Comment la solidarité populaire a remodelé la politique étrangère espagnole

31 août 2025 - Des milliers de personnes se rassemblent à Barcelone, en Espagne, pour le lancement de la flottille Global Sumud, la plus grande flottille à faire voile vers Gaza dans le but de briser le siège israélien. Les navires transportant des délégués de plus de 40 pays devraient atteindre Gaza à la mi-septembre pour la troisième tentative cette année de briser le siège, qui se déroule dans un contexte de génocide ayant causé la mort de plus de 65 000 Palestiniens, bien que le nombre réel de victimes soit probablement beaucoup plus élevé. La semaine dernière, un groupe d'experts soutenu par l'ONU a officiellement déclaré pour la première fois au Moyen-Orient une situation de famine dans le nord de Gaza - Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Ramzy Baroud

Dans plusieurs pays européens influents, la solidarité avec Gaza et le peuple palestinien se traduit enfin par des actions concrètes.

Même si ces actions peuvent sembler tardives au regard des dizaines de milliers de vies perdues dans la bande de Gaza frappée par le génocide, elles n’en sont pas moins déterminantes pour l’avenir de la cause palestinienne.

Le changement politique en cours en Europe est un développement d’importance stratégique. Non pas parce que la voix de l’Europe a plus de poids dans l’échelle de la solidarité mondiale, mais en raison du rôle central que le continent a historiquement joué dans la création de l’Etat sioniste, ainsi que du soutien politique et financier continu apporté à son projet colonial.

Pendant des décennies, ce soutien a fourni un bouclier politique et économique, permettant à Israël d’opérer en dehors des limites du droit international.

L’Europe étant au cœur du paysage politique, juridique et économique occidental, tout changement fondamental dans la perception de la situation, associé à la solidarité profondément ancrée dans les pays du Sud, pourrait enfin servir de catalyseur pour isoler Israël sur la scène internationale, condition préalable et essentielle à une responsabilisation qui s’impose de toute urgence.

L’Espagne institutionnalise le boycott de l’État génocidaire

Si l’Irlande a historiquement servi de modèle en matière de politique rationnelle et éthique à l’égard de la Palestine, d’autres exemples ne peuvent être ignorés. Il s’agit notamment de la Suède, de la Norvège, de la Belgique et de la Slovénie.

La position de ces pays, en particulier depuis le début du génocide israélien à Gaza, a été largement influencée par l’ampleur des protestations populaires et la mobilisation de la société civile. Leurs actions, bien que variées, témoignent d’un fossé croissant entre l’opinion publique européenne et les politiques traditionnellement pro-israéliennes de nombreux gouvernements.

L’Espagne, cependant, représente un cas critique et plus complet. Le changement en cours à Madrid est le modèle presque souhaité, car il repose sur trois piliers interdépendants : une solidarité dynamique et bien organisée, fondée sur la société civile ; un changement fondamental dans le discours politique officiel et, surtout, des actions significatives et quantifiables.

Le 6 juin 2024, l’Espagne a pris une décision forte et historique en décidant de se joindre à l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice pour accuser Israël de génocide contre le peuple palestinien. Cette décision, bien que morale et logique, était particulièrement significative par rapport aux positions des autres grandes puissances européennes.

L’Allemagne, par exemple, a fait tout son possible pour défendre Israël contre une telle accusation, tandis que la Grande-Bretagne, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères David Lammy, a osé prétendre que le Royaume-Uni n’était pas encore convaincu que les actions d’Israël constituaient un génocide.

La position actuelle de l’Espagne n’était pas tout à fait une surprise. Elle est l’aboutissement d’un changement d’attitude politique qui s’était opéré depuis un certain temps. En novembre 2023, la ministre des Droits sociaux de l’époque, Ione Belarra, avait ouvertement accusé Israël de « génocide planifié » dans un discours percutant.

Cette déclaration publique avait marqué un changement significatif dans le discours officiel, passant des platitudes diplomatiques ampoulées à un langage d’une clarté morale.

Ce nouveau discours a finalement conduit Madrid à reconnaître la Palestine en tant qu’État, dans une déclaration commune avec l’Irlande et la Norvège. Cette décision a non seulement ajouté à la liste croissante des nations reconnaissant l’État palestinien, mais a également ouvert la voie à d’autres reconnaissances similaires.

Alors que certains pays utilisent leur position concernant l’État palestinien comme une tactique de diversion pour masquer leur incapacité à prendre des mesures punitives, les actions de l’Espagne semblent être sur une longueur d’onde politique différente.

En effet, le 8 septembre, l’Espagne a annoncé une série de nouvelles sanctions contre Israël, notamment l’interdiction de vendre des armes et l’interdiction pour les navires militaires transportant du matériel d’utiliser les ports espagnols.

Pour beaucoup en Espagne, même ces mesures sont considérées comme trop insuffisantes et de peu de poids face à une guerre qui a fauché la vie de plus de 20 000 enfants. Le peuple espagnol a raison d’attendre des mesures plus significatives de la part de son gouvernement, et ses revendications sont ancrées dans une histoire propre à l’expérience collective de l’Espagne.

En 1974, l’Espagne s’est jointe à de nombreux pays du Sud pour voter en faveur des résolutions 3236 et 3237 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui reconnaissaient l’autodétermination du peuple palestinien.

Quelques années plus tard, le Premier ministre Adolfo Suarez a fait un geste historique en recevant le président de l’OLP, Yasser Arafat, à Madrid. Ces premiers gestes de soutien se sont poursuivis un certain temps.

Cependant, à la suite des pourparlers de Madrid, l’Espagne s’est lentement repositionnée comme un intermédiaire neutre, finissant par reprendre la même rhétorique européenne sur le « droit de Israël à se défendre » et autres arguments du même tonneau.

Les Israéliens veulent parachever leur génocide à Gaza

La capacité de l’Espagne à maintenir cette position a été rendue possible, en partie, par le fait que l’Autorité palestinienne était beaucoup plus soucieuse de conserver son statut de représentant officiel du peuple palestinien – et les fonds internationaux et la légitimité qui en découlaient – que de demander à Israël de rendre des comptes au regard du droit international.

Il semblait alors peu réaliste pour la société civile d’essayer d’imposer à son gouvernement des objectifs plus élevés que ceux exigés par les dirigeants palestiniens eux-mêmes.

Le génocide israélien à Gaza a toutefois bouleversé cette dynamique. La campagne d’extermination ininterrompue menée par Israël à Gaza et la résistance palestinienne dans la bande de Gaza ont rendu l’Autorité palestinienne pratiquement insignifiante sur la scène internationale et ont recentré Gaza comme la véritable image de l’expérience collective palestinienne et de l’étendue des actions criminelles d’Israël.

Cela signifie que le peuple espagnol est devenu en partie responsable de la position de son gouvernement sur la Palestine. En septembre 2024, plus de 200 syndicats et ONG ont appelé à une grève générale de 24 heures, relevant le niveau de leurs revendications pour exiger la rupture complète de tous les liens politiques, économiques et militaires avec Israël.

Depuis lors, chaque mesure prise par le gouvernement du Premier ministre Pedro Sánchez a été une réponse directe à ces revendications et une tentative de les satisfaire.

Ce qui se passe en Espagne est une véritable solidarité populaire, sans double langage ni bravade politique.

Il s’agit d’une action authentique de la société civile, centrée sur une expérience historique commune et une lutte contre la violence et le fascisme soutenus par l’État. Si chaque nation a une histoire unique, l’expérience espagnole s’avère être un modèle digne d’être étudié, imité et certainement profondément respecté.

18 septembre 2025 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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