
Photo : Courtesy Mohammad al-Naami
Chaque frappe israélienne sur Gaza peut entraîner, pour un enfant, l’amputation d’une jambe, une paralysie permanente, ou des défigurations, laissant ainsi des cicatrices durables tant physiques que psychologiques.
Les enfants de Gaza sont désormais devenus les cibles privilégiées de l’occupation dans cette guerre d’extermination continue, et chacun d’eux se retrouve confronté à la perspective de perdre son avenir en une fraction de seconde.
Des chiffres terrifiants
Avant le début de la guerre, environ 12 % des enfants à Gaza souffraient de divers handicaps, selon les statistiques officielles palestiniennes.
Toutefois, avec l’aggravation des bombardements, ces chiffres ont connu une augmentation dramatique. Selon l’Organisation Breaking the Silence, entre 10 et 12 amputations sont rapportées quotidiennement parmi les enfants. Par ailleurs, l’Organisation Human Rights Watch a documenté plus de 5 230 enfants gravement blessés au cours des 11 premiers mois de l’année 2024, dont un grand nombre risque de souffrir de handicaps permanents.
Selon les estimations de l’organisation Save the Children, la guerre a entraîné, chaque mois, l’exposition d’environ 475 enfants à des handicaps potentiellement permanents, allant de la perte de membres à des déficiences auditives, en passant par des blessures graves aux yeux.
D’après le Bureau central de la statistique palestinien, il était estimé qu’en 2023, environ 98 000 enfants à Gaza, âgés de 2 à 17 ans, souffriraient de handicaps.
Toutefois, l’agression récente a provoqué une augmentation tragique de ce nombre, contraignant les enfants handicapés à faire face à une guerre parallèle. Une guerre qu’ils affrontent avec des corps épuisés, dans un monde de plus en plus impitoyable, et un exode incessant.

4 juin 2025 – Les enfants palestiniens blessés dans la guerre génocidaire menée actuellement par Israël sont soignés à l’hôpital Al-Nasser de Khan Yunis. Les hôpitaux de Gaza sont confrontés à une grave pénurie de médicaments et de fournitures médicales due au blocus total imposé par Israël depuis le 2 mars. Sur la photo, Sila Abu Madi, âgée de 9 ans, souffre d’une double amputation des jambes. Sa mère a un doigt et une partie du pied amputés, et sa sœur de 18 ans a une jambe amputée – Photo : Doaa Albaz / Activestills
L’impact de la guerre ne se limite pas à ceux ayant perdu des membres à cause des frappes aériennes ; il affecte également des milliers d’autres enfants, souffrant de handicaps physiques et mentaux, qui sont confrontés à des conditions de vie encore plus inhumaines.
Dans les camps de réfugiés, ces enfants n’ont ni accès à des soins médicaux appropriés, ni à des aides techniques, ni même à une alimentation suffisante.
Sur le plan psychologique, ils sont dévastés par la peur des bombardements, la faim et un désespoir total, faisant de leur quotidien une série ininterrompue de souffrances.
La brutalité des conditions de déplacement forcé exacerbe davantage la souffrance de ces enfants. Dans les centres d’hébergement dispersés au sud de la bande de Gaza, on peut observer des enfants confinés sur des fauteuils roulants vétustes, ou souffrant de handicaps auditifs et visuels, vivant dans un isolement total.
L’exode ne leur a laissé qu’un espace exigu pour dormir, sans équipements adaptés ni installations sanitaires adéquates. Certains d’entre eux nécessitent des dispositifs médicaux, tels que des béquilles, des prothèses ou des aides auditives, mais ces équipements ont été perdus sous les décombres des maisons, ou ne peuvent plus être réparés en raison du blocus impitoyable.
La destruction de la plupart des hôpitaux, ainsi que le manque de médicaments et de matériel médical, ont placé les enfants en situation de handicap parmi les plus vulnérables à la négligence sanitaire.
Nombre d’entre eux nécessitent des séances de rééducation régulières et des traitements médicaux constants. Cependant, l’interruption totale des services de santé a transformé ces besoins essentiels en rèves inaccessibles.
Ceux ayant perdu des membres lors des bombardements n’ont trouvé personne pour leur fournir des prothèses, et ceux souffrant de maladies chroniques se voient privés de leurs médicaments.
Il crucial de souligner que ce sont les mères qui endurent le plus directement cette souffrance aux côtés de leurs enfants. Il arrive de voir une mère porter son enfant paralysé dans ses bras, parcourant de longues distances à la recherche de nourriture, de médicaments et d’un peu de sécurité dans une Gaza dévastée.
Un exode dans des conditions insoutenables
Oum Mohammed Arfa est l’une de ces mères qui n’ont pas eu le temps de pleurer la perte de leur mari, tué sous les frappes aériennes israéliennes. La guerre ne lui a pas laissé de temps pour les larmes, et elle s’est retrouvée seule avec ses six enfants orphelins, portant sur ses épaules le poids de la peur et de la perte.
Dans ses bras, elle tient Mohammed, son fils de 9 ans, atteint d’une paralysie totale à la suite d’une blessure.
Oum Mohammed se souvient, lors de notre entretien, des moments de leur déplacement forcé : « Nous avons été contraints de quitter notre maison en direction du sud. Les obus nous poursuivaient. D’une main, je tenais nos affaires, et de l’autre, je serrais Mohammed contre moi, courant avec mes enfants au milieu des cris et des explosions. À chaque obus qui tombait, leurs hurlements déchiraient mon cœur. Mohammed était le plus terrifié. Son petit corps se figeait de peur. Il est tombé plusieurs fois, et je le voyais collé au sol, tremblant, incapable de bouger ou de fuir. »
La souffrance de Mohammed ne se limite pas à l’incapacité de son corps ; elle envahit également son esprit. Son sentiment de culpabilité l’amène à se percevoir comme un fardeau pour ses frères et sœurs.
Il cache sa faim, réprime son besoin de chaleur, ainsi que celui de repos. Il mène en réalité deux guerres : l’une extérieure, faite de bombardements et de privations, et l’autre intérieure, qui ronge son enfance et le détruit psychologiquement. Après deux années de guerre d’agression, Mohammed a subi une grave régression psychologique : il est devenu taciturne et préfère s’isoler dans la tente.
Sa mère dit avec tristesse : « Même lorsqu’il a contracté une maladie de peau douloureuse à cause de la pollution, il n’a pas pu gratter son corps pour soulager temporairement la souffrance qu’il ressentait. Il se contentait de pleurer en silence, tandis que les insectes le dévoraient et l’empêchaient de dormir. Malgré tous mes efforts pour alléger sa douleur, je reste impuissante. »
Alors qu’elle tente de se partager entre son enfant handicapé et les cinq autres qui ont également besoin de ses soins, les yeux de sa mère restent fixés sur Mohammed, de peur qu’il ne se dégrade davantage ou que la maladie l’emporte.
Son appel est un cri vers tous ceux qui peuvent aider : « Des enfants comme Mohammed ne doivent pas être abandonnés à leur sort. Ils ont besoin de fauteuils roulants, de médicaments, de tentes propres, de couches, et même d’un petit moment de joie pour les sortir de cet enfer. Nous voulons simplement qu’ils vivent avec dignité, qu’ils se sentent humains, qu’ils sachent qu’ils ont un droit à la vie. »
La faim les assiège
Quant à Souhayla Mansi, mère de trois enfants handicapés — deux d’entre eux souffrant de paralysie cérébrale et le troisième de la trisomie 21 — elle vit avec ses enfants une souffrance encore plus grande et plus cruelle. Depuis que les handicaps de ses enfants se sont ajoutés aux déplacements forcés, à la faim et aux bombardements, leur vie est devenue un cauchemar sans fin.

A Gaza, Yazan, âgé de deux ans, souffre de malnutrition sévère. Sa mère, Naima, déclare : « Nous n’avons pas reçu de farine ni aucune aide alimentaire depuis deux mois. » – Photo : El Baba / Unicef
Souhayla nous confie, en sanglotant : « Mes enfants ont besoin de soins médicaux et de rééducation dans des centres spécialisés, mais au lieu de cela, ils se retrouvent dans une tente étouffante, semblable à un four, sans médicaments ni nourriture. »
Le périple quotidien de Souhayla n’est qu’une recherche harassante et désespérée pour trouver une bouchée de pain qui puisse rassasier ses enfants. Elle porte sur ses bras affaiblis ceux qu’elle peut, et parcourt les rues pendant des heures, dans l’espoir de trouver quelqu’un qui aurait assez de pitié pour leur offrir un peu de nourriture.
Elle ajoute : « Jamais nous n’avons connu une époque où notre dignité a été autant bafouée. L’humiliation enveloppe toute notre vie. Mes enfants ont faim devant moi, ils souffrent de la maladie, de la chaleur et du froid, et je suis impuissante, je ne peux qu’essayer de les maintenir en vie pour un jour de plus. »
Les enfants qui avaient fait quelques progrès dans leur traitement avant la guerre ont aujourd’hui régressé de manière considérable, perdant même les capacités élémentaires qu’ils avaient acquises.
Souhayla partage ses sentiments avec une profonde tristesse : « Aucun cœur de mère ne peut supporter de voir ses enfants souffrir ainsi. Chaque jour, je cherche des médicaments gratuits, des couches, un fauteuil roulant pour m’aider à les déplacer, mais rien n’est disponible. Toutes les portes sont fermées. »
Comme si la guerre ne se contentait pas de la faim et de la maladie, elle a ajouté la terreur quotidienne à la vie de Souhayla et de ses enfants. Elle raconte d’une voix tremblante : « Dans l’une des haltes du déplacement forcé près de Tabbat al-Nuwari, j’ai laissé mes enfants dans la tente et suis sortie chercher de la nourriture pour eux. À mon retour, j’ai trouvé un chien devant la tente, s’approchant d’eux pour les attaquer. Ils étaient incapables de se défendre, à part en pleurant. J’ai perdu complètement mon calme à ce moment-là, je ne sais pas comment j’ai réussi à le chasser, puis je les ai pris dans mes bras, totalement effondrée. »
Dans chaque mot prononcé par Souhayla, éclate le désespoir d’une mère prise entre le feu de la guerre et l’incapacité à protéger ses enfants. Ses paroles sont un cri de détresse provenant du cœur de chaque mère gazaouie : « Des enfants comme les miens ne doivent pas être abandonnés ainsi. Nous avons besoin de médicaments, de dignité, et d’une vie qui préserve leur humanité. »
Les enfants disparus
Ahmed Mazid, responsable de l’un des camps de déplacés dans la région de Mawasi, au sud de Deir al-Balah, déclare : « Les enfants en situation de handicap vivent dans des conditions extrêmement difficiles dans les tentes, car ils manquent des éléments les plus fondamentaux de la vie, et ils affrontent des défis quotidiens qui menacent leur sécurité et leur existence. »
Il ajoute : « Beaucoup de ces enfants souffrent de difficultés à dormir, à se déplacer, voire à obtenir une nourriture adéquate. Certains enfants souffrant de handicaps mentaux se perdent loin de leurs tentes pendant que leurs proches sont occupés. Ils errent dans de vastes espaces, et peuvent même atteindre des zones frontalières dangereuses, ce qui mène à leur disparition, laissant leurs familles dans une quête désespérée qui peut se terminer par un échec ou une tragédie. »
Selon Ahmed Mazid, les tentes et les camps manquent totalement des équipements nécessaires pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse d’enfants, de personnes âgées, d’amputés ou de malades psychiques. Il souligne que l’absence d’hygiène et la malnutrition aggravent leur souffrance physique et accélèrent la dégradation dangereuse de leur état de santé.

31 mai 2025 – Mais Abdel Aal, âgée de 10 ans, est soignée à l’hôpital Al-Nasser après avoir été grièvement blessée par les forces coloniales israéliennes, à Khan Yunis, le 31 mai 2025. Mais a subi une fracture du crâne après avoir été touchée par une balle tirée depuis un quadricoptère israélien alors qu’elle se trouvait dans sa tente dans la zone d’al-Mawasi à Khan Yunis, une prétendue « zone sûre » qui est régulièrement attaquée par les Israéliens. Elle souffre désormais d’hémiplégie, ce qui limite considérablement sa mobilité. Mais doit être transférée d’urgence à l’étranger pour y être soignée, son état s’étant détérioré, notamment avec l’apparition de vers dans son crâne, le complexe médical Al-Nasser n’étant pas en mesure de lui fournir les soins médicaux adéquats en raison du blocus israélien sur les fournitures médicales. Sa tante lance un appel à l’aide pour que Mais puisse retrouver sa mère, qui s’est déjà rendue en République arabe d’Égypte pour y être soignée – Photo : Doaa Albaz / Activestills
Toujours, selon lui : « Les unités médicales dans les camps manquent presque entièrement de médicaments et de traitements de base, sans compter l’absence de fauteuils roulants. Même ceux qui en ont un rencontrent d’énormes difficultés pour se déplacer dans l’environnement sableux et difficile de Mawasi, ce qui rend leur vie encore plus pénible et renforce leur sentiment d’impuissance. »
Il poursuit : « Chaque jour, nous sommes témoins de la disparition d’enfants en situation de handicap, notamment ceux souffrant de déficience mentale ou de troubles psychologiques. Nombre d’entre eux quittent leurs tentes sans jamais revenir, laissant leurs familles dans l’angoisse et des heures de recherche désespérée. Parfois, la fin est tragique, surtout si l’enfant atteint les zones de combat ou les frontières où l’armée d’occupation se trouve, et qui n’épargne pas les enfants, les assassinant sans distinction. »
Mazid conclut en déclarant : « La situation de ces enfants exige une intervention humanitaire urgente, que ce soit pour fournir des soins médicaux et des équipements adaptés, ou pour améliorer les conditions de déplacement afin de préserver leur dignité et leur droit à la vie. »
Sources :
- “GAZA: Explosive Weapons Left 15 Children a Day with Potentially Lifelong Disabilities in Gaza, 2024 ». Save the Children. Occupied Palestinian territory 14/01/2025.
- “الإحصاء الفلسطيني يصدر بياناً صحافياً بمناسبة اليوم العالمي للأفراد ذوي للإعاقة 03/12/2023″. دولة فلسطين الجهاز المركزي للإحصاء الفلسطيني.« 03/12/2023.
(L’Office central des statistiques palestinien publie un communiqué de presse à l’occasion de la Journée internationale des personnes en situation de handicap 03/12/2023. État de Palestine, Bureau central des statistiques palestiniennes. 03/12/2023. )
Auteur : Mohammad al-Naami
* Mohammad al-Naami est un journaliste originaire de Gaza.
5 septembre 2025 – The Palestine Studies – Traduction de l’arabe : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer
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