
« Soutien inconditionnel à la résistance à l’occupation », « le peuple veut libérer la Palestine », ont scandé les manifestants à Rabat dimanche 15 octobre. Certains portaient à bout de bras d’immenses drapeaux palestiniens et appelaient à soutenir « Gaza et son sacrifice » - Photo : Fadel Senna, via MEE
Par Marie Schwab
Au moment où quatre générations disparaissent à Gaza, déchiquetées par les bombes israéliennes, écrasées par les tanks israéliens, affamées à mort par le blocus israélien, l’Europe continue de considérer la question palestinienne non comme un crime perpétuel contre l’humanité mais comme une crise à gérer à coups de déclarations et d’opérations cosmétiques.
Au moment où la résistance palestinienne est prête à des concessions sans précédent, l’occupant et ses soutiens posent le désarmement de la résistance comme préalable à toute solution.
Demander à la résistance de déposer les armes en dit si long sur nous. Sur notre propre soumission. Sur notre héritage colonialiste. Sur notre méconnaissance abyssale de la question palestinienne. Sur notre obstination à refuser de prendre le problème à la racine et de nommer la cause première : le projet colonial sioniste.
Mustafa Barghouti résume la situation ainsi : « La survie du peuple palestinien passe par la mise en échec du projet sioniste.»
Depuis 77 ans, Israël tue les enfants, les femmes, les hommes, les vieillards, les malades, les blessés, par les bombes, les balles, le feu. A présent Israël oblige les parents à assister à la lente agonie de leurs enfants par la faim.
Demandons à n’importe quel Palestinien, à n’importe quelle Palestinienne, à n’importe quel peuple ayant subi la répression coloniale ce qu’ils pensent de la reddition. Le droit à la résistance armée est un droit sacré.
« Les Palestiniens doivent cesser tandis qu’Israël continue à faire feu », formule le poète assassiné Refaat Alareer, qui explique l’opération Al-Aqsa Flood comme suit: « C’est l’insurrection du ghetto de Gaza. Nous savons qu’Israël va nous tuer, d’une manière ou d’une autre. L’occupant nous affame, nous assiège, nous dépossède, nous expulse. Israël veut nous mettre à genoux, alors autant nous battre en retour et mourir dans la dignité. » [The Gaza Ghetto Uprising]
Comprenons que capturer des Israéliens afin de les échanger contre les milliers d’otages palestiniens enfermés dans les prisons israéliennes est le seul moyen dont dispose la résistance pour en faire sortir ses enfants. Ils préféreraient ne pas avoir à le faire et les accompagner à l’école.
L’Occident fait semblant d’ignorer pourquoi le Hamas ne peut pas accepter de se rendre.
Exiger de la résistance qu’elle dépose les armes revient à dénier aux Palestiniens le droit de résister à leur propre extermination, au vol de leurs terres et de leurs maisons. C’est ne leur laisser le choix qu’entre la mort ou la reddition. Et leur enlever toute dignité.
«Vous disposez de l’armée la plus puissante de la région, d’une des armées les plus puissantes du monde. Vous combattez un groupe armé de second rang, doté d’armes rudimentaires bricolées sur place. En deux ans, vous n’avez pas réussi à le mettre en échec. En deux ans, vous avez été incapables d’atteindre ce que vous affirmiez être votre objectif premier. Et ensuite vous espérez obtenir à la table des négociations ce que vous n’avez pas réussi à obtenir sur le champ de bataille ? », pointe Moin Rabbani, analyste palestinien.
Le problème n’est pas tel ou tel groupe de résistance. Rappelons d’ailleurs que depuis octobre 2023, toutes les décisions concernant les pourparlers sont prises par l’ensemble des groupes palestiniens, armés ou non.
En rapportant tout au Hamas, que jamais ils ne rencontrent ni ne citent, en lui accolant systématiquement les épithètes dictées par Tel Aviv, médias et politiques occidentaux essaient de discréditer la résistance. Une résistance sans histoire ni visage, sans voix ni raison.
« Le Hamas n’est pas une entité étrangère qui aurait été implantée en Palestine. C’est un mouvement de libération nationale, islamique, parce que la société palestinienne est imprégnée par l’Islam. Ses membres ont passé leur vie entière dans un camp de concentration. Toute leur vie a été marquée par l’oppression et les assassinats, l’occupation et les invasions par Israël», rappelle Jeremy Scahill.
Les armes n’appartiennent pas à une faction, mais au peuple qui se soulève contre l’oppresseur. La lutte n’est pas le fait d’un groupe, mais de chaque sœur qui perd son frère, de chaque père qui enterre son enfant, de chaque enfant qui sait qu’il a le droit de connaître autre chose qu’une vie d’oppression, d’emprisonnements et de soumission.
« Avec notre âme, avec notre sang, nous honorerons votre mort, martyrs» : ce chant accompagne les funérailles des victimes de l’occupation depuis des décennies, dans toute la Palestine occupée.
