Israël veut-il faire mourir Khader Adnan ?

Photo : Archives (2017)

Par Mariam Barghouti

La grève de la faim de Khader Adnan, qui proteste contre son emprisonnement par Israël, dure depuis plus de 80 jours et sa vie est en danger. « Cette fois, c’est différent, il ressent les effets des grèves de la faim précédentes », déclare sa femme Randa Moussa.

Le 24 avril, Khader Adnan, 44 ans, gréviste de la faim et militant politique palestinien, s’est évanoui devant les caméras lors de son audience devant le tribunal militaire.

« Les quelques mots qu’il a pu prononcer pendant l’audience étaient ‘Je veux parler à Randa’, mais immédiatement après, la vidéoconférence a été coupée et l’écran est devenu noir”, a déclaré Randa Moussa, 41 ans, l’épouse de Khader Adnan, à Mondoweiss.

Depuis près de 81 jours, Khader Adnan est en grève de la faim, protestant contre sa détention politique par Israël. Malgré des inquiétudes médicales pour sa vie, Adnan est toujours détenu à l’hôpital de la prison de Ramleh.

« J’ai peur cette fois-ci », a déclaré Mme Moussa en pensant à l’état de son mari. « Cette fois-ci n’est pas comme les autres, il ressent les effets de toutes les grèves de la faim précédentes. »

La veille de la fête de l’Aïd al-Fitr, le 21 avril, Mme Moussa s’est rendue avec les neuf enfants d’Adnan à Arrabah, à 12 kilomètres au sud-ouest de Jénine, et les a emmenés à Ramallah, à près de 140 kilomètres de là.

« Lorsque nous sommes arrivés ici, c’était un moment douloureux », a expliqué Mme Moussa, assise sur une chaise en plastique lors d’un rassemblement en faveur d’Adnan en plein centre-ville de Ramallah, à quelques kilomètres du siège de l’Autorité palestinienne.

« Nous ne nous sommes pas levés à l’aube pour simplement nous asseoir ici sur le trottoir », a-t-elle expliqué à Mondoweiss. « Nous sommes ici dans le but d’envoyer un message », a-t-elle ajouté.

Une douzaine d’arrestations et trois grèves de la faim plus tard

Cheikh Khader Adnan est originaire de la ville d’Arrabah, dans le district de Jénine. Lui et sa femme, Randa, ont neuf enfants. La plus jeune, Zainab, a un an et demi, tandis que l’aînée, Maali, a 14 ans. Adnan est publiquement affilié au Jihad islamique palestinien (PIJ), groupe politique militant formé par des étudiants palestiniens dans les années 1980 en Égypte.

Le PIJ et ses membres sont devenus la cible principale des assassinats ciblés israéliens depuis l’année dernière, car le PIJ a été impliqué dans l’incitation à la montée des groupes de résistance armée en Cisjordanie, en particulier dans des villes comme Naplouse et Jénine.

Contrairement aux arrestations précédentes d’Adnan, qui étaient souvent arbitraires et menées sans inculpation ni procès, Israël a présenté une liste d’inculpation contre ce militant de 44 ans.

« Le tribunal a recueilli 25 dépositions contre lui », a expliqué Moussa à Mondoweiss. « Ce sont des dépositions qui disent qu’il est un dirigeant du PIJ et un militant dans le cas des détenus palestiniens, criant des slogans lors des manifestations », a-t-elle poursuivi.

Adnan n’est pas un combattant armé. S’il l’était, il serait quelqu’un vivant sous occupation exerçant son droit de résister par les armes à une occupation illégale, et devrait donc se voir conférer le statut de prisonnier de guerre. Or, Adnan est accusé de deux chefs d’accusation : association avec une organisation politique et participation à des manifestations non violentes contre les crimes israéliens contre l’humanité – ce qui revient à dire qu’il est jugé pour son affiliation et son engagement politiques, des droits consacrés par le droit international.

« Cette détention a été très difficile pour Khader », expliquait Moussa alors que leur fils, Omar, courait avec un pistolet à eau dans les rues animées de Ramallah à la veille de la fête musulmane. « De nombreuses pressions ont été exercées sur Khader », a-t-elle poursuivi. « Il a été emmené pendant plus de 38 jours au centre d’interrogatoire de Jalameh et dans ses cellules. »

Randa Moussa, épouse de Khader Adnan, avec son fils Omar, sur la place al-Manara à Ramallah lors d’un sit-in de soutien à son époux – Photo : Mariam Barghouti/Mondoweiss

Le centre d’interrogatoire de Jalameh et ses installations « médicales » sont connus pour leurs abus et, dans certains cas, des détenus palestiniens y ont trouvé la mort. En novembre 2019, Sami Abu Dweik est mort aux mains des services pénitentiaires israéliens dans le centre médical de Jalameh.

Cinq autres détenus palestiniens sont également décédés cette année-là à l’intérieur des prisons israéliennes en raison de la négligence intentionnelle du personnel militaire et des médecins israéliens.

Pourtant, la punition qu’Israël inflige à Adnan ne se limite pas à lui. Sa famille et ses enfants ont été confrontés au harcèlement des militaires la nuit de l’arrestation d’Adnan, le 5 février. « Ils ont envahi notre maison d’une manière tellement barbare », dit Moussa à Mondoweiss, se souvenant de l’invasion de février au cours de laquelle Adnan a été arrêté.

« Notre maison a trois étages, et lorsqu’ils sont entrés dans la maison, ils ont ravagé le premier et le deuxième étage afin de provoquer un sentiment de terreur et d’effrayer les enfants », a-t-elle dit.

« Ils prenaient un placard et le vidait, ils prenaient les étagères à l’intérieur et les jetaient au sol », a poursuivi Mme Moussa en décrivant la soirée de février. « Les canapés, ils les ont tous fendus par le bas. »

Alors que les soldats saccageaient leur maison, le commandant a menacé Moussa après que Khader Adnan leur a dit qu’il n’avait pas de téléphone sur lui. Le [commandant] a commencé à me crier : « Je vais détruire toute votre maison », a-t-elle raconté. Je lui ai répondu : « Vas-y, la maison a besoin d’être remise à neuf de toute façon ».

« Malgré tout, je n’ai pas quitté Khader des yeux parce que j’avais peur pour lui », a poursuivi Mme Moussa en décrivant le raid et l’arrestation du 5 février.

Ses inquiétudes n’étaient pas sans fondement. Plus tôt dans la nuit de l’arrestation d’Adnan, le couple s’était rendu à l’hôpital en raison de complications gastro-intestinales dont souffrait Adnan, avec une possibilité d’hémorragie interne dans l’estomac ainsi qu’une tension artérielle irrégulière.

« Les Israéliens l’avaient opéré, il avait alors 12 points de suture », nous dit Moussa, expliquant qu’il s’agissait des conséquences de la première grève de la faim d’Adnan en 2011-2012, au cours de laquelle les intestins et l’estomac d’Adnan avaient été endommagés.

Après sa troisième grève de la faim en 2018, il a subi une opération de la vésicule biliaire et une opération pour des adhérences intestinales. En 2021, lorsqu’il a entamé une grève de la faim de 25 jours, son état de santé s’est dégradé et il a été hospitalisé en soins intensifs pendant trois jours.

Pourtant, la seule préoccupation des soldats israéliens était de traiter Adnan en criminel et de terroriser sa famille lors de sa dernière arrestation.

« Le commandant a pris les enfants, tous les neuf, et les a mis dans la chambre à coucher, et a gardé Khader dans le salon », se souvient Moussa. « Le commandant a commencé à expliquer aux enfants que leur père était un terroriste, qu’il faisait commerce du sang, qu’il envoyait des gens tuer des juifs et qu’il incitait à la haine contre les juifs. Il s’est assuré que Khader l’entendait depuis la pièce adjacente », a déclaré Moussa.

Affamé de liberté

Adnan a déjà été arrêté 13 fois par l’armée israélienne avant sa dernière arrestation, le 5 février. Au cours de plusieurs de ces arrestations, il a déjà mené trois grèves de la faim distinctes qui lui ont permis d’échapper à la détention administrative, qui consiste à emprisonner des Palestiniens sans inculpation ni jugement, sans limites de temps.

Dans l’histoire récente de la Palestine, les grèves de la faim ont été menées comme une forme de protestation, soit par des prisonniers individuels, soit de façon collective par des groupes de prisonniers.

Nombre de ces grèves ont été menées dans le but de permettre aux Palestiniens de reprendre le contrôle de leur vie et de leur corps.

Dans ces circonstances, l’épuisement lent et progressif de leur santé physique devient une bataille de volonté, dont le point final n’est pas guidé par l’inéluctabilité de la mort, mais par la perspective de survivre assez longtemps pour être libre, même si cela signifie devoir souffrir de nouveaux maux physiques, tant que ce n’est pas en étant enchaîné à un mur de béton.

Mais les grévistes de la faim ne sont pas seulement confrontés au défi de la privation nutritionnelle, ils doivent aussi endurer les pressions et les mauvais traitements incessants des autorités pénitentiaires israéliennes.

Il y a un peu plus de dix ans, le 21 février 2012, un accord a été conclu entre trois parties : les services pénitentiaires israéliens, l’armée et le système judiciaire israéliens, et Khader Adnan. À l’époque, Adnan n’avait que 34 ans et était sorti victorieux d’une grève de la faim de 66 jours – à ce moment-là, la plus longue grève d’un Palestinien.

En 2015, il a entamé une autre grève de la faim qui a duré 54 jours, puis en 2018, où il a refusé de s’alimenter pendant près de 60 jours. Depuis, le record d’Adnan a été dépassé par au moins dix grévistes de la faim palestiniens, le record le plus élevé appartenant à Samer Issawi, qui a fait une grève de la faim pendant 266 jours.

« Les tribunaux israéliens maintiendront Khader à l’hôpital de la prison de Ramleh », a expliqué Moussa à Mondoweiss. « La raison pour laquelle ils le gardent en prison est qu’ils ont besoin de le nourrir de force, parce que les médecins des autres hôpitaux israéliens n’acceptent pas l’alimentation forcée, mais en prison ils le font », a-t-elle ajouté.

26 avril 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine