
10 juin 2025 - La fille de Khaled Al Daghma, Lynn, pleure la mort de son père, qui a été tué avec quatre autres Palestiniens par les forces coloniales israéliennes alors qu'ils se rendaient à Rafah pour récupérer de la nourriture et de l'« aide humanitaire ». Khaled laisse derrière lui sa femme et leurs cinq enfants : Lynn, Lian, Muhammad, Hiba et Ahmed. Au moins cinq personnes ont été tuées et plus de 100 blessées lors du dernier incident au cours duquel les troupes israéliennes ont ouvert le feu sur des Palestiniens affamés qui cherchaient de l'aide dans le sud de Gaza - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Chris Hedges
Le génocide est presque achevé. Lorsqu’il sera terminé, il aura non seulement décimé les Palestiniens, mais il aura également révélé la faillite morale de la [prétendue] civilisation occidentale.
C’est la fin. Le dernier chapitre sanglant du génocide. Ce sera bientôt terminé. Dans quelques semaines. Tout au plus. Deux millions de personnes campent parmi les décombres ou à ciel ouvert.
Chaque jour, des dizaines de personnes sont tuées ou blessées par les obus, les missiles, les drones, les bombes et les balles israéliens. Elles manquent d’eau potable, de médicaments et de nourriture. Elles ont atteint le point de rupture.
Malades. Blessées. Terrifiées. Humiliées. Abandonnées. Démunis. Affamées. Désespérées.
Dans les dernières pages de cette histoire d’horreur, Israël appâte sadiquement les Palestiniens affamés avec des promesses de nourriture, les attirant vers l’étroite bande de terre encombrée de 15 kilomètres qui borde l’Égypte.
Israël et sa fondation cyniquement baptisée Gaza Humanitarian Foundation (GHF), prétendument financée par le ministère israélien de la Défense et le Mossad, utilise la famine comme une arme. Elle attire les Palestiniens vers le sud de Gaza comme les nazis attiraient les Juifs affamés du ghetto de Varsovie pour les embarquer dans des trains à destination des camps de la mort.
L’objectif n’est pas de nourrir les Palestiniens. Personne ne prétend sérieusement qu’il y ait suffisamment de nourriture ou de centres d’aide. L’objectif est de parquer les Palestiniens dans des camps fortement gardés et de les expulser.
Que va-t-il se passer ensuite ? J’ai depuis longtemps cessé d’essayer de prédire l’avenir. Le destin a le don de nous surprendre. Mais il y aura une explosion humanitaire finale dans le carnassier humain qu’est Gaza.
Nous le voyons avec les foules de Palestiniens qui se battent pour obtenir un colis alimentaire, ce qui a conduit des mercenaires israéliens et américains à tuer au moins 130 personnes et à en blesser plus de 700 autres au cours des huit premiers jours de distribution de l’aide.
Nous le voyons avec Benjamin Netanyahu qui arme des gangs liés à Daech à Gaza pour piller les réserves alimentaires.
Israël, qui a éliminé des centaines d’employés de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), des médecins, des journalistes, des fonctionnaires et des policiers dans le cadre d’assassinats ciblés, a orchestré l’implosion de la société civile.
Je soupçonne Israël de vouloir ouvrir une brèche dans la barrière le long de la frontière égyptienne. Des Palestiniens désespérés se précipiteront dans le Sinaï égyptien. Peut-être que cela se terminera autrement. Mais cela prendra fin bientôt. Les Palestiniens ne peuvent plus en supporter davantage.
Nous, qui participons pleinement à ce génocide, aurons atteint notre objectif démentiel de vider Gaza et d’étendre le « Grand Israël ».
Nous baisserons le rideau sur le génocide retransmis en direct. Nous nous serons moqués des programmes universitaires omniprésents sur l’Holocauste, conçus, en fin de compte, non pas pour nous donner les moyens de mettre fin aux génocides, mais pour déifier Israël en tant que victime éternelle autorisée à procéder à des massacres.
Le mantra « plus jamais ça » est une plaisanterie. Le fait de comprendre que lorsque nous avons la capacité d’arrêter un génocide et que nous ne le faisons pas, nous sommes coupables, ne s’applique pas à nous. Le génocide est une politique publique. Approuvée et soutenue par nos deux partis au pouvoir.
Il n’y a plus rien à dire. C’est peut-être le but. Nous rendre muets. Qui ne se sent pas paralysé ? Et peut-être que c’est aussi le but. Nous paralyser.
Qui n’est pas traumatisé ? Et peut-être que cela aussi était prévu. Rien de ce que nous faisons, semble-t-il, ne peut arrêter les massacres. Nous nous sentons sans défense. Nous nous sentons impuissants. Le génocide comme spectacle.
J’ai arrêté de regarder les images. Les rangées de petits corps recouverts d’un linceul. Les hommes et les femmes décapités. Les familles brûlées vives dans leurs tentes. Les enfants qui ont perdu des membres ou sont paralysés. Les masques mortuaires crayeux de ceux qui ont été tirés des décombres. Les cris de douleur. Les visages émaciés. Je ne peux pas.
Ce génocide nous hantera. Il résonnera dans l’histoire avec la force d’un tsunami. Il nous divisera à jamais. Il n’y a pas de retour en arrière possible.
Et comment nous en souviendrons-nous ? En réécrivant l’histoire.
Une fois que tout sera terminé, tous ceux qui l’ont soutenu, tous ceux qui l’ont ignoré, tous ceux qui n’ont rien fait, réécriront l’histoire, y compris leur histoire personnelle.
Il était difficile de trouver quelqu’un qui admette avoir été nazi dans l’Allemagne d’après-guerre, ou membre du Ku Klux Klan après la fin de la ségrégation dans le sud des États-Unis.
Une nation d’innocents. Des victimes, même. Ce sera la même chose. Nous aimons penser que nous aurions sauvé Anne Frank. La vérité est tout autre. La vérité, c’est que, paralysés par la peur, nous ne sauverons presque tous que nous-mêmes, même au détriment des autres.
Mais c’est une vérité difficile à accepter. C’est la véritable leçon de l’Holocauste. Mieux vaut l’effacer.
Dans son livre « One Day, Everyone Will Have Always Been Against This » [Un jour, tout le monde aura toujours été contre cela], Omar El Akkad écrit :
Si un drone vaporisait une âme anonyme à l’autre bout de la planète, qui parmi nous voudrait en faire toute une histoire ? Et si cette personne s’avérait être un terroriste ? Et si l’accusation par défaut s’avérait vraie et que nous étions implicitement qualifiés de sympathisants terroristes, ostracisés, insultés ? En général, les gens sont motivés avec le plus de zèle par la pire chose qui pourrait leur arriver. Pour certains, le pire scénario plausible pourrait être la fin de leur lignée dans une frappe de missile. Toute leur vie réduite en cendres, et tout cela justifié de manière préventive au nom de la lutte contre des terroristes qui sont considérés comme tels par défaut parce qu’ils ont été tués. Pour d’autres, le pire scénario plausible est d’être insulté.
Vous pouvez voir mon interview avec El Akkad ici.
On ne peut pas décimer un peuple, mener des bombardements intensifs pendant 20 mois pour détruire ses maisons, ses villages et ses villes, massacrer des dizaines de milliers d’innocents, imposer un siège pour provoquer une famine massive, chasser des gens de la terre où ils vivent depuis des siècles et ne pas s’attendre à des représailles.
Le génocide prendra fin. La riposte au règne de la terreur d’État va commencer. Si vous pensez que ce ne sera pas le cas, c’est que vous ne connaissez rien à la nature humaine ni à l’histoire. Le meurtre de deux diplomates israéliens à Washington et l’attaque contre des partisans d’Israël lors d’une manifestation à Boulder, dans le Colorado, ne sont qu’un début.
Chaim Engel, qui a participé au soulèvement du camp d’extermination nazi de Sobibor, en Pologne, a raconté comment, armé d’un couteau, il a attaqué un garde du camp.
« Ce n’était pas une décision », a expliqué Engel des années plus tard. « On réagit simplement, instinctivement, et je me suis dit : ‘Allons-y, faisons-le.’ Et j’y suis allé. Je suis allé avec l’homme du bureau et nous avons tué cet Allemand. À chaque coup, je disais : ‘C’est pour mon père, pour ma mère, pour tous ces gens, tous les juifs que vous avez tués.’ »
Qui peut s’attendre à ce que les Palestiniens agissent différemment ? Comment réagir quand l’Europe et les États-Unis, qui se présentent comme les fers de lance de la civilisation, ont soutenu un génocide qui a massacré leurs parents, leurs enfants, leurs communautés, occupé leurs terres et réduit leurs villes et leurs maisons en ruines ?
Comment peuvent-ils ne pas haïr ceux qui leur ont fait cela ?
Quel message ce génocide a-t-il envoyé non seulement aux Palestiniens, mais à tous les habitants du Sud ?
Il est sans équivoque. Vous n’avez aucune importance. Le droit humanitaire ne s’applique pas à vous. Nous nous moquons de vos souffrances, du meurtre de vos enfants. Vous êtes de la vermine. Vous ne valez rien. Vous méritez d’être tués, affamés et dépossédés. Vous devriez être rayés de la surface de la terre.
« Pour préserver les valeurs du monde civilisé, il est nécessaire de mettre le feu à une bibliothèque », écrit El Akkad :
Faire exploser une mosquée. Incinérer des oliviers. S’habiller avec les sous-vêtements des femmes qui ont fui, puis prendre des photos. Raser des universités. Piller des bijoux, des œuvres d’art, de la nourriture. Des banques. Arrêter des enfants pour avoir cueilli des légumes. Tirer sur des enfants qui jettent des pierres. Exhiber les prisonniers en sous-vêtements. Casser les dents d’un homme et lui enfoncer une brosse à WC dans la bouche. Lâcher des chiens d’attaque sur un homme trisomique puis le laisser mourir. Sinon, le monde barbare pourrait gagner.
Il y a des gens que je connais depuis des années et à qui je ne parlerai plus jamais. Ils savent ce qui se passe. Qui ne le sait pas ? Ils ne prendront pas le risque de s’aliéner leurs collègues, d’être taxés d’antisémites, de compromettre leur statut, d’être réprimandés ou de perdre leur emploi.
Ils ne risquent pas la mort, contrairement aux Palestiniens. Ils risquent juste de ternir les monuments pathétiques du statut et du bien-être qu’ils ont passé leur vie à construire. Des idoles. Ils s’inclinent devant ces idoles. Ils vénèrent ces idoles. Ils sont esclaves de ces idoles.
Aux pieds de ces idoles gisent des dizaines de milliers de Palestiniens assassinés.
Auteur : Chris Hedges
* Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient. Il a publié plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us Meaning (2002).
9 juin 2025 – Substack – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
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