Décembre 2023 - Les images du prisonnier palestinien Farouk al-Khatib avant et après son emprisonnement sont devenues virales sur les réseaux sociaux - Avec l'aimable autorisation de la famille
Par Fayha Shalash
Le Shin Bet israélien a informé Murad qu’il serait libéré et renvoyé chez lui à Jalbun, mais, à la dernière minute, Abu al-Rub a appris qu’il serait expulsé vers l’Égypte.
Un prisonnier palestinien libéré dans le cadre du récent accord a révélé, dans une interview accordée au Palestine Chronicle, qu’ils avaient été soumis à de graves tortures jusqu’à la dernière minute.
Murad Abu al-Rub, 45 ans, originaire du village de Jalbun près de Jénine, a été arrêté il y a 20 ans et condamné à la prison à vie. Il a déclaré que son dernier jour en prison avait été plus dur que les 20 années passées derrière les barreaux
Le Shin Bet israélien a informé Murad qu’il serait libéré et renvoyé chez lui à Jalbun, mais, à la dernière minute, Abu al-Rub a appris qu’il serait expulsé vers l’Égypte.
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Dans le cadre de l’accord récemment conclu avec la résistance palestinienne, Israël a libéré 250 prisonniers palestiniens purgeant des peines à perpétuité et de longues peines de prison, ainsi que 1 700 prisonniers de la bande de Gaza arrêtés après la guerre, en échange de la libération par le Hamas des 20 prisonniers israéliens restants.
L’association Addameer pour les droits de l’homme a rapporté qu’après cet accord, plus de 9 100 prisonniers palestiniens restent détenus dans les prisons israéliennes, dont 400 enfants et 53 femmes.
Ils voulaient nous tuer
La journée précédent sa libération a été horrible ; les prisonniers concernés par l’accord ont été transférés de toutes les prisons vers la prison d’Ofer en vue de leur libération. Cependant, ce voyage a été accompagné de tortures et d’humiliations.
« Ils m’ont transféré de la prison de Rimon à la prison d’Ofer, où nous sommes restés de l’aube jusqu’à 22 heures. Puis ils m’ont informé que je ne serais pas libéré à Jénine, mais que je serais expulsé vers l’Égypte parce que je représentais une menace pour la sécurité de l’État. Cela m’a bouleversé. Je pensais à ma famille, qui attendait avec impatience ma libération et avait préparé la maison pour m’accueillir », a déclaré Abu al-Rub.
Pendant leur détention à la prison d’Ofer, les prisonniers qui devaient être libérés ont été agressés à plusieurs reprises et tabassés avec des barres de fer alors qu’ils étaient menottés. Les traces de torture et de coups étaient encore visibles sur leur corps deux semaines après leur libération.
Après les avoir placés dans des pièces sombres, des hommes masqués sont entrés et ont commencé à les battre brutalement, visant délibérément leurs mains, leur poitrine et leur tête afin de leur causer le plus de dommages possible.
« J’ai eu des côtes cassées après avoir reçu des coups de poing répétés à la poitrine. Une de mes dents a également été cassée par les coups que j’ai reçus. Certains prisonniers ont eu des fractures au nez, au visage et aux mains », a-t-il ajouté.
Les menottes et les entraves étaient si serrées qu’elles s’enfonçaient dans la peau et la chair et, pour certains prisonniers, atteignaient l’os. L’absence de suivi médical a entraîné de nombreuses complications. La jambe d’un prisonnier était constamment enflée et douloureuse.
Après sa libération, Abu al-Rub est allé chez le médecin, qui a constaté qu’elle était cassée.
« Tout de suite après nous avoir informés que nous allions être libérés, Israël a intensifié les tortures. Ils voulaient nous tuer. Ils nous ont laissé les menottes en fer pendant 36 heures consécutives et le jour de notre libération a été le plus difficile de nos vingt années de prison. Nous avons été soumis à la torture pendant 15 heures, contraints de nous agenouiller pieds nus sur un sol recouvert de gravier et de verre brisé. Nos jambes saignaient et le gravier pénétrait sous notre peau », a-t-il poursuivi.
Quatre-vingt quinze prisonniers ont été libérés des prisons de Nafha et de Rimon et renvoyés chez eux en Cisjordanie, mais ils ont découvert que 25 d’entre eux avaient été expulsés à la dernière minute, alors que leurs familles les attendaient à Ramallah.
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« J’ai pleuré quand j’ai appris que j’allais être expulsé. Personne n’aime vivre loin de son pays natal et de sa famille. C’est une politique sadique et inique, car elle revient à expulser des familles entières hors de Palestine, sous couvert d’un échange de prisonniers », a expliqué Abu al-Rub.
Les centres de torture
Selon l’Autorité palestinienne chargée des Affaires des prisonniers, Israël a intensifié ses mesures répressives à l’encontre des prisonniers, dès le début de la guerre contre Gaza en octobre 2023.
Abu Al-Rub nous a décrit ce qu’il avait subi. Il a perdu 30 kg et il se considère chanceux, car beaucoup ont perdu 40 ou 50 kg en raison d’une malnutrition délibérée.
