Un gouvernement d’extrême-droite avec Netanyahu à sa tête ne dérangera nullement l’Occident

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Jérusalem - Forces israéliennes d'occupation s'acharnant sur un manifestant palestinien - Photo: Archives

Par Jonathan Cook

L’État Israël n’est pas soudainement devenu plus raciste. C’est plutôt qu’il craint de moins en moins que le monde entier ne voit son racisme.

Ce qui est le plus inquiétant dans le résultat des élections générales israéliennes de cette semaine n’est pas le fait qu’un parti ouvertement fasciste ait remporté le troisième plus grand nombre de sièges, ni qu’il soit sur le point de devenir la cheville ouvrière du prochain gouvernement. C’est le peu d’effet que cela produira en Israël ou à l’étranger.

Certes, la politique israélienne sera encore plus impudente, brutale et intransigeante maintenant que le Sionisme religieux est au cœur du gouvernement. Mais cela ne changera rien au suprémacisme ethnique qui guide la politique israélienne depuis des décennies.

Israël n’est pas devenu soudain un État plus raciste. Il est simplement de plus en plus sûr qu’il n’a plus besoin de cacher son racisme au reste du monde. Et le monde – ou du moins la partie du monde qui se définit avec arrogance comme la Communauté internationale – se prépare à lui confirmer qu’il a parfaitement raison d’en être sûr.

De fait, l’attitude de l’Occident à l’égard du prochain gouvernement de coalition israélien ne sera pas différente de celle qu’il a adoptée à l’égard des gouvernements supposés moins corrompus qui l’ont précédé.

En privé, l’administration Biden aux États-Unis a fait savoir aux dirigeants israéliens qu’elle n’appréciait pas que les partis fascistes occupent une place aussi importante au sein du gouvernement, surtout parce que leur présence risque de mettre en lumière l’hypocrisie de Washington et d’embarrasser les alliés du Golfe. Mais il ne faut pas compter que Washington fasse quoi que ce soit de concret.

Il n’y aura pas de déclarations appelant à ostraciser le gouvernement israélien et à le traiter en paria, ni de démarches visant à le sanctionner ou à couper le flux des milliards de dollars d’aides que les États-Unis lui accordent chaque année.

Dans un Washington encore marqué par les retombées des émeutes du 6 janvier, personne n’osera dire que la démocratie israélienne a été sabotée de l’intérieur.

De même, on n’exigera pas d’Israël qu’il s’engage à mieux protéger les Palestiniens qui vivent sous son régime militaire, et on ne relancera pas les efforts pour forcer l’État hébreu à s’asseoir à la table des négociations.

On traînera un peu les pieds et on refusera peut-être symboliquement de rencontrer les ministres des partis fascistes, et puis les affaires continueront comme d’habitude – l'”habitude” étant l’oppression et le nettoyage ethnique des Palestiniens.

Mort et enterré

Il ne faut minimiser l’importance des résultats. Meretz, le seul parti juif qui affirme préférer la paix aux droits des colons israéliens, semble ne pas avoir réussi à franchir le seuil électoral. Le minuscule camp de la paix israélien semble désormais mort et enterré.

L’extrême droite laïque, l’extrême droite des colons et la droite religieuse fondamentaliste ont obtenu 70 des 120 sièges du Parlement, même s’ils ne sont pas tous prêts à siéger ensemble du fait de querelles intestines. Cela suffira, cependant, pour garantir le sixième retour au pouvoir de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, un record.

Il est pratiquement certain qu’Itamar Ben-Gvir aura une position centrale dans le nouveau gouvernement, son parti représentant l’héritage brutal et ouvertement suprématiste du célèbre rabbin Meir Kahane, qui souhaitait expulser les Palestiniens de leur patrie.

Netanyahu sait qu’il doit son retour en force à l’étonnante ascension de Ben-Gvir et des kahanistes – et il lui faudra les récompenser.

Plusieurs dizaines d’autres sièges à la Knesset sont détenus par des partis juifs qui appartiennent à la droite largement laïque et militariste. Leurs élus soutiennent assidûment ce qui équivaut maintenant à un siège de 15 ans de Gaza et de ses deux millions d’habitants palestiniens, ainsi que le bombardement intermittent de l’enclave côtière pour la “faire revenir à l’âge de pierre”.

