
Janvier 2025 - Blindés israéliens bloquant les entrées de la ville syrienne de Quneitra - Photo : via al-Mayadeen
Par Robert Inlakesh
En 2013, Israël a commencé à travailler sur un projet visant à étendre sa « zone tampon » dans le sud de la Syrie afin de s’emparer à terme de nouveaux territoires sur le plateau du Golan, occupé illégalement.
L’invasion de la ville à majorité druze de Sweida par les forces alignées avec le gouvernement syrien a ouvert la voie à de nouvelles annexions territoriales par Israël dans le sud du pays, au détriment de la population civile syrienne. Cependant, cette dangereuse escalade pourrait également favoriser l’apparition de nouvelles opportunités sur le long terme.
Si certains peuvent trouver troublant le bain de sang dans lequel le sud de la Syrie est actuellement plongé, il est assez simple à comprendre lorsque les événements sont replacés dans leur contexte et que les arguments sectaires sont démontés.
Profitant du carnage dans le sud de la Syrie, Israël s’est engouffré dans la brèche pour poursuivre son propre programme expansionniste dans la région, en lançant des frappes aériennes qui ont tué aussi bien des forces de sécurité syriennes que des civils. Pendant ce temps, le débat fait rage pour savoir qui combat vraiment qui et pour quelles raisons.
Comment cela a-t-il commencé ?
Le conflit fratricide a débuté en début de semaine, après qu’un groupe de militants arabes bédouins a kidnappé un commerçant druze qui voyageait sur la route de Damas, le 11 juillet.
Ces groupes auraient également mené une attaque armée contre les forces druzes à un poste de contrôle dans la province de Sweida. Cet incident a entraîné une riposte armée des milices druzes, suivie d’une série d’enlèvements commis par des combattants bédouins.
Dimanche, la situation s’était transformée en affrontements armés de rues entre les milices druzes et bédouines. En réponse à cela, des groupes de soldats appartenant au gouvernement de Damas ont été envoyés dans le sud pour soi-disant désamorcer les tensions et négocier une trêve.
Au lieu de cela, selon la population druze locale, l’armée syrienne a pris le parti des miliciens bédouins. C’en sont suivis des affrontements entre les milices druzes et les forces gouvernementales syriennes.
Soudain, d’importantes forces tribales se sont jointes aux combattants liés à Al-Qaïda pour combattre les forces armées des groupes minoritaires druzes. Des vidéos ont commencé à apparaître, provenant de la province de Deir Ezzor, dans l’est de la Syrie, montrant des militants armés sautant dans des camionnettes en direction de Sweida.
Des images ont également été publiées montrant la capture d’un homme druze âgé, qui avait les yeux bandés et était victime d’insultes sectaires de la part de militants arborant des écussons Daech sur leurs uniformes.
Ensuite, les forces gouvernementales syriennes de Damas se sont mobilisées en plus grand nombre, dans le but, selon les autorités, de protéger les civils et d’apaiser les tensions. Cependant, il est rapidement apparu qu’elles avaient reçu l’ordre de capturer la ville de Sweida et d’écraser la milice du Conseil militaire druze qui était entrée dans la bataille.
Il n’a pas fallu longtemps pour que des récits horribles commencent à émerger, faisant état de violences sectaires touchant des civils druzes. Bien que de nombreuses allégations n’aient pas été vérifiées, des preuves ont été produites qui confirment le meurtre de civils, y compris des femmes et des enfants.
Bon nombre de ces rapports décrivent des exécutions sommaires qui ressemblent fort à celles qu’a subies, il y a quelques mois, la minorité alaouite dans la région côtière de la Syrie, où des milliers de civils ont été assassinés par des militants alignés sur le gouvernement syrien.
Dans le même temps, les médias syriens locaux alignés sur le gouvernement de Damas affirment que ce sont les séparatistes druzes qui ont déclenché les hostilités, tant contre les forces armées syriennes que contre les clans bédouins. On ne sait pas exactement qui a déclenché les violences entre l’armée et les forces druzes, mais il est clair que ce sont les miliciens bédouins qui ont attaqué les Druzes.
Il existe en effet des groupes de séparatistes druzes, dont certains sont alignés sur Israël. Cependant, la majorité de la population druze syrienne et ses dirigeants s’opposent aux Israéliens, préférant un accord avec le gouvernement de Damas à la « protection » offerte par l’armée israélienne.
L’une des figures les plus controversées parmi les chefs spirituels druzes est le cheikh Hikmat al-Hijri, qui aurait cherché à obtenir des concessions sectaires de la part du gouvernement syrien, selon certains. De fait, la plupart des dirigeants druzes en Syrie ont cherché à plusieurs reprises à conclure des accords avec le gouvernement syrien dirigé par Ahmed al-Shara’a.
Il existe également des groupes armés locaux qui expriment des sentiments séparatistes. Ces militants se regroupent généralement sous la bannière des groupes Karama.
Comment Israël a profité des effusions de sang
Peu après que l’armée syrienne et ses milices alliées – venues d’Idlib, Damas et Homs– ont atteint la périphérie de la ville de Sweida, Israël a commencé à lancer des frappes aériennes contre leurs positions.
Selon Axios News, les autorités de Damas avaient même coordonné le mouvement de leurs chars en direction de Sweida avec Israël, par mesure de précaution, pour signifier qu’ils ne représentaient pas une menace pour les Israéliens. L’armée israélienne a néanmoins décidé de frapper les forces de l’armée syrienne.
Finalement, la campagne de bombardements israéliens dans le sud de la Syrie s’est intensifiée et plus de 100 frappes aériennes ont été menées en 24 heures, aboutissant au bombardement spectaculaire du bâtiment du ministère syrien de la Défense à Damas. Selon les premiers rapports, au moins 700 combattants alignés sur le gouvernement syrien auraient été éliminés par les frappes aériennes israéliennes.
Pour comprendre ce qui se passe actuellement, il est essentiel de savoir que, bien qu’il existe techniquement un gouvernement à Damas, celui-ci n’a pratiquement aucun contrôle sur le pays. Ce sont les milices locales qui contrôlent les différentes régions de Syrie, et, dans de nombreux cas, elles détiennent plus de pouvoir que les forces de sécurité gouvernementales.
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De plus, lorsque l’on examine la nouvelle armée syrienne, elle s’apparente davantage à un regroupement de milices qu’à une armée régulière, car l’armée arabe syrienne du gouvernement précédent a été démantelée. Cette armée n’a pas accès à de nombreux systèmes de missiles à longue portée, elle ne possède ni avion, ni marine et son expérience est très limitée.
Par conséquent, l’armée syrienne s’appuie sur ses groupes militants alliés, souvent composés de combattants sectaires radicaux qui adhèrent à une mentalité de type Al-Qaïda. Beaucoup de ces groupes brandissent ouvertement des drapeaux de Daech et arborent des emblèmes d’Al-Qaïda. Il s’agit, pour être honnête, d’escadrons de la mort fanatiques qui prônent souvent ouvertement le massacre des chiites, des chrétiens, des alaouites, des Kurdes, des druzes et des autres sunnites qui n’adhèrent pas à leur idéologie salafiste.
Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le parti d’Ahmed al-Shara’a, est de la même veine. HTS est depuis longtemps un groupe takfiri, ce qui signifie qu’il se croit autorisé à considérer les musulmans et les groupes religieux minoritaires, qui ne suivent pas son interprétation de l’islam, comme des mécréants qui doivent être tués ou contraints de « se repentir ».
Il est nécessaire de savoir tout cela pour comprendre que considérer les tensions actuelles dans le sud de la Syrie comme un conflit entre le « gouvernement » et « les Druzes » serait une grosse erreur. En réalité Israël en est le principal acteur.
En 2013, Israël a commencé à travailler sur un projet visant à étendre profondément sa « zone tampon » dans le sud de la Syrie, pour s’emparer à terme de plus de territoire sur le plateau du Golan qu’il occupe illégalement et qu’il a officiellement annexé en 1981.
Pour ce faire, les Israéliens ont élaboré un certain nombre de plans, avec l’aide de la Jordanie et des États-Unis. L’un des principaux objectifs d’Israël était de soutenir les séparatistes druzes afin de créer un État ethnique druze pro-israélien dans le sud de la Syrie.
Toujours en 2013, Tel-Aviv a commencé à soutenir une douzaine de groupes d’opposition syriens dans le sud de la Syrie, dont la plupart étaient liés à Al-Qaïda, à Daech ou aux deux. L’un de ces groupes était Jabhat al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, qui combattait activement aux côtés de Daech à l’époque, avant de se brouiller avec le groupe extrémiste par la suite.
Jabhat al-Nusra sera plus tard rebaptisé HTS, mais à l’époque où il recevait le soutien médical, financier et militaire d’Israël, il était également occupé à commettre des massacres sectaires contre les Druzes en Syrie.
Pour Israël, la formule était simple : diviser la population syrienne en soutenant les groupes les plus puissants qui combattaient l’État syrien et ceux qui tuaient les minorités, puis se rapprocher des groupes minoritaires persécutés afin de les lancer contre leurs propres compatriotes.
Outre son objectif d’annexer davantage de territoires syriens sous la bannière de son « projet du Grand Israël », Israël lance également des frappes aériennes contre les forces gouvernementales syriennes et leurs alliés pour deux autres raisons. La première est de s’assurer que la Syrie reste militairement divisée et paralysée, tandis que la seconde est d’apaiser la population druze israélienne.
Mercredi, il a été rapporté que plus de 1000 Druzes israéliens avaient traversé la frontière syrienne de leur propre initiative afin de se battre pour la population druze syrienne à Sweida. Pour la population druze d’Israël, cette question n’est pas négociable, elle exige l’intervention de l’armée israélienne.
Bien que la minorité druze de Palestine occupée soit techniquement considérée comme des citoyens de seconde zone, elle sert toujours dans l’armée israélienne et occupe des postes clés au sein de celle-ci. Ainsi, lorsque le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, voit les Druzes israéliens brûler des pneus dans les rues et manifester en faveur d’une intervention, il comprend qu’il faut agir afin d’éviter des troubles au sein même d’Israël.
La trahison de la Palestine par la Syrie est un pur acte de soumission au diktat israélo/US
C’est là que les choses pourraient potentiellement se retourner contre Tel-Aviv, car si Israël finit par s’enliser en Syrie, à moment donné, cela pourrait provoquer d’importantes tensions militaires. Cependant, jusqu’à présent, le gouvernement syrien a laissé Israël voler des pans de son territoire, occuper ses villages, tuer des centaines de combattants et de civils, et détruire son arsenal militaire stratégique.
Les dirigeants syriens ont décidé de renoncer à leur souveraineté nationale pour devenir un régime fantoche des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Union européenne et, dans une certaine mesure, de la Turquie également. Ils ont réprimé la résistance palestinienne à l’intérieur du pays, bloqué l’acheminement d’armes vers le Hezbollah au Liban et désigné l’Axe de la résistance dirigé par l’Iran comme leur seul ennemi.
Il est important de comprendre que les dirigeants syriens ont décidé d’échanger leur fierté nationale et leur souveraineté contre une aide économique, créant ainsi une équation qui les oblige à se plier aux diktats de leurs alliés occidentaux, qui placent tous Israël au premier rang de leurs priorités régionales. Par conséquent, chaque fois qu’Ahmed al-Shara’a s’écarte légèrement de la ligne directrice, ses hommes sont tués et Damas est soumise à des bombardements.
Le gouvernement HTS a établi des liens avec Israël dans les trois jours qui ont suivi la prise de Damas. Depuis lors, il a travaillé à la « coordination de la sécurité » et a même participé à des pourparlers de normalisation. L’agence de presse nationale syrienne, SANA, a même ouvert une page web en hébreu, et des journalistes israéliens sont invités dans la capitale du pays. Le corps d’un soldat israélien capturé en 1982 a été remis à Israël. Les effets personnels du célèbre espion israélien Eli Cohen ont également été restitués en signe de bonne volonté.
En d’autres termes, jusqu’à présent, l’État syrien s’est incliné devant Israël et a accepté une relation de servitude. En vérité, Damas n’a que deux options : la capitulation totale et l’abandon de sa souveraineté, comme il l’a fait jusqu’à présent, ou la résistance, qui aboutira probablement à une frappe israélienne visant à assassiner ses dirigeants, suivie d’une guerre.
Une guerre avec Israël pourrait être la seule voie pour relancer la Syrie en tant que nation, mais elle s’avérerait extrêmement coûteuse. En réalité, les Israéliens ne sont pas en mesure de mener une longue guerre contre la Syrie, surtout compte tenu de l’épuisement de leur armée et de la multitude de fronts sur lesquels ils combattent actuellement. Mais cela reste tout de même un scénario extrêmement improbable.
Pour qu’Ahmed al-Shara’a se décide à prendre des mesures de représailles contre Israël, il faudrait que les forces militantes qui se sont ralliées à lui, soient tellement furieuses de son inaction face à l’agression non provoquée de Tel-Aviv qu’elles menacent son pouvoir.
Auteur : Robert Inlakesh
* Robert Inlakesh est un analyste politique, journaliste et réalisateur de documentaires actuellement basé à Londres, au Royaume-Uni. Il a rapporté et vécu dans les territoires palestiniens occupés et travaille actuellement avec Quds News et Press TV. Il est le réalisateur de Steal of the Century: Trump's Palestine-Israel Catastrophe. Suivez-le sur Twitter.
17 juillet 2025 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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