La politique du service pénitentiaire israélien consistait à donner aux prisonniers 1 000 calories par jour, alors qu’un homme a besoin en moyenne de plus de 2 000 calories pour vivre normalement. Les prisonniers libérés avaient visiblement perdu beaucoup de poids et leur condition physique était profondément dégradée.
Le petit-déjeuner se composait de 5 à 8 grammes de confiture, 10 à 15 grammes de yaourt et quatre tranches de pain. Le déjeuner se composait de cinq cuillères à soupe de riz à moitié cuit, d’une demi-petite tasse de soupe insipide, de quatre tranches de pain et d’un œuf dur préparé plusieurs jours auparavant.
En plus du manque de nourriture systématique, les prisonniers étaient soumis à des passages à tabac constants et injustifiés par les soi-disant forces spéciales, au point que les prisons se sont transformées en centres de torture, des tortures qui ont causé la mort de 80 prisonniers en seulement deux ans.
« Les forces spéciales faisaient irruption dans les chambres, armées et accompagnées de chiens policiers, prétendant que les prisonniers avaient enfreint les règles alors qu’en réalité, il n’y avait rien dans la pièce de contraire aux règles : juste des matelas, rien d’autre. Ils commençaient par nous attacher les mains derrière le dos, nous faisaient baisser la tête et nous frappaient violemment jusqu’au sang », a déclaré Abu al-Rub.
Mustafa Abu Arra, 63 ans, un prisonnier âgé, était détenu en détention administrative depuis le début de la guerre et souffrait de maladies chroniques. Il a été violemment battu, alors que les gardes savaient qu’il était malade. Il est revenu dans la pièce incapable de marcher et, un jour plus tard, il a commencé à avoir du mal à respirer.
« Ce prisonnier se trouvait dans la section où j’étais. Il est soudainement tombé au sol, incapable de respirer parce qu’ils l’avaient frappé à la poitrine. Nous leur avons crié de lui prodiguer des soins médicaux, mais ils n’ont pas répondu. Quelques heures plus tard, lorsque son état s’est aggravé et qu’il s’est évanoui, ils l’ont emmené à l’hôpital, puis nous avons appris qu’il était décédé », a ajouté Abu al-Rub.
Il n’y a pas de suivi médical pour les prisonniers à l’intérieur de la prison. Ceux qui prennent régulièrement des médicaments se les voient refuser dès leur arrestation. Les prisonniers qui ont des problèmes de santé sont abandonnés à leur sort.
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« Ils nous jetaient, enchaînés, dans une cour pendant toute une journée, nous insultant et nous maudissant. Nous devions garder la tête baissée. Puis ils nous aspergeaient de gaz lacrymogènes. Et ils nous regardaient étouffer. Leurs méthodes étaient peut-être pires que celles des nazies, notamment en matière de privation de nourriture et de soins, et ils nous empêchaient de pratiquer notre religion », a expliqué l’ancien détenu.
Notre liberté est incomplète
Les images publiées montrant le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, insultant des prisonniers palestiniens brisent le cœur des prisonniers libérés. Il se sentent coupables d’avoir laissé, derrière eux, des milliers de prisonniers dont la vie est menacée.
« Nous ne nous sentons pas complètement libres, car plus de 9000 prisonniers souffrent d’une oppression systématique, dont 125 condamnés à perpétuité qui sont trop âgés ou trop affaiblis pour faire grève ou manifester. Quand j’ai vu la vidéo de Ben-Gvir, je me suis dit qu’il aurait mieux valu que je reste en prison avec eux, car cela me fait trop de peine de les avoir laissés derrière moi. »
Lorsque Abu al-Rub a été libéré de la prison de Rimon, un prisonnier âgé qui avait été arrêté 33 ans plus tôt et condamné à la prison à vie lui a dit : « Ne m’oublie pas. » Cela lui a tellement fendu le cœur qu’il aurait voulu que ce prisonnier sorte à sa place.
Malgré son expulsion vers l’Égypte, l’armée israélienne a fait une descente au domicile de sa famille à Jénine. Ils ont détruit tout ce qu’il y avait dedans, et ont interdit à ses proches de célébrer sa libération et même de manifester de la joie. Ils les ont menacés de démolir leur maison s’ils le faisaient.
À ce jour, Israël empêche la famille Abu al-Rub et les familles de la plupart des prisonniers libérés et déportés en Égypte de se rendre en Égypte pour retrouver leurs fils après de longues années d’absence, leur imposant ainsi un nouveau calvaire.
« J’ai regardé une interview d’un journaliste israélien et d’un officier israélien qui a déclaré au journaliste : « Ma mission est d’empêcher les prisonniers libérés de montrer leurs dents, c’est-à-dire de les empêcher même de sourire. »
Le journaliste a répondu : « Mais à l’intérieur, ils sont heureux. » L’officier a répondu : « Je ne peux pas empêcher leur bonheur intérieur, mais il leur est interdit de le montrer. »
Le bonheur est interdit dans tous les foyers palestiniens », a conclu Abu al-Rub.
Auteur : Fayha Shalash
* Fayha Shalash est une journaliste palestinienne vivant à Ramallah. Diplômée de l'université de Birzeit en 2008, elle travaille depuis lors en tant que journaliste.Ses articles sont parus dans plusieurs publications en ligne, dont The Palestine Chronicle et Al-Mayadeen.
27 octobre 2025 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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