De la part d’un Palestinien de Gaza, merci à l’Afrique du Sud !

Le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola - Photo : extrait video via SABC News

Par Haidar Eid

Nous n’oublierons jamais le soutien indéfectible que vous nous avez témoigné et le courage avec lequel vous avez pris position pour nous à la Cour mondiale, alors que même nos propres frères nous tournaient le dos par peur.

L’Afrique du Sud en a assez du silence assourdissant du monde sur le génocide en cours des Palestiniens de la bande de Gaza par l’Israël de l’apartheid.

Le nombre sans précédent de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par Israël dans l’enclave côtière assiégée au cours des trois derniers mois, en toute impunité, a mis en péril la crédibilité du droit international et a poussé l’Afrique du Sud à agir.

Ses meilleurs juristes ont compilé un document de 84 pages détaillant les preuves de ces crimes et ont lancé une procédure historique devant la Cour internationale de justice (CIJ), accusant Israël d’avoir commis un génocide en violation de la convention sur le génocide de 1948.

C’est comme une musique aux oreilles des Palestiniens. Aucun autre pays, arabe ou musulman, n’a jamais osé franchir cette « ligne rouge » auparavant. Après tout, il s’agit d’Israël, le bébé gâté de l’Occident colonial – le seul projet qu’il a tenu à maintenir en vie après la fin de l’ère du colonialisme, en le camouflant sous des slogans des Lumières et en l’armant de ses meilleures armes.

Tous les États de la planète sont sans aucun doute conscients des crimes commis par Israël, mais aucun n’ose lui demander des comptes par crainte de la réaction de ses parrains coloniaux.

Heureusement, l’Afrique du Sud post-apartheid a fini par dire « trop c’est trop » et a traîné Israël devant la plus haute instance des Nations unies. La nation qui a vaincu un régime d’apartheid impitoyable et construit à sa place un État démocratique et multiracial, a reconnu que le silence de la communauté internationale ouvrait la voie aux excès meurtriers d’Israël, et elle a pris une mesure importante pour y mettre un terme.

En effet, l’inculpation d’Israël pour crime de génocide par la CIJ pourrait mettre fin à l’impunité d’Israël, créer les conditions d’un embargo militaire bien nécessaire et laisser Israël isolé sur la scène mondiale.

Plus important encore, l’affaire de l’Afrique du Sud pourrait déboucher sur des mesures provisoires comprenant un cessez-le-feu immédiat et l’entrée d’une aide humanitaire suffisante dans la bande de Gaza.

Ces mesures sont nécessaires de toute urgence, car des milliers de personnes meurent chaque jour dans la bande de Gaza. Plus de 23 000 personnes ont déjà péri et des milliers d’autres sont portées disparues sous les décombres. Environ 70 % des victimes de cette horreur sont des femmes et des enfants.

Il se trouve que je suis à la fois Palestinien et Sud-Africain et que j’ai à ce jour survécu au génocide de Gaza. Au fil des ans, j’ai perdu de nombreux parents, amis, collègues, étudiants et voisins à cause de la violence israélienne.

À Gaza, j’ai survécu à cinq attaques ou, plus exactement, à cinq massacres perpétrés par l’Israël de l’apartheid entre 2008 et 2023. J’ai également vécu de près les conséquences du siège meurtrier qu’Israël impose à la bande de Gaza depuis 2006. Mon quartier entier a été rasé par des frappes aériennes au cours de la première semaine du génocide en cours. Et j’ai été déplacé quatre fois depuis.

Comme tous les habitants de cette enclave côtière, j’ai vécu le même et sombre scénario à chaque massacre : Israël a décidé de « tondre la pelouse », la soi-disant communauté internationale a commodément détourné le regard et, pendant de longs jours et de longues nuits, nous avons affronté seuls l’armée la plus immorale du monde – une armée qui possède des centaines d’ogives nucléaires et des milliers de soldats à la gâchette facile, armés de chars Merkava, de F-16, d’hélicoptères Apache, de navires de guerre et de bombes au phosphore.

Une fois le massacre terminé, tout est revenu à la « normale » et Israël a continué à nous tuer lentement avec un siège étouffant qui maintient nos enfants dans la malnutrition, avec de l’eau contaminée et des nuits sans lumières. Et au cours des nombreuses itérations de ce cycle mortel que nous avons vécues, à aucun moment nous n’avons reçu un seul mot de sympathie ou de soutien de la part des Biden, Sunak, Macron et von der Leyen de ce monde.

Tous ces massacres commis en toute impunité ont montré de manière flagrante que l’Israël de l’apartheid bénéficie du soutien sans équivoque de l’Occident blanc et « libéral » pour faire ce qu’il veut de Gaza et de sa population.

Ces massacres ont été les répétitions générales du génocide en cours aujourd’hui. Ils ont montré à Israël qu’il pouvait commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sans recevoir aucune sanction ou condamnation de la part de la dite communauté internationale.

Après tout, personne n’a rien dit en 2008, 2012, 2014 et 2021, alors pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ? C’est cette logique qui a permis aux dirigeants israéliens d’être si ouverts ces derniers mois sur leurs intentions d’ « exterminer » les Palestiniens de Gaza.

En effet, depuis le début de ce nouveau massacre, de ce génocide, un large éventail de responsables israéliens, du président et du premier ministre aux membres éminents du gouvernement, des médias et de la société civile, ont clairement exprimé leur intention de génocide.

La semaine dernière, le ministre israélien du patrimoine, Amichai Eliyahu, qui avait précédemment déclaré que le largage d’une bombe nucléaire sur la bande de Gaza était « une option », a exhorté Israël à trouver des moyens « plus douloureux que la mort » pour forcer les Palestiniens à quitter la bande de Gaza.

L’intention d’Israël de commettre un génocide à Gaza est peut-être plus claire aujourd’hui que jamais, mais elle n’est en rien nouvelle. En 2004, Arnon Soffer, chef du Collège de défense nationale des forces offensives israéliennes et conseiller du Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, avait déjà énoncé les résultats souhaités du désengagement unilatéral d’Israël de Gaza dans une interview accordée au journal israélien Jerusalem Post :

« Lorsque 1,5 million de personnes vivront dans une bande de Gaza fermée, ce sera une catastrophe humaine. Ces personnes deviendront des animaux encore plus dangereux qu’aujourd’hui. La pression à la frontière sera terrible. Ce sera une guerre terrible. Si nous voulons rester en vie, nous devrons tuer, tuer et tuer. Toute la journée, tous les jours. … Si nous ne tuons pas, nous cesserons d’exister. … La séparation unilatérale ne garantit pas la ‘paix’. Elle garantit un État juif sioniste composé d’une écrasante majorité de juifs ».

Aujourd’hui, 20 ans après que Soffer a révélé l’intention d’Israël de « tuer, tuer et tuer » dans la bande de Gaza, celle-ci est véritablement en train de mourir. Des gens sont tués, mutilés, affamés et déplacés en masse sous les yeux des nations du monde, dans ce qui est tragiquement devenu le premier génocide mondialement observé de l’histoire.

Nous, Palestiniens, n’oublierons pas la lâcheté maladive de la soi-disant communauté internationale, qui a permis ce génocide.

Nous n’oublierons pas comment les nations du monde sont restées les bras croisés alors que les dirigeants racistes d’Israël affirmaient ouvertement que nous, le peuple autochtone de Palestine, étions « Amalek » – l’ennemi contre lequel, selon la Torah, Dieu a ordonné aux anciens Israélites de commettre un génocide – et se sont lancés dans une quête raciste et inhumaine visant à nous « anéantir » tous.

Mais nous n’oublierons jamais non plus ce que l’Afrique du Sud a fait pour nous. Nous n’oublierons pas le soutien indéfectible qu’elle nous a témoigné et le courage avec lequel elle a pris position pour nous devant la Cour mondiale, alors que même nos propres frères nous ont tourné le dos par peur.

Nous nous souviendrons toujours de la façon dont elle a lié notre lutte, nos droits humains les plus fondamentaux, à la justice mondiale et a rappelé à la communauté internationale notre humanité.

Le génocide israélien en cours à Gaza, commis au grand jour et en toute impunité, a sonné le glas de l’ordre international fondé sur des règles et dirigé par l’Occident.

En défendant courageusement ce qui est juste et en poursuivant Israël devant la CIJ, l’Afrique du Sud nous a montré qu’un autre monde est possible : un monde où aucun État n’est au-dessus de la loi, où les crimes les plus odieux tels que le génocide et l’apartheid ne sont jamais acceptés et où les peuples du monde se serrent les coudes pour lutter contre l’injustice.

Merci, Afrique du Sud !

12 janvier 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine