Ce que redoute Israël

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Par Vijay Prashad

Le 23 décembre, l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU s’est abstenue lors du vote de la résolution 2334 du Conseil de Sécurité, qui condamnait l’activité de peuplement d’Israël dans le territoire occupé de Cisjordanie et Jérusalem-Est.

La formulation est circonspecte. Elle ne dit pas que les colonies de peuplement sont illégales, mais seulement qu’elles n’ont pas de « validité juridique ». Dans le monde du droit international, la différence pourrait être négligeable.

Israël a fait pression sur l’Égypte pour qu’elle retire la résolution, ce qu’elle a fait, et fait pression sur les États-Unis pour qu’ils y opposent leur veto, ce qu’ils n’ont pas fait. La Malaisie, la Nouvelle Zélande, le Venezuela et le Sénégal ont à leur tour promu la même résolution, qui fut adoptée par 14 voix pour et 1 abstention (les E.U.). Les ambassadeurs autour de la table ont exprimé l’espoir que le vote allait favoriser la solution à deux États, « l’aspiration commune de la communauté internationale », a dit l’ambassadeur de Chine Wu Haitao.

La résolution et l’occupation

Cinq ans auparavant, au plus fort du Printemps arabe, les États-Unis avaient opposé leur veto à une résolution similaire.

L’ambassadrice des États-Unis de l’époque à l’ONU, Susan Rice avait dit que son pays rejetait « dans les termes les plus forts la légitimité de la poursuite de l‘activité de peuplement israélienne ». Ainsi donc, pourquoi opposer son veto à une résolution, sur laquelle les États-Unis s’abstiendraient cinq ans plus tard ? En 2011, Mme Rice avait expliqué que la résolution desservirait les négociations entre Israël et les Palestiniens. Israël, était-il sous-entendu, se déchaînerait contre les Palestiniens. C’est exactement ce que les Israéliens promettent de faire maintenant : construire de nouvelles implantations, annexer pleinement la Cisjordanie et Jérusalem-Est et par conséquent éliminer toute perspective d’une solution à deux États.

La résolution de l’ONU – bien qu’importante en soi – n’est pas ce qu’Israël redoute. Ce qui contrarie Tel Aviv , ce sont les initiatives que cette résolution pourrait entraîner, notamment celles que pourrait prendre la Cour pénale internationale (CPI). En janvier 2015 la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda a ouvert une enquête préliminaire sur les agissements d’Israël lors du bombardement de Gaza en 2014 et sur les colonies de peuplement illégales. Mme Bensouda a indiqué clairement depuis qu’elle n’engagerait pas d’enquête criminelle complète sans une réelle clarté politique du Conseil de sécurité de l’ONU.

La résolution 2334 donne à la CPI la volonté politique d’entreprendre une telle démarche. Puisque la Palestine est un État reconnu par l’ONU depuis 2012, et membre de la CPI depuis 2014, avec l’adoption de cette résolution la CPI pourrait au cours des prochains mois décider de mener une enquête rigoureuse sur les crimes de guerre israéliens. Ceci menacerait les colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, mais inciterait également les soldats israéliens à refuser de participer à tout futur bombardement criminel de Gaza. Il reste à voir si la direction palestinienne aura le courage de réclamer cette initiative.

En 1967, Israël saisit la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la Bande de Gaza – les parties de la Palestine dont il n’avait pas le contrôle. Le Conseil de sécurité adopta une série de résolutions (242, 252, 298) au cours de la décennie suivante, demandant à Israël d’évacuer cette terre et – dans la résolution 446 – de renoncer à construire des implantations sur le territoire occupé. Les États-Unis, qui étaient déjà devenus le bouclier d’Israël, s’étaient abstenus sur les principales résolutions

C’était sur ce territoire occupé qu’un État palestinien était alors censé être établi, contre l’avis d’Israël. La solution à deux États, qui fait consensus au niveau international pour régler le conflit israélo-palestinien, repose sur l’évacuation par Israël de la terre occupée en 1967. Il n’est guère étonnant que l’ONU soit périodiquement revenue à la charge pour censurer Israël et son occupation persistante et la construction d’implantations sur la terre occupée en violation de la Quatrième convention de Genève.