Ni le Parti juif ni aucun de ces partis ne préfèrent une solution diplomatique à l’asservissement permanent des Palestiniens, au nettoyage ethnique progressif de Jérusalem et à l’enracinement des colonies en Cisjordanie occupée.

Ces partis de droite militaristes, qui ont remporté la victoire dans les urnes il y a 19 mois, ont supervisé ce que les Nations unies ont récemment décrit comme “l’année la plus meurtrière” pour les Palestiniens depuis 2005, date à laquelle l’ONU a commencé à compiler ces chiffres. Quand ils étaient au pouvoir, ils ont interdit six organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme, affirmant sans preuve qu’elles étaient des organisations terroristes.

Néanmoins, les capitales occidentales vont maintenant prétendre que ces partis d’opposition représentent un espoir – même lointain – d’une percée vers la paix.

Dans cette mer de suprémacisme juif absolu, il y aura 10 élus appartenant à deux partis non sionistes à majorité arabe, représentant un cinquième de la population d’Israël.

S’ils parviennent à faire entendre leur voix au milieu du vacarme du racisme anti-palestinien au Parlement, ils seront les seuls à défendre une cause que la Communauté internationale considère comme chère à son cœur : la solution à deux États.

Un épisode de clarification

Le succès de la coalition du Pouvoir juif et du Sionisme religieux, qui a remporté 14 sièges, a permis de clarifier certaines choses. Lors de cette élection, le Sionisme politique, l’idéologie d’État d’Israël, a révélé ce qu’il était vraiment : un spectre étroit d’ignobles croyances suprémacistes ethniques.

En particulier, la progression de Ben-Gbir et de son parti va déchirer le masque d’Israël et de ses soutiens à l’étranger qui prétendent qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient, sous entendant par là qu’il est un avant-poste de la civilisation occidentale dans un Moyen-Orient primitif à la moralité sommaire.

Ben-Gvir et ses alliés au gouvernement font la preuve que le soutien occidental à Israël n’a rien à voir avec ses prétentions démocratiques ou morales. C’est, depuis toujours, en sa qualité d’avant-poste colonial de l’Occident qu’Israël a été financé. Theodor Herzl, le père du sionisme, a décrit le rôle du futur Israël : “un rempart de l’Europe contre l’Asie, un avant-poste de la civilisation par opposition à la barbarie”.

L’objectif central du Sionisme, qui consiste à remplacer la population palestinienne autochtone par des arrivants juifs, au titre de leur droit ancestral sur la terre de Palestine, est resté le même, quel que soit le dirigeant d’Israël. Le conflit au sein du sionisme a porté sur les moyens d’opérer ce remplacement de population sans encourir la réprobation des étrangers qui pourraient trouver à redire au racisme d’État d’Israël.

Au fil du temps, le Sionisme libéral est arrivé à la conclusion que, pour assurer la domination juive sur la terre, la meilleure solution était de parquer les Palestiniens dans des ghettos. Il s’agit du modèle d’apartheid que la Communauté internationale a tenté pendant trois décennies de rendre acceptable avec la solution à deux États.

Mais le Sionisme libéral n’a pas réussi à asservir les Palestiniens, et a maintenant été efficacement balayé de la scène politique israélienne par le triomphe du Sionisme révisionniste. C’est à cette idéologie que souscrit une nette majorité du nouveau parlement.

Face à la résistance palestinienne et à l’échec du Sionisme libéral, le Sionisme révisionniste offre une solution plus satisfaisante. Il préfère revendiquer clairement la suprématie juive, de droit divin ou pas, sur tout le territoire. Il stipule que si les Palestiniens refusent d’accepter leur statut de citoyen de troisième classe, ils perdent tous leurs droits et créent les conditions de leur propre expulsion.

Le changement en Israël

Pour les Palestiniens, la différence entre Ben-Gvir et les élus des autres partis aux côtés desquels il siégera au gouvernement, sera principalement l’audace avec laquelle il ne manquera pas d’embarrasser l’Occident – et les partisans sionistes libéraux d’Israël – en affichant des opinions indéniablement racistes.

Pour autant que Ben-Gvir représente un changement, ce ne sera pas sur les politiques mises en œuvre dans les territoires occupés. Elles se poursuivront comme avant, bien qu’il puisse donner du fil à retordre à Netanyahu sur la question de l’annexion, car il veut, comme beaucoup dans le propre parti de Netanyahu, annexer toute la Palestine et pas seulement des fractions.

C’est plutôt à l’intérieur d’Israël que se fera sentir l’influence de Ben-Gvir. Il veut le portefeuille de la sécurité publique afin de transformer la police nationale en une milice à son image, en prenant exemple sur les colons qui ont pénétré avec succès l’armée israélienne et en ont pris progressivement le contrôle.

Cela accélérera et augmentera la coopération entre la police et les groupes de colons armés, et permettra de légitimer toutes les violences, légales ou non, commises contre la grande minorité de citoyens palestiniens vivant en Israël. Cela permettra également à Ben-Gvir et à ses alliés de sévir contre les “déviants” au sein de la société juive : ceux qui sont en désaccord sur des questions religieuses, sexuelles ou politiques.

Les partis fascistes du futur gouvernement de Netanyahu vont s’appuyer sur les discours d’incitation à la haine qui visent les citoyens palestiniens israéliens, pour les qualifier de cinquième colonne et justifier leur expulsion d’Israël. Et ce ne sera pas une nouveauté : des dirigeants et des ministres antérieurs ont laissé entendre que les Palestiniens qui vivent en Israël étaient intrinsèquement des traîtres, ont comparé les citoyens palestiniens au “cancer” ou à des “cafards” et appelé à leur expulsion.

D’ailleurs, Avigdor Lieberman, ministre dans plusieurs gouvernements, a, depuis longtemps, un plan pour redessiner les frontières d’Israël afin de refuser la citoyenneté à des fractions de la minorité palestinienne.

Au cours de l’été, Ben-Gvir a loué un sondage d’opinion qui montrait que près des deux tiers des Juifs israéliens étaient favorables à la législation qu’il proposait pour expulser les citoyens palestiniens “déloyaux” de l’État et leur retirer la citoyenneté. Les autres partis juifs, qui ont chacun leur propre version du suprémacisme ethnique, auront du mal à contrer la rhétorique de Ben-Gvir.

Un test difficile

Tout cela constituera un test difficile pour les partisans d’Israël en Europe et aux États-Unis. La plupart d’entre eux se voient comme des Sionistes libéraux, même si leur aile du sionisme a été éradiquée en Israël il y a quelque temps.

Les Sionistes libéraux juifs affirment invariablement qu’Israël est au cœur de leur identité. Ils ont milité pour que la moindre critique d’Israël soit considérée comme de l’antisémitisme. Une attaque contre Israël est une attaque contre l’identité juive, affirment-ils, et constitue donc de l’antisémitisme.

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) a suivi cette logique lorsqu’elle a rédigé une nouvelle définition de l’antisémitisme – une définition qui a été largement adoptée par les partis politiques occidentaux, les autorités locales et les universités.

Parmi les exemples d’antisémitisme cités par l’IHRA, on peut citer le fait de qualifier Israël d'”entreprise raciste”, de comparer ses actions à celles des nazis (même si des partis réellement fascistes dictent les politiques israéliennes) ou d’exiger d’Israël “un comportement que l’on n’attend pas ou que l’on n’exige pas d’une autre nation démocratique” (vu tout ce qu’Israël a déjà fait, on se demande ce qu’il faudrait qu’il fasse de plus pour qu’on cesse de le considérer comme “une nation démocratique comme une autre”).

Ceux qui ont refusé d’adopter la définition de l’IHRA, comme l’ancien leader travailliste britannique Jeremy Corbyn, ont subi de plein fouet la colère des Sionistes libéraux, tout comme ceux qui font campagne pour le boycott d’Israël. Ce sont les Sionistes libéraux qui ont mis fin aux actions militantes du Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Les partisans d’Israël vont-ils contester la définition de l’IHRA ou Israël, alors que Ben-Gvir siège dans un gouvernement où il représente une grande partie de la population israélienne ? Je vous parie que non.

Si Ben-Gvir oblige les soutiens d’Israël à choisir entre le suprémacisme ethnique et le libéralisme de leur sionisme, la plupart choisiront le premier. Ce qui se passera, comme cela s’est produit tant de fois auparavant, c’est que le glissement vers la droite d’Israël sera rapidement normalisé. Avoir des partis fascistes au sein du gouvernement deviendra bientôt une banalité.

Pire encore, Ben-Gvir servira de couverture aux autres politiciens d’extrême droite que les États-Unis et l’Europe pourront alors présenter comme des modérés, des hommes et des femmes de paix, des adultes sérieux et responsables.

4 novembre 2022 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet