
1er août 2025 - Un père porte le corps de son fils tué alors qu'il tentait de se procurer de la nourriture à l'approche d'un des rares camions autorisés par les Israéliens à entrer au nord de Gaza - Photo : via al-Mayadeen
Par Abdel Qader Sabbah, Sharif Abdel Kouddous
Israël et les États-Unis n’ont rien pour atténuer la famine qui sévit de pire en pire à Gaza, alors même que la famine imposée et organisée a dépassé le point de non-retour.
L’envoyé spécial du président Trump, Steve Witkoff, et l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee, ont « visité » vendredi un site de « distribution d’aide » géré par la prétendue Fondation humanitaire de Gaza à Rafah, dans le sud de Gaza.
Au cours de cette visite très médiatisée de l’envoyé américain, au moins 82 Palestiniens ont été assassinés dans des attaques israéliennes à travers l’enclave, dont 49 personnes qui cherchaient de l’aide alimentaire, et plus de 270 ont été blessés.
Cette visite intervient alors que la principale autorité internationale en matière de crises alimentaires, l’Integrated Food Security Phase Classification (IPC), a déclaré cette semaine que « le pire scénario de famine se déroule actuellement dans la bande de Gaza », avertissant que la situation a atteint « un tournant alarmant et mortel » et prédisant « des morts massives » si des mesures immédiates ne sont pas prises.
« Une mise en scène théâtrale est actuellement en cours dans les centres de distribution de l’aide américaine, en présence de l’envoyé de Trump, Steve Witkoff : une distribution civilisée de l’aide, sans répression ni gaz poivré, sans coups de feu ni victimes, sans bousculades », a déclaré Eyad Amawi, représentant du Comité de secours de Gaza et coordinateur des ONG locales basées à Deir al-Balah.
« Aujourd’hui, l’objectif est de discréditer des milliers de vidéos, d’effacer le sang de près de 1000 martyrs affamés et de centaines de blessés pris au piège de l’humiliation. »
La campagne de famine menée par Israël à Gaza a atteint un point critique le mois dernier, avec des Palestiniens s’effondrant dans les rues et des hommes, des femmes et des enfants mourant chaque jour de faim et de malnutrition.
Vendredi, le ministère de la Santé a enregistré trois nouveaux décès dus à la famine qui se propage, portant le nombre total depuis le début de la guerre à 162, dont 92 enfants, dont beaucoup au cours des trois dernières semaines seulement.
Vendredi, de nombreux Palestiniens tués ou blessés par les forces israéliennes alors qu’ils cherchaient de la nourriture auprès des convois des Nations unies au passage de Zikim, dans le nord de Gaza, ont été transportés par des habitants jusqu’aux marches de l’hôpital Hamad, fermé, près de la côte.
Les ambulances n’avaient pas pu atteindre le lieu des attaques, mais attendaient pour transférer les blessés vers des hôpitaux partiellement opérationnels de la ville de Gaza.
Certains des corps transportés à l’hôpital paraissaient émaciés.
Les secouristes ont enveloppé les cadavres dans des sacs mortuaires et les ont chargés dans les ambulances. À l’hôpital Al-Shifa, des jeunes hommes et des garçons blessés ont été admis dans un flux apparemment interminable, et beaucoup souffraient de blessures par balle.
Les membres de leur famille pleuraient sur les cadavres gisant sur le sol devant l’entrée de l’hôpital.
« La situation est horrible. Mortelle », a déclaré Ahmed al-Madhoun, blessé à la jambe alors qu’il tentait de se procurer de la nourriture à Zikim et qui était assis dehors, gémissant de douleur, devant l’hôpital Shifa.
« Il y avait des martyrs gisant sur le sol, des blessés partout. C’est irréel. On voit la mort de ses propres yeux », a-t-il déclaré à Drop Site News. « Je n’ai réussi à rassembler que deux boîtes de haricots et une autre boîte. Je venais de sortir du véhicule et dès que je suis sorti, ils ont ouvert le feu sur moi. Une personne a été tuée et j’ai été blessé. J’ai continué à ramper jusqu’à l’hôpital Hamad. »
Fares Afana, responsable des services d’urgence et d’ambulance dans le nord de Gaza, a déclaré à Drop Site qu’au moins 14 personnes venues chercher de l’aide avaient été tuées à Zikim vendredi et que plus de 150 avaient été blessées.
« L’occupation israélienne continue de prendre pour cible ceux qui attendent de l’aide dans le secteur de Zikim », a déclaré M. Afana. « Cette méthode de distribution, dont nous avons souvent parlé, est une façon humiliante de traiter notre peuple palestinien. »
Il a ajouté : « Ce qui a été frappant hier et aujourd’hui, ce sont les tirs visant le haut du corps : la poitrine et la tête… Toutes les personnes qui attendent de l’aide sont des civils non armés. Ils ne représentent aucune menace pour les forces d’occupation, il n’y a donc aucune justification à ces tirs directs contre des Palestiniens affamés qui cherchent de quoi manger. »
Pendant ce temps, Witkoff a publié sur X des photos de lui-même vêtu d’un gilet pare-balles et d’une casquette noire MAGA. Il était flanqué de gardes armés lors de sa rencontre avec des responsables GHF à Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza, qui a été rasée et soumise à un nettoyage ethnique par l’armée israélienne.
Il a déclaré avoir passé plus de cinq heures à Gaza « pour établir les faits sur le terrain, évaluer la situation et rencontrer [la GHF] et d’autres agences… afin de donner [au président] une idée claire de la situation humanitaire et d’aider à élaborer un plan pour acheminer de la nourriture et des soins médicaux à la population de Gaza ».
Dans un message publié sur X et rapidement supprimé, Huckabee [l’ambassadeur US] a affirmé que les Palestiniens de Gaza « aiment Trump » et que les Palestiniens appellent « Trump Tower » l’un des « rares » bâtiments encore debout à Rafah.
Il a ensuite publié un message indiquant que la visite avait pour but « d’apprendre la vérité sur les sites d’aide [GHF] », ajoutant : « Nous avons reçu des informations [des Israéliens] et avons parlé à des personnes sur le terrain. La GHF distribue plus d’un million de repas par jour, un exploit incroyable ! »
Opération de relations publiques et réalité sur le terrain
Cette visite axée sur les relations publiques contrastait fortement avec les scènes de chaos et d’effusion de sang qui accompagnaient quotidiennement les massacres perpétrés contre les Palestiniens affamés depuis que la GHF avait pris en charge la distribution de l’aide à Gaza fin mai.
La GHF n’avait mis en place que quatre centres dans des zones reculées et militarisées – trois dans le sud et un dans le Wadi Gaza – et aucun dans le nord de Gaza, où les convois d’aide de l’ONU n’étaient autorisés à entrer qu’en nombre très limité.
Entre le 27 mai et le 31 juillet, au moins 1373 Palestiniens ont été tués alors qu’ils cherchaient de la nourriture, dont 859 à proximité des sites du GHF et 514 le long des itinéraires des convois alimentaires, selon l’ONU.
La plupart des meurtres ont été commis par l’armée israélienne, mais aussi par des sociétés de sécurité américaines et des groupes armés palestiniens alliés à Israël.
L’indignation internationale suscitée par les images et les informations faisant état d’un nombre croissant de décès liés à la famine à Gaza ont poussé Israël à annoncer la semaine dernière qu’il imposerait des « pauses humanitaires » de 10 heures par jour dans certaines parties de Gaza, autoriserait l’acheminement d’une aide supplémentaire par des itinéraires sécurisés et permettrait des largages de vivres par voie aérienne.
Selon les travailleurs humanitaires à Gaza, l’ONU et les ONG internationales, ces mesures ont eu peu d’effet sur le terrain.
Depuis la mise en place des « pauses humanitaires » dimanche, au moins 593 Palestiniens ont été assassinés dans toute la bande de Gaza, selon les chiffres du ministère de la Santé et les informations relayées par les médias, dont 300 personnes qui cherchaient de l’aide, et plus de 1 967 ont été blessés.
Les « voies sécurisées » à l’intérieur de Gaza qu’Israël avait déclaré vouloir désigner pour les convois d’aide humanitaire – de 6 h à 23 h – comprenaient, selon les informations disponibles, des couloirs passant par Zikim, Netzarim, une route directe vers Deir al-Balah et deux « voies centrales ».
Mais jeudi, l’ONU a émis de sérieux doutes quant à l’accès et à la sécurité. « Malgré les annonces israéliennes concernant la désignation de routes sécurisées pour les convois, les camions continuent de subir de longs retards qui exposent les chauffeurs, les travailleurs humanitaires et la foule à des dangers », a déclaré le porte-parole de l’ONU Farhan Haq, ajoutant qu’une seule route avait été ouverte aux équipes quittant Kerem Shalom, où les forces israéliennes maintiennent un « poste de contrôle ad hoc ».
Les données de l’UNOCHA soulignent le dysfonctionnement : sur les 92 mouvements d’aide coordonnés entre mercredi dernier et mardi, 16 % ont été purement et simplement refusés, 26 % ont été approuvés mais bloqués ou retardés, 47 % ont été entièrement facilités et 11 % ont été retirés pour des raisons logistiques ou de sécurité.
Afana, responsable des services d’urgence et d’ambulance dans le nord de Gaza, a déclaré que l’une des raisons du pillage était le ciblage des groupes tribaux locaux qui tentaient de sécuriser les convois. « Un groupe d’hommes chargés de la sécurité tribale a été pris pour cible par des drones de surveillance, faisant six morts parmi eux », a déclaré Afana à Drop Site.
Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a ajouté que la plupart de l’aide n’atteignait jamais les entrepôts de l’ONU. Elle est soit déchargée par des civils affamés, souvent pris pour cible par les forces israéliennes, soit pillée par des gangs armés soutenus par Israël. Onze volontaires tribaux chargés de sécuriser l’aide ont également été tués par les forces israéliennes au début de la semaine, a ajouté le bureau des médias.
Pendant ce temps, la quantité déjà minuscule de nourriture qui parvient aux Palestiniens n’a guère augmenté. « La légère augmentation des arrivages est loin d’être suffisante pour répondre aux besoins réels de la population », a déclaré vendredi Olga Cherevko, membre du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies à Gaza, à Al Jazeera.
« De nombreux facteurs sur le terrain indiquent que, malgré le léger assouplissement des diverses restrictions [imposées par Israël à l’entrée de l’aide], nous sommes toujours dans la même situation », a déclaré Mme Cherevko. « Les gens continuent de mourir de faim, les taux de malnutrition continuent d’augmenter, les gens risquent leur vie pour se procurer de la nourriture, et il n’y a pas de changement substantiel et opérationnel, vraiment. »
L’armée israélienne a confirmé que six pays avaient été autorisés à larguer de l’aide à Gaza, notamment la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Égypte, la Jordanie et les Émirats arabes unis, mais la quantité reste largement insuffisante et cette méthode d’acheminement de l’aide a été critiquée comme étant dangereuse et inefficace, les colis atterrissant dans des zones reculées et militarisées ou tombant dans la mer.
« Les largages aériens et les convois limités qui se poursuivent n’ont pas permis d’acheminer de la nourriture aux milliers de familles vivant dans des conditions terribles. Les risques liés à l’accès à l’aide restent extrêmement élevés et les quantités qui parviennent à destination sont loin d’être suffisantes pour répondre aux besoins les plus élémentaires », a déclaré M. Amawi.
« Les gens parcourent de longues distances dans le sable, les décombres et les zones dangereuses juste pour être au bon endroit au bon moment lorsque les parachutes tombent. Je connais personnellement des personnes qui ont fait cette course désespérée plus de cinq fois en une seule journée et qui reviennent toujours les mains vides. Le coût émotionnel et physique est énorme. Imaginez le poids de la faim, de la chaleur, de la peur et de la déception qui se répètent encore et encore. Ce n’est pas de l’aide humanitaire. Cela ressemble davantage à un supplice et à une humiliation qui privent les gens de leur dignité. L’aide ne devrait pas nécessiter de telles souffrances. Elle devrait parvenir aux personnes là où elles se trouvent, et non les contraindre à une course pour la survie que beaucoup, en particulier les enfants, les personnes âgées et les malades, ne peuvent tout simplement pas gagner. »
Human Rights Watch a publié vendredi un rapport concluant que « les forces israéliennes soutenues par les États-Unis et des entrepreneurs privés ont mis en place un système de distribution de l’aide défaillant et militarisé qui a transformé les distributions d’aide en bains de sang réguliers ».
Le rapport indique que « la situation humanitaire désastreuse est le résultat direct de l’utilisation par Israël de la famine comme arme de guerre – un crime de guerre – ainsi que de la privation intentionnelle et continue de l’aide et des services de base, qui constituent un crime contre l’humanité et des actes de génocide ».
* Abdel Qader Sabbah est journaliste et vidéaste dans le nord de Gaza.Auteur : Abdel Qader Sabbah
Auteur : Sharif Abdel Kouddous
* Sharif Abdel Kouddous est un journaliste indépendant qui a réalisé des reportages dans le monde arabe, aux États-Unis et à l'international. Il a reçu un prix George Polk pour son enquête sur l'assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, un Emmy Award pour sa couverture de l'interdiction de voyager pour les musulmans décrétée par l'administration Trump, et un Izzy Award pour sa couverture de la révolution égyptienne de 2011. Son travail a été publié et présenté dans The Nation, Washington Post, Los Angeles Times, Foreign Policy et Democracy Now.
1er août 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
Soyez le premier à commenter