Survivre dans les ruines de la ville de Gaza

4 octobre 2025 - Quartier d'Al-Rimal à Gaza - Photo : Khamis Al-Rifi

Par Huda Skaik

« Alors que l’attention du monde est captée par la proposition de Trump, nous vivons ici ce qui ressemble à l’effacement de Gaza elle-même. »

La ville de Gaza est une ville fantôme. L’obscurité, la fumée et les ombres la recouvrent, éclairée uniquement par la lueur rouge des explosions. La ville ressemble à des scènes tirées de films apocalyptiques, des récits de fin du monde, de catastrophes humaines, de guerres mondiales.

Les maisons sont désertes, les rues vides, et la mort nous encercle de toutes parts.

Chaque matin, de nouveaux tracts tombent du ciel comme de la neige, nous ordonnant de quitter la ville de Gaza et de nous diriger vers le sud. La plupart des habitants ignorent ces tracts. Certains enfants les ramassent, non pas pour les lire, mais pour les brûler comme combustible pour cuisiner, afin de faire bouillir le peu de riz ou de lentilles qu’ils ont.

L’ironie est insupportable : les mêmes papiers qui exigent notre départ maintiennent désormais nos petits feux en vie.

Chaque jour, la survie est plus difficile, plus pénible. Les tâches élémentaires deviennent des combats insurmontables. Les prix ne cessent d’augmenter et il n’y a presque plus rien à acheter. Les vagues de déplacés qui envahissaient autrefois les routes se sont réduites à un filet.

Pour aller chercher de l’eau, il faut parcourir de longues distances en transportant de lourds jerrycans, au risque d’être touché par des tirs de chars ou des balles tirées depuis des quadricoptères.

Le bois pour cuisiner est inabordable, puisqu’un kilo coûte environ 2 dollars, ce qui suffit à peine à faire chauffer une bouilloire.

Il est très difficile de trouver de la bonne nourriture, qui est extrêmement rare car les points de passage sont fermés et les commerçants ne peuvent plus acheminer de marchandises depuis le sud, la route côtière principale étant désormais fermée.

Les quelques vendeurs se rassemblent dans des zones telles que le carrefour Al-Saraya, dans le quartier d’Al-Rimal, à l’ouest de la ville de Gaza. Les rares articles disponibles sur les étals du marché sont à la fois inabordables et mauvais pour la santé : il s’agit principalement d’aliments sucrés tels que du Nutella, des biscuits, du fromage, des chips et des nouilles, qui n’apportent pas suffisamment de protéines à l’organisme.

Les conserves sont encore plus rares et chères. À peine 250 grammes de café coûtent désormais 38 dollars dans le nord, alors que la même quantité coûte 16 dollars dans le sud.

Les produits qui devraient constituer la base de notre alimentation, comme les légumes, les fruits, les œufs, le poulet et la viande, sont introuvables depuis longtemps.

4 octobre 2025 – Carrefour Al-Saraya dans le quartier Al-Rimal de la ville de Gaza – Photo : Khamis Al-Rifi

Les produits d’entretien sont extrêmement rares, en particulier les mouchoirs en papier et les serviettes hygiéniques. Il est presque impossible de se procurer des médicaments, ce qui laisse les malades et les personnes âgées sans aide.

La plupart des professionnels de santé ont quitté la ville de Gaza avec leurs familles et il est difficile d’obtenir des soins médicaux. L’hôpital Al-Shifa fonctionne à peine.

Il ne reste que quelques journalistes. La couverture médiatique de la ville de Gaza a diminué car de nombreux reporters ont fui, et ceux qui restent opèrent avec une sorte de courage rationné : ils ne se déplacent que lorsque c’est nécessaire et prennent des risques calculés en fonction de leurs ressources qui s’amenuisent.

Depuis le mois dernier, l’occupation israélienne a intensifié ses frappes nocturnes afin d’effrayer la population et de dégager la voie pour ses troupes. Ils nous bombardent pour protéger leurs soldats et commettent des massacres.

Chaque soir, les bombardements et les attaques sont incessants, notamment par des drones, des avions de combat, des frappes aériennes, des tirs d’artillerie, des hélicoptères et des explosions provoquées par des robots télécommandés et chargés d’explosifs, l’armée israélienne détruisant des quartiers entiers à mesure qu’elle avance.

Les robots rasent des quartiers entiers, une tactique utilisée pour la première fois lors de cette opération terrestre dans la ville de Gaza. Ils ne sont pas loin.

Survivre n’est plus qu’un pari quotidien. Nous nous attendons à ce que la mort survienne à tout moment et chaque minute pourrait être la dernière.

Les attaques s’intensifient chaque jour. J’entends les obus de l’artillerie frapper les quartiers ouest et est, les drones vrombir au-dessus de nos têtes, les bombardements intensifs et les frappes aériennes, les balles des hélicoptères Apache et des quadricoptères, et les chars avancer dans un grondement sourd. Et j’entends les explosions des robots télécommandés.

L’occupant continue d’émettre des avertissements d’évacuation à l’intention des immeubles résidentiels qu’il prend ensuite pour cible, semant la panique et laissant les gens sans abri.

La nuit, la ville est plongée dans une obscurité profonde, un paysage vide et spectral, éclairé uniquement par des flammes gigantesques. Tout est silencieux, à l’exception des bruits du génocide qui vise à nous effacer, nous et notre ville.

À ces heures-là, il est impossible de se reposer ou de dormir. Chaque explosion soulève une nouvelle question : notre immeuble sera-t-il le prochain ? Les chars vont-ils encercler notre quartier ? Le prochain obus va-t-il détruire notre maison ? Allons-nous nous réveiller piégés ? Allons-nous être contraints de partir, en laissant tout ce qui nous reste derrière nous ?

Chaque nuit, je reste éveillée, assise sur mon matelas et ma petite table, essayant d’étudier pour mes examens finaux et de rendre mes devoirs. Mais je ne fais que compter les secondes entre le grondement des explosions et le crépitement des tirs des chars.

Le sol tremble alors que les forces israéliennes se rapprochent de mon quartier d’Al-Rimal et je me demande si ce soir sera le soir où elles nous atteindront.

L’inquiétude est constante, pesant sur ma poitrine comme un poids que je ne peux soulever. Chaque nuit semble plus longue et plus sombre que la précédente. Pour ceux qui restent encore à Gaza, voilà à quoi ressemblent les nuits : interminables et lourdes de peur.

La rue Al-Rashid, la principale route côtière qui relie le nord et le sud de Gaza, a été fermée mercredi. L’armée israélienne a interdit tout déplacement du sud vers le nord. Les déplacements du nord vers le sud, pour les personnes déplacées, sont toujours autorisés, mais sans aucune garantie de ne pas être tué.

Photo : Khamis Al-Rifi

Vendredi, les chars et les troupes israéliens avançaient vers le quartier de Tel al-Hawa, à l’ouest de la ville de Gaza. Cette nuit-là, les attaques ont été incessantes et violentes.

D’innombrables frappes aériennes lourdes ont été lancées sur différentes zones de la ville de Gaza. Nous pensions qu’ils envahiraient la ville dès le lendemain matin.

Après avoir présenté un plan de cessez-le-feu en 20 points pour Gaza, le président américain Donald Trump a fixé au Hamas la date limite de dimanche pour répondre.

Vendredi matin, nous nous sommes réveillés avec la nouvelle que le Hamas avait donné son accord conditionnel à certaines parties du plan, tout en insistant sur des garanties et la poursuite des négociations sur des points clés.

En réponse, Trump a publiquement exhorté Israël à « cesser immédiatement de bombarder Gaza » afin de sécuriser la libération des otages – un moment rare où les États-Unis ont exercé une pression directe sur les opérations militaires israéliennes. L’armée israélienne a également annoncé qu’elle allait commencer les « préparatifs de la première phase » du plan de Trump.

Alors que les yeux du monde entier se tournent vers la proposition de Trump, nous vivons ici ce qui ressemble à l’effacement de Gaza elle-même. La réalité sur le terrain est tout autre. Les chars sont toujours dans la ville et ne se sont jamais retirés.

Les drones quadricoptères survolaient la zone de Kanz dans le quartier d’Al-Rimal, au centre de la ville de Gaza, ainsi que les quartiers ouest de la ville. Samedi, des tirs d’artillerie lourde ont également eu lieu autour du quartier universitaire à l’ouest de la ville de Gaza, et les bombardements se poursuivent au moment où j’écris ces lignes.

L’armée israélienne affirme que ses forces sont passées à des opérations défensives. Mais samedi, elle a commis un massacre brutal contre la famille Abdel Aal, faisant au moins 18 martyrs, pour la plupart des enfants, tués lors d’une frappe aérienne sur leur maison familiale dans le quartier d’Al-Tuffah, à l’est de la ville de Gaza.

Plus de 30 personnes ont été blessées, dont la plupart sont également des enfants. Plus de 20 personnes sont toujours ensevelies sous les décombres. Un massacre horrible, et il n’y a pratiquement aucune capacité de soins médicaux et les équipes de défense civile n’ont aucune capacité de sauvetage dans cette zone.

Alors que les discussions sur un cessez-le-feu s’intensifient à l’étranger, ici, à Gaza, nous vivons dans une étrange situation d’incertitude, suspendus entre l’espoir et l’anéantissement.

Si le plan de Trump permet de mettre fin de manière réelle, vérifiable et immédiate aux attaques israéliennes, de libérer les prisonniers des deux côtés et d’obtenir un accès humanitaire, alors il y a une petite chance de commencer le travail presque impossible de reconstruction. Si le plan échoue, Gaza sera complètement détruite et la population sera massacrée.

Les Palestiniens de Gaza sont prudemment optimistes quant à la proposition de cessez-le-feu, mais ils restent profondément inquiets.

Les habitants du nord espèrent ne plus être déplacés vers le sud. Des vies seront sauvées. Ceux qui ont été déplacés vers le sud rêvent de retourner dans leurs maisons à Gaza et ailleurs dans le nord. Ils espèrent que les scènes de joie, de soulagement et de takbirs [prières] de janvier dernier, lorsque des centaines de milliers de personnes sont retournées dans le nord, se reproduiront.

La perspective d’un cessez-le-feu n’est pas une question de politique, mais de survie. Il s’agit de savoir si les familles vivront pour voir un autre jour.

La seule question qui traverse l’esprit de chacun ici est la suivante : ce génocide en cours prendra-t-il enfin fin cette fois-ci, ou les bombardements reprendront-ils peu après leur arrêt ? Car si cette chance est perdue, Gaza pourrait ne pas survivre.

5 octobre 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine

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