Au coeur du génocide, si un pays doit désarmer, n’est-ce pas l’État génocidaire ?

11 octobre 2025 - Des milliers de Palestiniens ont continué à revenir du sud vers le nord, transportant leur peu de biens le long de la rue Rashid qui relie les deux parties de l'enclave, lors du deuxième jour du cessez-le-feu dans la bande de Gaza - Photo : Stringer / AA

Par Marie Schwab

« L’occupant a largué 160 000 tonnes d’explosifs sur Gaza – 76 kg d’explosifs pour chaque homme, chaque femme, chaque enfant de Gaza », expose Mustafa Barghouti. [1]

En deux ans, l’occupant a réussi à assassiner en masse les Palestiniens, à broyer l’existence des survivants et à réduire leurs villes en poussière. Ils ont tué les enfants, torturé les pères, brisé les mères. Mais la résistance n’a pas été vaincue. Deux ans de génocide n’ont pas réussi à mettre un peuple à genoux.

En agissant en peuple souverain, la résistance a réussi à être partie prenante dans un plan dont elle était exclue, et transformé un diktat colonial en négociations. Alors que l’occupant et ses soutiens attendaient la reddition des Palestiniens, la résistance a réussi à obtenir un cessez-le-feu sans se soumettre à l’ultimatum, sans se compromettre ni rien céder. [2]

Ce plan était conçu comme un piège ne permettant pas de bonne réponse palestinienne : l’accepter revenait à entraîner la fin de la Palestine, le refuser la fin des Palestiniens – un refus palestinien permettant aussi d’alimenter la fable selon laquelle la résistance est responsable du génocide.

Ce plan tentait d’imposer ce que les bombes et la famine n’ont pas réussi à obtenir, et portait en soi l’aveu que l’occupant ne peut vaincre le peuple palestinien. Cependant même si le Hamas avait accepté la reddition, cela n’aurait pas signé la fin de la résistance.

Les Palestiniens n’ont pas attendu le Hamas pour résister – pas plus qu’Israël n’a attendu le Hamas pour traiter les Palestiniens de terroristes.

« Netanyahou n’aurait pas approuvé ce plan s’il avait réussi le nettoyage ethnique des Palestiniens de Gaza, s’il avait réussi à détruire la résistance palestinienne, s’il avait réussi à ramener les captifs israéliens – mais il a échoué », analyse Mustafa Barghouti.

Cependant, le problème reste entier. Car ce plan colonial de reddition a été approuvé par les dirigeants occidentaux dans un ensemble terrifiant.

Une fois de plus, les puissants ont fait mine de ne pas comprendre pourquoi les Palestiniens ne peuvent accepter une solution qui non seulement ne résout pas le problème mais ne le nomme même pas : l’occupation. Ils ont plébiscité sans vergogne un Oslo sans partie palestinienne.

Un Plan de partage sans « Etat arabe » (1947). Un nouveau Sykes-Picot (1916), qui surajoutait à l’occupation israélienne la colonisation occidentale et prévoyait que le contrôle israélien s’immiscerait jusque dans le système éducatif palestinien.

Ils ont loué un plan conçu par ceux qui ont fourni les bombes d’une tonne pour massacrer les enfants de Palestine.

Mais la fin d’un génocide ne se négocie pas aux dépends du droit. On n’arrange pas la fin d’un génocide, on le stoppe. On ne discute pas avec des criminels de guerre, on les arrête. On ne punit pas les victimes, on leur donne réparation.

On ne conditionne pas la fin de l’extermination d’un peuple à sa reddition, pas plus que la fin de la famine organisée ne peut faire office de récompense. La fin d’un génocide ne peut pas être graduelle, elle doit être immédiate. Et inconditionnelle.

Dix jours après la reconnaissance par l’ONU du génocide à Gaza, le secrétaire général des Nations Unies estimait qu’il n’y avait rien de plus urgent au monde que de donner les pleins pouvoirs aux tortionnaires et d’appeler à la reddition des opprimés.

Rien de plus sage que de s’essuyer les pieds sur sa propre Charte, de donner sa caution pour la mise sous tutelle de la Palestine, d’enterrer le droit en échange de quelques heures de trêve et d’assurer la pérennité de l’occupation.

Et la France a eu l’indécence d’appeler plan de paix ce qui n’est qu’un plan de sujétion. Elle s’est avilie au point d’appeler solution ce qui n’est qu’une solution pour la poursuite du projet colonial suprémaciste en toute impunité.

Israël bombarde sept Etats, Israël bombarde les négociateurs dans la capitale des médiateurs de paix, Israël menace ouvertement tous les Etats arabes ; Israël est poursuivi pour génocide par la Cour internationale de justice ; les organismes des droits de l’homme reconnaissent le génocide ; l’ONU reconnaît la famine organisée ; l’assemblée générale des Nations Unies reconnaît l’illégalité de la colonisation et de l’occupation ; le Premier ministre israélien est poursuivi pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale.

… Mais les puissants s’accordent à considérer que la menace, c’est la résistance palestinienne.
Et déterminent que la priorité des priorités, c’est la sécurité d’Israël.

Au coeur du génocide, s’il est un peuple au monde qui a besoin de protection, n’est-ce pas le peuple qui le subit ? Au coeur du génocide, si un pays doit désarmer, n’est-ce pas l’État génocidaire ?

« Connaissant les Israéliens, sachant comme ils sont fourbes, manipulateurs, nous savons qu’ils peuvent inventer n’importe quoi pour justifier une nouvelle agression », déclare Mustafa Barghouti, qui dénonce aussi, à l’unisson des Palestiniens, l’idée d’une administration internationale pour Gaza. « Pourquoi nous, Palestiniens, aurions besoin d’étrangers pour décider de nos vies ? Quelle loi amène ces gens à penser qu’ils peuvent nous imposer encore une fois le colonialisme ? »

La démonstration, si besoin était, de l’absurdité du procès à l’antisémitisme fait aux Palestiniens, qui s’opposent autant à l’idée d’une administration étrangère – européenne, britannique ou arabe – qu’à une occupation fasciste appelée « juive » par ses sponsors.

Oui, la communauté internationale doit intervenir. En tant que force d’interposition ; pour appuyer la plainte de l’Afrique du Sud à la CIJ ; pour exercer des pressions massives. Non pour servir de caution à l’occupation militaire et apporter une légitimité internationale à un nouvel état de fait colonial.

« Le projet sioniste touche à sa fin. Alors ils commettent tous les crimes, toutes les atrocités, tous les massacres, dans l’espoir que cela les sauvera », analyse le professeur palestinien Sami al-Arian. « Al Aqsa Flood a levé le voile sur le projet sioniste au point qu’il devient extrêmement difficile pour n’importe quelle personne dotée de raison ou de conscience de défendre ce qu’ils font. Nous avons affaire à des déments, à des génocidaires, à des gens qui n’ont aucune légitimité, car ils ont non seulement perdu leur humanité, mais toute rationalité. Ils ciblent les bébés, les maisons, les arbres en pensant ainsi établir leur hégémonie et leur sécurité. C’est au-delà de la démence. Ce sont des sociopathes. Et le monde ne l’acceptera pas. (…) Il faut un changement de paradigme. Nous devons envisager la question non comme une question palestinienne mais comme un problème israélien. Et le monde entier doit s’unir pour démanteler les structures sionistes, c’est la seule solution pour imposer la justice. »

Israël est une garnison militaire, bâtie sur les ruines des villages palestiniens rasés en 1948, qui a transformé Gaza en camp de concentration.

Un enfant palestinien de 12 ans qui jette une pierre vers un véhicule blindé est emprisonné pour terrorisme.
Un adolescent qui court pieds nus déposer sur un char de l’occupant une charge explosive fabriquée avec une infime fraction de ce qui s’abat chaque jour sur Gaza est un terroriste.

A l’hôpital al-Awda, il n’ y a plus qu’un chirurgien. Tous les autres ont été kidnappés ou assassinés.

A Gaza-Ville, Ghada, enfouie sous les gravats, a réussi à donner plusieurs appels, mais le temps que les secours puissent l’atteindre, le lendemain, après avoir eux-mêmes été pris pour cible, la maison avait été bombardée une deuxième fois et Ghada et ses deux enfants ont été retrouvés morts. [3]

« Les brûlures s’infectent en raison du manque d’hygiène, d’eau, d’antibiotiques et de nourriture. Les plaies sont infestées d’asticots. Les patients ne peuvent pas lutter pour guérir et les hôpitaux n’ont rien pour les soigner », s’alarme le Dr. Khamis Elessi, à l’hôpital al-Ahli. [4]

« Nous faisons face à une tuerie de masse lente des bébés », alerte le Ministère de la santé, alors que les parents donnent pour toute nourriture des biberons d’eau à leurs nouveaux-nés.

L’occupation et le génocide détruisent les corps et les maisons, mais aussi les âmes.

Les Palestiniens sont broyés par les bombes, et par notre incapacité à imposer le droit.

En Israël, celui qui massacre les familles dans leur sommeil, celui qui démolit un maximum de maisons, celui qui bloque les camions d’aide, celui qui touche un maximum de rotules est fêté en héros.

« La seule chose qu’ils ont, ce sont des armes, une technologie mortifère. C’est là toute leur puissance », constate l’écrivaine palestinienne Susan Abulhawa. « Et cela ne suffit pas à se maintenir. (…) C’est une colonie étrangère qui s’est imposée par la force. (…) Le but suprême de la colonisation, ce n’est pas seulement le vol des terres et des ressources, mais aussi la dépossession de la société indigène en tant que société, la colonisation de son esprit, la disparition de son identité. Le processus décolonial est un processus de désaliénisation. Lutter pour notre histoire est aussi important que la lutte pour notre terre. »

Je voudrais terminer par une pensée pour Hala, 10 mois, couverte de pansements, seule survivante de sa famille.

Une pensée pour ce petit garçon qui pleure son cousin. Ils ne sont plus que deux, lui et son père, pour porter le petit corps jusqu’au cimetière.

Notes :

[1] En tenant compte des explosifs au sol (robots détonateurs, mines), ce sont plus de plus de 200 000 tonnes d’explosifs qui ont été déversées sur Gaza, cf. In two years, ‘Israel’ dropped 200.000 tons of explosives on Gaza, Al Mayadeen English, 5.10.2025

[2] Les Palestiniens s’engagent en tout et pour tout sur deux points qui étaient d’ores et déjà à leur ordre du jour  : l’échange de prisonniers et le retrait de la gouvernance de Gaza. Pour ce qui est du reste, l’avenir politique de Gaza, la résistance ne s’est engagée à rien, déclarant qu’elle était autorisée à négocier un cessez-le-feu mais qu’elle n’avait pas de mandat pour décider unilatéralement des questions concernant l’auto-détermination, la gouvernance et l’État.
« Quand nous avons rencontré les médiateurs, nous leur avons dit d’emblée qu’une grande partie du plan outrepassait nos prérogatives », expose Moussa Abou Marzouq. « Nous ne sommes pas mandatés pour décider de l’avenir du peuple palestinien. Tout cela doit être discuté car c’est l’affaire de tous les Palestiniens, pas juste du Hamas. C’est ce dont nous avons convenu tous ensemble pour préserver l’unité du pays. », cf. Jeremy Scahill, Abou Marzouk : le plan Trump pour Gaza et le futur de la résistance, Chronique de Palestine, 8.10.2025
Quant aux armes – mais de quoi parle-t-on ? Ce n’est pas comme si les groupes palestiniens disposaient de tanks, d’avions et d’hélicoptères -, Osama Hamdan a rappelé ce que l’ensemble des leaders de la résistance ne cessent de répéter : « Nous remettrons les armes au futur Etat palestinien, et celui qui gouvernera Gaza aura les armes en main. » Al Arabiya, 3.10.2025

[3] Woman, children killed after phone calls from under the rubble, Al Jazeera, 25.9.2025, 11h GMT

[4] « They’ve got nothing to do with this war except they’re Palestinian », Al Jazeera, 3.10.2025, 13H GMT

9 octobre 2025 – Transmis par l’auteure

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