« Peu importe combien d’entre nous ils tueront, le temps est avec nous. Nous n’abandonnerons pas notre terre », déclare Musa à l’enterrement de son fils de 18 ans assassiné à Mughayyir, à l’Est de Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Après 700 jours de génocide à Gaza, après 700 jours d’accélération de la colonisation en Cisjordanie, après 700 jours de politique de bombardements intempestifs sur le Liban, la Syrie, le Yemen, l’Iran, les Israéliens sont-ils plus en sécurité ?
Israël n’a jamais cherché la sécurité, et encore moins la paix. Depuis des décennies, à chaque proposition palestinienne, à chaque concession palestinienne, à chaque main tendue par les différents groupes de la résistance palestinienne, l’occupant a répondu par la violence et la répression.
Dès avant la proclamation de l’État d’Israël, les milices sionistes ne connaissaient qu’un mode d’expression : les attentas sanglants dans les marchés, les hôtels. En 1948, le groupe terroriste Lehi assassine le médiateur des Nations Unies Folke Bernadotte.
« Les Israéliens ont plus peur de la paix que de la guerre, car la paix signifierait l’égalité, la fin de l’apartheid, et rendre des comptes », résume l’analyste palestinien Mohammed Shehada.
L’oppresseur a toujours tort. Et il continue en toute impunité d’effacer un peuple. Prendre le « contrôle » de la ville de Gaza, pour l’occupant, ce n’est pas mettre un check-point aux entrées de la ville, ce n’est pas patrouiller de temps en temps en jeep pour montrer son autorité, ce n’est pas arrêter un ou deux leaders et les juger. Non, c’est bombarder chaque maison qui reste, brûler chaque tente, passer au bulldozer chaque service d’hôpital encore debout, raser entièrement une ville d’un million d’habitants et effacer des millénaires d’histoire.
Depuis près de deux ans, l’acharnement de l’occupant dans la destruction systématique des mosquées et églises anciennes, des bibliothèques, des cimetières millénaires, des musées montre sa volonté d’annihiler l’héritage culturel collectif palestinien.
Lors du bombardement des Archives, à Gaza-Ville, en novembre 2023, 150 ans de documentation ont été pulvérisés.
En 1982 déjà, à Beyrouth, les forces d’occupation avaient volé les archives de l’OLP, et dès 1948, les troupes de l’occupant avaient dérobé dans les maisons palestiniennes entre 60.000 et 70.000 volumes de livres, manuscrits, journaux, dans la volonté déjà affichée d’éradiquer l’histoire et la mémoire partagées.
Selon Nimer Sultany, « nous assistons à la destruction délibérée de Gaza en tant que groupe social, avec la destruction systématique des maisons et des infrastructures, par les bombardements, les explosifs au sol et les bulldozers. C’est ce qui différencie les tueries de masse d’un génocide. Le génocide, c’est le crime qui vise la destruction d’une société en tant que collectif. »
Si nous assistions chaque jour à l’enterrement d’un enfant assassiné à Gaza, nous nous rendrions au cimetière tous les jours pendant plus de 53 ans.
C’est depuis son brancard que Zohir fait ses adieux à Awad et Aboud, ses enfants tués par un missile. Il avait attendu leur naissance pendant 10 ans.
Raed embrasse les petits pieds de Jamal. Jamal était celui qui le reliait encore à la vie. Ce qu’il avait de plus précieux au monde.
Manal et Brahim voient jour après jour leur fille Ibtissam glisser vers la mort. Comme des milliers de parents, ils sont condamnés par l’occupant à voir leur enfant s’affaiblir, ses yeux s’agrandir, ses joues se creuser, son corps entier se creuser, son sourire s’effacer.
Les organes vitaux de l’enfant faillissent l’un après l’autre, les parents le savent, l’enfant le sait, et chacun sait ce qui va arriver.
Le Dr. Tareq Loubani, à l’hôpital al-Aqsa, à Deir el Balah, explique : «Avec le meilleur traitement du monde, certains enfants souffrant de malnutrition à Gaza pourraient survivre. Mais la réalité, c’est que tout enfant souffrant de malnutrition à Gaza aujourd’hui va mourir. Dans le meilleur des cas, ils auront des séquelles irréversibles et ne pourront pas développer tout leur potentiel en termes de cognition et de croissance. »
Derrière chaque statistique, il y a un enfant et un compte à rebours. Pour un enfant souffrant de malnutrition, avec des brûlures infectées ou une blessure profonde, le temps se compte en minutes.
Malek constate : « J’envie ceux qui ont eu la chance de mourir au début du génocide. J’envie ceux qui sont morts avant la famine. J’envie ceux dont le père, âgé, est mort avant la pénurie de sucre, et ceux dont le bébé est mort avant la pénurie de lait. »
Je voudrais terminer par une pensée pour Omar, qui caresse encore et encore le visage de sa nièce Siham, deux ans, assassinée par l’occupant alors qu’elle jouait devant sa maison. Omar avait recueilli Siham, seule survivante de sa famille.
Une pensée pour le jeune Samir, qui se déplace avec des béquilles, une jambe inerte, et qui apporte un jerricane d’eau à ses voisins de tente.
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
29 août 2025 – Transmis par l’auteure.
Texte très bien écrit, juste et émouvant.
Merci Marie 🖤❤💚🩶