertures” ont été perdues à jamais, remplacées par un exil et une dépossession sans fin.

L’occupation de la Palestine n’est pas un “conflit”, comme le prétendent volontiers les Israéliens. Israël est une puissance coloniale qui a nettoyé et continue de nettoyer ethniquement toute une population autochtone afin de légitimer et de développer sa colonie.

Et comme tout le monde, nous, Palestiniens, avons le droit de résister à la domination et à l’occupation coloniales. C’est un droit inaliénable inscrit dans le droit international.

C’est ce même droit qui a légitimé les luttes anti-coloniales et les guerres de libération menées par l’Afrique dans les années 1950 et 1960, la révolution américaine et la révolution cubaine. Ce droit légitime également la résistance palestinienne – que ce soit par le biais du Mouvement pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions (BDS), par la poursuite des criminels de guerre israéliens devant la Cour pénale internationale, ou par la lutte armée.

Dedan Kimathi est célébré en tant que héros par les Kenyans en raison de sa résistance – et non en raison de son assujettissement – au colonialisme et à l’occupation. La rébellion Mau Mau est une source d’inspiration – non seulement pour les Kenyans – mais pour toute l’humanité.

Israël prétend que son occupation de la Palestine est une légitime défense, que la démolition de maisons palestiniennes, la politique de détention sans jugement, la construction de colonies de peuplement illégales, le vol de terres palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ainsi que les restrictions à la liberté de circulation des Palestiniens, sont nécessaires à la “sécurité”.

La sécurité et la paix israéliennes ne peuvent pas être construites sur l’injustice et l’occupation, au détriment de la sécurité, de la justice, de la dignité et de la paix des Palestiniens. La vie d’un groupe ne devrait pas être basée sur la destruction de l’autre.

Les frappes militaires israéliennes sur des cibles palestiniennes dans la bande de Gaza sont toujours décrites comme une “réponse” aux tirs palestiniens. Mais les tirs palestiniens ne sont jamais contextualisés. Ce n’est jamais présenté “en réaction” au cruel siège israélien qui a systématiquement détruit l’économie de Gaza et soumis toute une génération d’enfants palestiniens à des carences liées à la malnutrition.

Ce n’est jamais “en réaction” face aux décennies d’occupation militaire dévastatrice du territoire et de la vie des Palestiniens. Les tirs de Gaza ne sont jamais “en réplique” à la dépossession continue de la Palestine historique qui a fait de la majeure partie de la population de Gaza des réfugiés.

La lutte de libération palestinienne est simplement qualifiée de “terrorisme”. Le mot “terrorisme” s’applique facilement aux individus ou groupes palestiniens qui utilisent des bombes artisanales, mais jamais à un État israélien doté de l’arme nucléaire et qui a utilisé du phosphore blanc, des bombes DIME et d’autres armes internationalement interdites contre les civils palestiniens.

Ce qui se passe en Palestine occupée, c’est un génocide progressif – et non de la légitime défense. Israël exige du peuple palestinien qu’il laisse mourir sa liberté afin que le peuple israélien puisse vivre.

Se soumettre ou combattre. C’est le seul dilemme auquel étaient confrontés les Kenyans au cours de votre lutte anti-coloniale. Comme vous, nous, les Palestiniens, avons également choisi de nous battre pour notre dignité – pour nous-mêmes et pour nos enfants. Nous ne laisserons pas mourir notre rêve de liberté.

Pour moi, Beit Daras n’est pas simplement un morceau de terre, mais un combat perpétuel pour une justice qui ne rendra jamais les armes, car les Badrasaouis appartiennent à Beit Daras et à nulle part ailleurs.

Israël ne peut plus justifier son oppression en condamnant les Palestiniens qui exercent leur droit naturel et internationalement reconnu de résister à l’occupation et au colonialisme.

Nous continuerons à résister au colonialisme israélien, armés de nos droits et du droit international.

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27 juin 2019 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah