De Gaza au Congo : comment les Palestiniens sont devenus les victimes de l’histoire sioniste

10 janvier 2024 - Les habitants et le personnel de la défense civile tentent de dégager un certain nombre de blessés et de tués après un bombardement israélien près de l'hôpital des martyrs d'Al-Aqsa à Rafah - Photo : via wafa.ps

Par Ramzy Baroud

Des milliers de kilomètres séparent l’Ouganda et le Congo de la bande de Gaza, mais il y a des liens, que les analyses géopolitiques habituelles n’expliquent pas, entre ces lieux et la Palestine.

Le 3 janvier, on a appris que le gouvernement israélien d’extrême droite de Benjamin Netanyahu discutait activement de propositions visant à expulser des millions de Palestiniens vers des pays africains en échange de compensations financières.

On présente ce débat sur l’expulsion de millions de Gazaouis, omniprésent en Israël, comme s’il était le fruit de l’émotion suscitée par les évènements du 7 octobre. Mais le fait qu’il soit toujours en cours, plus de trois mois après le début de la guerre israélienne contre Gaza, montre que les propositions israéliennes ne sont pas le produit d’un moment historique spécifique telle que l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ».

Il suffit d’un rapide coup d’œil aux archives historiques israéliennes pour voir que l’expulsion massive de Palestiniens – connue en Israël sous le nom de « transfert » – a toujours fait partie des principales stratégies israéliennes pour résoudre le soi-disant « problème démographique » d’Israël.

Bien avant que les combattants des Brigades Al-Qassam et d’autres mouvements palestiniens ne prennent d’assaut la clôture séparant la bande de Gaza assiégée d’Israël le 7 octobre, les hommes politiques israéliens discutaient de la manière de réduire la population palestinienne pour maintenir la majorité démographique juive dans la Palestine historique.

Cette approche n’était pas seulement celle des plus extrémistes des Israéliens, elle était aussi celle de personnes comme l’ancien ministre israélien de la défense Avigdor Lieberman qui avançait en 2014 une proposition de « plan d’échange de population ».

Même des intellectuels et des historiens prétendument libéraux ont soutenu cette idée, à la fois en principe et en pratique.

Un historien israélien de premier plan, Benny Morris, a regretté dans une interview accordée au journal libéral israélien Haaretz en janvier 2004 que le premier Premier ministre israélien, David Ben-Gourion, n’ait pas expulsé tous les Palestiniens pendant la Nakba – l’événement catastrophique d’assassinats et de nettoyage ethnique qui a conduit à la création de l’État d’Israël en lieu et place des villes et des villages palestiniens.

Une autre preuve que l’idée du « transfert » ne vient pas de naître, c’est qu’on a vu apparaître des plans extrêmement détaillés et précis, immédiatement après le 7 octobre. Il y a notamment un document de synthèse publié par le groupe de réflexion israélien « Misgav Institute for National Security & Zionist Strategy » le 17 octobre et un rapport publié trois jours plus tard par le média israélien Calcalist, qui présente un document sur la même stratégie.

Le fait que l’Égypte, la Jordanie et d’autres pays arabes aient ouvertement et immédiatement manifesté leur rejet total de l’expulsion des Palestiniens indique le degré de sérieux de ces propositions officielles israéliennes.

« Notre problème est de trouver des pays prêts à absorber les habitants de Gaza, et nous y travaillons », a déclaré M. Netanyahu le 2 janvier.

Ces commentaires ont été suivis par d’autres, dont une déclaration du ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich : « Ce qu’il faut faire dans la bande de Gaza, c’est encourager l’émigration ».

C’est alors que le discours officiel israélien a adopté le terme de « migration volontaire ». Mais il n’y a rien de volontaire quand 2,3 millions de Palestiniens sont réduits à la famine, continuent d’être confrontés à un génocide permanent et sont systématiquement poussés vers la région frontalière entre Gaza et l’Égypte.

Dans son action en justice devant la Cour internationale de justice (CIJ), le gouvernement sud-africain a inclus le nettoyage ethnique planifié de Gaza par Tel-Aviv comme l’un des principaux points énumérés par Pretoria pour accuser Israël de génocide.

En raison du manque d’enthousiasme des pays occidentaux pro-israéliens, les diplomates israéliens parcourent le monde à la recherche de gouvernements disposés à accepter les Palestiniens chassés par le nettoyage ethnique.

Imaginez seulement qu’un autre pays du monde se comporte ainsi ! Qu’un autre pays assassine des gens en masse, tout en faisant le tour du monde pour convaincre des États d’accepter les survivants expulsés, en échange d’argent !

Non seulement Israël se moque complètement du droit international, mais il a dépassé toutes les limites jamais atteintes, en matière de comportement abjecte et ignoble, par n’importe quel État, n’importe où dans le monde, à n’importe quel moment de l’histoire, qu’elle soit ancienne ou moderne.

Et pourtant, le monde continue de regarder, de soutenir même comme dans le cas des États-Unis, de protester poliment ou fermement, mais sans faire quoi que ce soit pour arrêter le bain de sang à Gaza, ou pour empêcher de se produire le terrifiant scénario qui se profile si la guerre ne s’arrête pas.

Mais il y a une chose que beaucoup de gens ne savent peut-être pas : le mouvement sioniste, l’institution idéologique même qui a créé Israël, a tenté de déplacer le peuple juif tout entier en Afrique, pour y établir un État, avant le choix de la Palestine comme « patrie juive ».

C’est ce qu’on a appelé le « plan Ouganda » de 1903. Il a été évoqué par Theodor Hertzl, le fondateur du sionisme, lors du sixième congrès sioniste. Il s’appuyait sur une proposition du ministre britannique des colonies, Joseph Chamberlain.

Le projet ougandais a finalement échoué, mais les sionistes ont continué à chercher un endroit où s’établir, pour finalement, au grand dam des Palestiniens, s’installer en Palestine.

Si l’on compare le langage génocidaire des dirigeants israéliens d’aujourd’hui, si l’on étudie leurs propos racistes à l’égard des Palestiniens, on constate une grande similitude entre la manière dont ils perçoivent collectivement les Palestiniens et celle dont les communautés juives ont-elles-mêmes été perçues par les Européens pendant des centaines d’années.

L’intérêt soudain des sionistes pour le Congo en tant que « patrie » potentielle pour les Palestiniens illustre encore le fait que le mouvement sioniste continue à vivre dans l’ombre de sa propre histoire, comme si Israël s’était en quelque sorte imprégné du racisme dont les juifs avaient souffert autrefois et le projetait maintenant sur les Palestiniens innocents.

Le 5 janvier, le ministre israélien du patrimoine, Amihai Eliyahu, a proposé que les Israéliens « infligent aux habitants de Gaza des souffrances plus douloureuses que la mort ». Il n’est pas difficile de trouver des références historiques de propos similaires utilisés par les nazis allemands dans leur représentation des juifs au cours de la première moitié du 20e siècle.

Si l’histoire se répète, c’est d’une manière tout à la fois déconcertante et épouvantable.

On nous a dit que le monde avait tiré les leçons des massacres perpétrés lors des guerres précédentes, y compris l’Holocauste et les autres atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce qui se passe en ce moment montre que nous n’avons, en fait, rien appris.

Non seulement Israël endosse maintenant le rôle du meurtrier de masse, mais le monde occidental joue à nouveau docilement celui qui lui a été assigné dans cette tragédie historique : les Occidentaux applaudissent, protestent poliment ou ne font rien du tout.

10 janvier 2024 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet