Domenico Lucano, maire de Riace, lourdement condamné pour crime d’humanité

Domenico Lucano, maire du village calabrais de Riace - Photo : réseaux sociaux

Par Tonino Perna

La sentence du Tribunal de Locri, qui a condamné Mimmo Lucano à 13 ans et deux mois de prison, nous laisse pantois, indignés et incrédules. La partie de notre pays qui croit encore à la démocratie et à l’administration de la justice en reste choquée.

Si la demande du Procureur pour une peine de 7 ans semblait déjà monstrueuse, avec cette sentence le juge l’a doublée et est allé au-delà de toute base légale possible.

Je connais Mimmo Lucano depuis l’automne 1998, lorsqu’il est arrivé à Badolato, où Cric (une ONG très active à l’époque) avait mis en place le premier projet d’accueil des immigrants, dans le but de faire revivre un ancien village abandonné.

Avec la simplicité et la spontanéité qui l’ont toujours distingué, Mimmo nous dit alors qu’il voulait faire la même chose dans sa ville natale de Riace : “Pouvez-vous me donner un coup de main ?”.

C’est ainsi qu’est né le projet Riace, grâce à un important prêt de la Banca Etica et, surtout, à la solidarité de dizaines d’associations italiennes et étrangères, à commencer par la communauté anarchiste de Longo mai, qui, en plus de l’aide financière, a organisé l’afflux de centaines de touristes solidaires.

Sans oublier Recosol, le réseau des municipalités solidaires qui, depuis près de 20 ans, soutient cette expérience devenue un projet collectif à bien des égards.

Mimmo Lucano en est l’icône, lui ayant consacré toute sa vie d’adulte, abandonnant même sa propre famille pour s’occuper des migrants. Le frapper ainsi, c’est frapper le modèle Riace, connu dans le monde entier comme un symbole concret et un formidable vecteur d’une autre image de la Calabre et de l’Italie, capable de démontrer l’existence d’une véritable alternative aux bidonvilles, aux ghettos, aux politiques de rejet d’êtres humains qui ne demandent qu’à pouvoir vivre dignement.

Et pas seulement ça. Le modèle Riace, heureusement repris par plusieurs municipalités de Calabre et d’autres régions, a été et reste la principale voie de récupération économique et humaine des zones intérieures abandonnées et dégradées, offrant une réponse effective aux risques environnementaux de glissements de terrain, d’éboulements et d’inondations, en grande partie dus à cet abandon dramatique et progressif de vastes territoires pourtant précieux pour l’avenir durable du pays.

Mais qu’a fait Lucano de si grave pour mériter une peine qui est appliquée à des meurtriers endurcis, des mafiosi, des trafiquants de drogue internationaux, des violeurs en série et des terroristes ? L’ancien maire de Riace est accusé d’aide et d’encouragement à l’immigration clandestine pour avoir conseillé à une femme immigrée, désespérée parce qu’elle était sur le point d’être rejetée dans son pays, d’épouser un homme âgé.

Qui parmi nous, dans ces circonstances, n’aurait pas eu envie de proposer cette solution de dernier recours ? Et dans tous les cas, si c’est un crime de célébrer un mariage entre une jeune femme immigrée et un vieil homme italien, alors annulons des milliers de mariages et mettons-les tous en prison.

L’autre lourde et incroyable accusation portée contre lui est celle de favoritisme à des fins électorales, de fraude, de détournement de fonds et d’abus de pouvoir, mais pas un seul euro n’a été trouvé dans ses poches, et absolument rien ne prouve qu’il se soit approprié l’argent public de quelque manière que ce soit.

La vérité, inconfortable, très inconfortable… n’est qu’une : Lucano est accusé de “crime d’humanité” pour avoir accueilli des dizaines de milliers d’immigrés, que la Préfecture lui a envoyés en dernière solution.

Pour avoir essayé de les faire travailler dignement, pour avoir fait revivre un pays totalement abandonné, Lucano est devenu l’un des criminels les plus dangereux en circulation.

Ses lacunes administratives et sa méconnaissance des règles bureaucratiques l’ont amené à commettre des erreurs, mais celles-ci n’étaient pas le résultat d’une malveillance, d’un détournement de fonds, d’une corruption ou d’une association de malfaiteurs, mais simplement de la crédulité, de la superficialité et, si l’on veut, de la nature ouverte de quelqu’un qui ne sait pas faire face aux contraintes de notre lourde et épaisse bureaucratie.

Avec cette sentence, le Tribunal de Locri insère, de facto sinon de jure, le “crime d’humanité” dans le paysage juridique de notre pays, créant un précédent inquiétant.

C’est un signe de plus qui nous montre la crise profonde que traverse notre système judiciaire, et donc les institutions démocratiques. Nous prenons acte, mais nous ne baissons pas les bras car nous ne voulons pas finir au pays d’Erdogan.

Et pour sauver notre démocratie et notre société, une manifestation sera organisée aujourd’hui à Riace pour le soutenir. Bien sûr, nous ne nous arrêterons pas là, en nous appuyant sur le fait que cette sentence incroyablement injuste peut être annulée en appel.

Le texte complet de la sentence.

1e octobre 2021 – Il Manifesto – Traduction : Chronique de Palestine