
Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Tareq S. Hajjaj
La ainsi-nommée Fondation humanitaire de Gaza [GHF] financée par Israël et les États-Unis, a déclaré que sa distribution jeudi serait réservée aux femmes palestiniennes. Des témoins directs affirment que le personnel de la GHF a utilisé du gaz poivré et des matraques contre elles, et que deux femmes ont été tuées.
Dans une démarche inhabituelle depuis le début de ses opérations, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF) a annoncé sur sa page Facebook que la distribution d’aide serait ce jour réservée exclusivement aux femmes.
La distribution devait avoir lieu à deux endroits dans le sud de Gaza : le quartier saoudien de Rafah et la ville de Khan Younis. L’appel de la GHF demandait aux femmes de Gaza de se rendre à ces endroits à 9 heures du matin.
« Notre équipe locale guidera les femmes vers une zone désignée où chacune recevra un colis », disait la GHF dans son annonce en arabe, accompagnée de ce qui semble être une photo générée par IA, montrant des employés masculins de la GHF souriants, tenant des boîtes et accueillant un groupe de femmes qui s’approchent d’eux.
« Les hommes sont priés d’éviter le site pendant cette distribution », ajoutait le communiqué.
Mais lorsque les femmes sont arrivées, le personnel de la GHF les a attaquées avec du gaz poivré et des matraques, tandis que des véhicules militaires israéliens ouvraient le feu au-dessus de leurs têtes, ont déclaré des témoins directs dans des témoignages obtenus par Mondoweiss.
Une femme qui se trouvait sur place a déclaré avoir vu un employé de la GHF frapper une femme enceinte au ventre. D’autres témoins oculaires ont rapporté à des journalistes locaux que deux femmes avaient été abattues par l’armée israélienne et que plusieurs autres avaient été blessées.
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Au moment où nous écrivons ces lignes, le ministère de la Santé de Gaza n’a pas publié de rapport détaillé sur l’incident, mais a publié un communiqué séparé confirmant deux décès dus à la malnutrition au cours des dernières 24 heures.
Les femmes venaient de tout le sud de Gaza – al-Nuseirat, Deir al-Balah, Khan Younis, Rafah et al-Mawasi – et se sont rassemblées dans le quartier saoudien de Rafah, qui est sous le contrôle total de l’armée israélienne.
Le point de distribution est situé à au moins cinq kilomètres de la zone habitée la plus proche, ce qui signifie que toute femme arrivant sur place avec un colis de nourriture pesant au moins dix kilos devait parcourir cinq kilomètres à pied, épuisée par la malnutrition.
Des images obtenues par Mondoweiss montrent des dizaines de milliers de femmes épuisées et affamées, visiblement très fatiguées et à bout de forces, s’effondrant presque alors qu’elles se rendent chercher de la nourriture. Certaines tirent leurs enfants avec elles.
Selon plusieurs témoignages relayés par des journalistes locaux, la GHF n’a absolument pas tenu compte de ces circonstances et semblait plus soucieuse de filmer son personnel en train de distribuer les boîtes afin de prouver sa « mission humanitaire », ont déclaré des témoins sur place.
Les témoignages suggèrent que ce qui est arrivé aux femmes reflète des incidents précédents impliquant des hommes qui tentaient de récupérer de la nourriture, dans lesquels la GHF a été accusée d’attirer les gens vers ses points de distribution, où les forces israéliennes commettent ensuite ce que beaucoup qualifient de « massacres de l’aide » sous le couvert de la distribution humanitaire.
Selon le Bureau des médias du gouvernement à Gaza, le nombre de Palestiniens abattus depuis mai dernier par les forces israéliennes dans ou à proximité des centres de distribution du GHF, est supérieur à 1000, avec plus de 6000 blessés.
« Elle criait qu’elle était enceinte, mais personne ne l’a écoutée »
Raghad Abu Odeh, une personne qui a sollicité de l’aide lors de l’incident d’aujourd’hui, est arrivée sur les lieux à 5 heures du matin depuis Deir al-Balah. « Je viens d’une famille de neuf filles et un frère », explique-t-elle.
« Mon père a été touché à la tête dans l’un des centres d’aide il y a quelques semaines. Il est désormais alité et immobile. Lorsque nous avons appris que la distribution était réservée aux femmes, je me suis rendue sur place pour obtenir de quoi manger. Mais je n’ai vu aucune distribution de nourriture, c’était une distribution de mort. »
« L’organisation américaine avait déclaré que la distribution serait organisée et sécurisée, et que chaque femme recevrait un colis d’aide », a poursuivi Abu Odeh.
« Nous y sommes allées immédiatement, car nous mourons de faim tous les jours. Mais quand nous sommes arrivées, nous avons vu une Palestinienne se faire humilier, battre, asperger de gaz poivré, frapper à coups de matraque, et des balles ont été tirées au-dessus de nos têtes. »
Abu Odeh raconte que peu après leur arrivée au centre de distribution, des chars et des véhicules blindés israéliens qui étaient stationnés à l’extérieur ont avancé vers elles et ont ouvert le feu avec des mitrailleuses lourdes au-dessus de leurs têtes.
« Puis, des grenades lacrymogènes ont été lancées parmi nous, et des grenades assourdissantes ont été jetées directement sur nous », raconte-t-elle.
« Ils nous ont amenés ici pour nous humilier ouvertement. Je n’ai reçu aucune nourriture. Beaucoup de femmes qui sont venues n’ont rien reçu. Peut-être 1 sur 5 de celles qui sont arrivées ont obtenu quelque chose. Les autres ont été humiliées et battues », poursuit-elle.
Abu Odeh raconte avoir vu une femme enceinte « se débattre et saigner » au milieu de la foule, « en raison du chaos généralisé et de la peur d’être abattue ». Elle raconte ensuite qu’un membre du personnel de la GHF « l’a frappée à plusieurs reprises au ventre avec une matraque ».
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« Elle criait qu’elle était enceinte, mais personne ne l’écoutait. Au lieu de cela, ils l’ont frappée encore plus jusqu’à ce qu’elle s’effondre au sol. Certaines femmes ont réussi à la tirer de là et elle a été emmenée à l’hôpital », explique Abu Odeh.
Abu Odeh décrit également comment les employés de la GHF ont aspergé les femmes au visage avec du gaz poivré « jusqu’à ce qu’elles brûlent », et raconte également les « insultes obscènes » qui leur ont été lancées par le personnel qui parlait en arabe.
« Pourquoi nous a-t-on appelés ici ? Pour être humiliés de toutes les manières possibles ? », s’indigne Abu Odeh. « Nous ne voulons pas de leur aide. Nous voulons qu’ils ferment cet endroit et que la distribution de nourriture redevienne comme avant l’arrivée de cette organisation et de ses armes meurtrières — cela ne nous nourrit pas, cela nous tue. »
« Qu’ils nous tuent tous d’un coup et mettent fin à cette tragédie, ou qu’ils trouvent un autre moyen », poursuit Abu Odeh. « Ouvrez les points de passage et laissez entrer la nourriture par des moyens humanitaires qui ne portent pas atteinte à notre dignité. Nous sommes tous fatigués. Fatigués de la faim, de la trahison et de l’oppression. Nous ne pouvons plus supporter cela. »
« Y a-t-il une mère quelque part dans le monde qui puisse ressentir ce que ressent une mère palestinienne, elle qui était autrefois le symbole de la dignité, de la force et de la résilience ? », s’interroge Abu Odeh.
« Est-ce là ce qu’elle est devenue aujourd’hui ? Nous vivons désormais d’eau et de sel pour empêcher nos intestins de se décomposer. »
« C’est tout ce que nous avons : de l’eau et du sel », ajoute-t-elle.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
24 juillet 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine
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