La première résolution majeure de l’ONU qualifiant l’occupation israélienne a été la 242, promue par le Royaume Uni et adoptée en novembre 1967 à l’unanimité. Il n’y a eu aucune abstention et aucun des membres permanents n’y a opposé son veto.

Le secrétaire d’État états-unien Dean Rusk avait déclaré à l’époque que malgré « la forte divergence d’opinion » entre les États-Unis et Israël sur la question du territoire, les États-Unis ne se sont pas engagés « à aider Israël à conserver les territoires saisis lors de la guerre de 1967 ». Même lorsque les administrations de Washington ont défendu les politiques d’annexion d’Israël – comme sous le mandat de Reagan – les États-Unis n’ont pas fait usage de leur veto pour défendre les colonies de peuplement.

Les agissements criminels d’Israël

Les accords d’Oslo (1994) ont instauré la possibilité d’un État palestinien, bien qu’ils ne se prononcèrent pas explicitement pour qu’il fût mis fin à l’activité de colonisation. Israël continue de grignoter le possible État palestinien. Israël ne veut ni d’une solution à deux États ni de celle à un État. Cette attitude négative à l’égard du « processus de paix » démontre qu’Israël est déterminé à maintenir les Palestiniens sous occupation de façon permanente et qu’il caresse toujours le rêve du Grand Israël (Eretz Israel).

Quatre ans après Oslo, la communauté internationale a adopté le Statut de Rome instaurant la CPI. Ce fut ce nouveau développement – la CPI – plutôt que les accords d’Oslo qui amena les États-Unis à faire usage de leur veto au Conseil de sécurité de l’ONU à maintes reprises pour protéger Israël. L’establishment israélien craignait que la CPI ne porte son attention sur des questions telles que le transfert de populations et les crimes de guerre.

La CPI – poussée à enquêter sur des crimes perpétrés hors du continent africain – pourrait trouver que les agissements d’Israël constituent un objet d’étude légitime. Les veto de Washington supprimaient tout fondement juridique à une action de la CPI à l’encontre d’Israël.

Les enquêteurs de la procureure Bensouda ont visité la Cisjordanie et Jérusalem-Est en octobre de cette année. La CPI a démenti qu’il s’agissait d’une enquête préliminaire, mais c’est difficile à croire. La nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU renvoie à ses positions plus radicales de 1979 et 1980 de même que les conclusions de 2014 de la Cour internationale de justice selon lesquelles le mur d’apartheid qui emprisonne la Cisjordanie est illégal.

La procureure va donc être soumise à une pression croissante pour pousser plus loin son enquête.

Le triomphalisme de Tel Aviv

L’ambassadeur Danny Danon a donné le ton du refus d’Israël lorsqu’il a déclaré que Tel Aviv avait le droit de construire des « maisons dans la patrie historique du peuple juif ». Les implantations sont essentielles pour le gouvernement israélien pour mener à bien son propre projet. Il ne voit rien de moins – comme l’a formulé l’ambassadeur Danon – qu’ « un État juif qui reconquiert fièrement la terre de nos ancêtres ». L’ambassadeur Danon est exactement sur la même longueur d’onde que le futur ambassadeur de Washington en Israël, David Friedland, qui croit au Grand Israël et nie l’existence de la Palestine. Le futur président états-unien Donald Trump a juré de révoquer la résolution du Conseil de Sécurité et a menacé de mettre fin au financement états-unien de l’ONU.

António Guterres, le nouveau secrétaire général de l’ONU a indiqué qu’il allait envoyer une mission d’appui de l’ONU pour promouvoir une solution à deux États. M. Guterres et Mme Bensouda vont avoir la difficile tâche de devoir concilier le consensus de la communauté internationale (une solution à deux États) et les propres ambitions territoriales illégales d’Israël.

L’optimisme n’est guère de mise.

30 décembre 2016 – CounterPunch – Traduction : Chronique de Palestine – MJB