Les Israéliens sous-traitent leur génocide à Gaza

Les enfants de Gaza crient et pleurent de faim extrême - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Safa Joudeh

Un génocide externalisé : des entreprises US contribuent à la famine à Gaza et participent aux massacres contre la population en détresse extrême.

Un plan « d’aide » israélo-américain pour Gaza

En novembre 2024, le cabinet de conseil en sécurité nationale américain Orbis a mené une étude de faisabilité pour le gouvernement israélien, dans laquelle il présentait un nouveau système de distribution de l’aide alimentaire à Gaza.

Financée par une organisation dite philanthropique restée secrète, cette étude proposait un cadre pour la distribution de l’aide humanitaire géré par des organisations privées et sécurisé par des entrepreneurs militaires américains « chevronnés » opérant en coordination avec les forces d’occupation israéliennes.

En effet, de janvier à mars 2025, des entrepreneurs militaires privés américains ont géré des points de contrôle clés à Gaza pendant la première phase de l’accord de cessez-le-feu. Ils étaient chargés de contrôler les véhicules et de surveiller les mouvements des Palestiniens déplacés qui retournaient chez eux, en particulier dans le corridor de Netzarim qui sépare le nord et le sud de Gaza.

Safe Reach Solutions (SRS) et UG Solutions sont deux sociétés de sécurité privées basées aux États-Unis qui ont collaboré étroitement à la gestion des points de contrôle, une initiative soutenue par les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et le régime israélien.

En février 2025, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) a été créée en Suisse et aux États-Unis.

Selon le plan Orbis, la GHF est chargée de couvrir le coût de l’aide alimentaire et de gérer sa distribution, tandis que SRS recrute du personnel de sécurité armé pour garder les sites de distribution.

De cette manière, le nouveau dispositif écarte délibérément les organismes des Nations unies et les organisations humanitaires qui travaillent à Gaza depuis des décennies.

En toute logique, l’ONU a refusé de participer au système de la GHF en raison de son non-respect des principes humanitaires.

Lancé le 26 mai 2025, le nouveau système de distribution de l’aide a déjà fait plus de 100 morts parmi les Palestiniens, principalement sous les tirs israéliens, alors que les civils se trouvaient dans des conditions périlleuses dans des centres situés près des postes militaires le long de la frontière de Rafah.

Le 3 juin, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur des Palestiniens qui cherchaient de l’aide alimentaire près d’un site de distribution de l’aide de la GHF à Rafah, faisant 27 morts et plus de 90 blessés en une seule journée.

Après trois jours consécutifs de tirs meurtriers dans les centres d’aide du GHF, l’organisation a annoncé la suspension temporaire de ses opérations, pour les reprendre peu après malgré les menaces persistantes pour la sécurité des Palestiniens en quête de nourriture.

Les dangers que présente ce nouveau modèle d’aide restent pressants et soulèvent de graves préoccupations quant au rôle des entrepreneurs américains sous la supervision des autorités israéliennes.

La privatisation comme stratégie coloniale

Le GHF pourrait surtout servir à faire avancer les plans de nettoyage ethnique d’Israël.

Selon Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA, le modèle d’acheminement de l’aide soutenu par Israël pourrait constituer un crime de guerre en permettant effectivement le déplacement forcé des Palestiniens.

En limitant l’aide à certains groupes et à des zones de distribution désignées, cette stratégie oblige en fait, sous peine de mourir de faim les populations à se déplacer vers le sud de Gaza, près de la frontière de Rafah, où le régime israélien a installé les nouveaux centres d’aide.

Ce plan constitue donc une instrumentalisation de l’aide humanitaire, en violation des normes juridiques internationales.

Dans le même temps, les responsables israéliens ont explicitement rejeté tout rôle de l’Autorité palestinienne ou du Hamas dans la distribution de l’aide à Gaza ou dans sa gouvernance future.

En excluant les dirigeants palestiniens de tout rôle futur à Gaza, le nouveau plan d’aide répond à la vision à long terme d’Israël, qui consiste à procéder à un nettoyage ethnique des Palestiniens.

L’appel du Premier ministre Benjamin Netanyahu à « créer une Gaza différente » reflète un objectif stratégique visant à déplacer de force la population palestinienne, à démanteler les structures de gouvernance existantes et à éliminer toute perspective d’émergence d’institutions palestiniennes alternatives.

Dans ce contexte, le déploiement d’entrepreneurs privés pour prendre en charge la structure de distribution de l’aide sert d’outil de réorganisation démographique et territoriale, reconfigurant l’espace administratif de Gaza en une extension externalisée du contrôle et de l’occupation israéliens.

Le rôle de plus en plus important des entrepreneurs privés américains, souvent composés d’anciens militaires, dans les secteurs de la sécurité et de l’aide à Gaza, marque un changement stratégique dans la manière dont le régime israélien prévoit de consolider son contrôle sur le territoire.

En externalisant des fonctions essentielles à des entités étrangères à but lucratif qui opèrent dans des cadres définis par le régime israélien, ces arrangements érodent les institutions palestiniennes et transforment l’aide humanitaire en arme.

En effet, la militarisation et la privatisation de l’aide et de la sécurité à Gaza ne sont pas des caractéristiques temporaires et ponctuelles de la campagne génocidaire d’Israël. Elles font au contraire partie intégrante d’une stratégie coloniale systématique visant à démanteler les institutions civiles palestiniennes et à réorganiser le paysage politique de Gaza en une extension externalisée du contrôle militaire israélien, administrée par des entrepreneurs privés américains.

Recommandations

Pour résister à cette tentative de redessiner le paysage humanitaire afin qu’il serve les plans coloniaux du régime israélien, les acteurs internationaux, régionaux et locaux qui exercent une influence directe ou indirecte sur la gouvernance, la réponse humanitaire et l’avenir politique de Gaza devraient prendre en considération les recommandations suivantes.

  • Reconstruire et renforcer les structures de gouvernance locale :
    Donner la priorité à l’aide aux institutions dirigées par les Palestiniens, en veillant à ce qu’elle renforce, plutôt que de contourner, les cadres locaux de gouvernance et de sécurité. Mettre en place des mécanismes permettant une participation significative des Palestiniens à la conception, à la mise en œuvre et au contrôle des efforts humanitaires.

  • Supprimer progressivement les entrepreneurs privés étrangers
    Élaborer un plan assorti d’un calendrier pour supprimer progressivement les entrepreneurs privés étrangers, en transférant des responsabilités telles que la logistique, la distribution de l’aide et la sécurité à des institutions palestiniennes responsables. Soutenir cette transition par une aide technique et financière internationale ciblée afin de renforcer les capacités locales.
  • Démilitariser l’aide et les infrastructures humanitaires
    Réaffirmer la neutralité, l’impartialité et l’indépendance des systèmes d’aide humanitaire et rétablir d’urgence les opérations de l’UNRWA, seul organisme actuellement en mesure d’assurer une aide efficace à grande échelle à Gaza.
  • Soutenir la défense juridique et politique de la souveraineté
    Rejeter les modèles qui renforcent le contrôle indirect d’Israël ou l’administration extérieure à Gaza. Défendre l’autonomie politique et l’intégrité territoriale des Palestiniens par des actions juridiques et diplomatiques internationales, et résister à la normalisation de la gouvernance externalisée sous occupation.

  • Lier l’aide internationale à l’autodétermination
    Subordonner l’aide des donateurs à des engagements fermes en faveur d’une gouvernance et d’une prestation de services dirigées par les Palestiniens. L’aide doit favoriser l’autodétermination des Palestiniens et ne pas être utilisée à des fins de manipulation politique ou pour renforcer l’occupation et le contrôle venu de l’étranger.

10 juin 2025 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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