Pas de #MeToo pour ces Palestiniennes emprisonnées en Israël

Photo : Abbas Momani
Des manifestants palestiniens tenant des affiches avec la photo de Khalida Jarrar, lors de sa détention en avril 2015 - Photo : Abbas Momani

Par Gideon Levy

Ce ne sont pas des femmes, ce sont des «terroristes», donc personne ne se soucie d’elles lorsqu’elles sont victimes de mauvais traitements et d’abus.

À une époque où toute remarque sexiste adressée à une femme peut conduire à une émeute, la torture lors des interrogatoires ou les incarcérations totalement injustes de femmes ne fâchent personne. Lorsque des carrières et des vies sont ruinées à cause d’un baiser ou d’une accolade inappropriés, la retenue des femmes pendant des jours et des nuits dans des positions contraintes et douloureuses, la privation de sommeil et les réclusions sont acceptables parce qu’elles sont des «terroristes».

Le mouvement #MeToo est allé loin, parfois trop loin et parfois pas assez loin : il s’arrête à la porte du camp Ofer et des installations d’interrogatoire du service de sécurité du Shin Bet. Là, ça n’existe pas. Là, les femmes peuvent être maltraitées au cœur du système d’occupation. Personne ne protestera.

Un jour la semaine dernière, la prisonnière Khalida Jarrar, membre du Parlement palestinien inexistant, a été amenée devant le si déprimant tribunal militaire d’Ofer. Elle n’a pas été torturée lors de ses interrogatoires, mais des signes d’épuisement étaient clairement visibles. Menottée, dans un manteau débraillé des services pénitentiaires israéliens, son visage montrant la fatigue de trois mois et demi de détention et d’interrogatoires, cette ancienne combattante des détentions antérieures – la plupart sans inculpation – a été accusée de “détenir une position dans une association illégale”.

La montagne de communiqués du Shin Bet à la presse, aux membres des médias, dans lesquels Jarrar a même été accusée de la responsabilité du meurtre en août de Rina Shnerb en Cisjordanie, a “accouché d’une souris” sous la forme d’une arrestation politique pour “détenir une position” dans une association.

Israël ne prend même pas la peine de vouloir dissimuler le fait qu’il détient des prisonniers politiques, comme dans n’importe quel régime despotique.

Jarrar a été accusée d’être responsables de “l’activité nationale et politique” du Front populaire de libération de la Palestine, un parti laïc de gauche, dont l’occupant ne reconnaît pas le droit d’exister – comme pour toute organisation palestinienne – car ce sont toutes des prétendues “organisations terroristes”. Même ses procureurs admettent que le seul péché de Jarrar est son activité politique.

Seules trois femmes israéliennes, qui méritent des félicitations, sont venues à Ofer pour montrer leur solidarité avec la courageuse féministe palestinienne en prison. #MeToo aussi? Des organisation de femmes ? Pas ici…

Le sort de l’étudiante en journalisme Mays Abu Ghosh était encore pire. Selon son père et ses avocats, elle a été torturée lors de son interrogatoire. Étudiante militante, elle est en détention depuis environ six mois.

Les charges retenues contre elle sont lourdes, mais après en avoir pris connaissance, il est clair que presque toutes sont ridicules. L’accusation la plus grave, de “port d’une arme, possession et fabrication d’une arme”, indique qu’elle a rempli des bouteilles avec de l’essence dans une station-service et y a introduit des chiffons pour les utiliser comme cocktails Molotov. C’est la grande fabrique d’armes de Qalandiyah !

Les autres accusations sont totalement politiques. “Contact avec l’ennemi”, par exemple, fait référence à sa participation à une conférence au Liban sur le retour des réfugiés et à un entretien avec la station de radio du Hezbollah. Ses avocats demandent un procès dans le cadre d’un procès, sur les violences qui, selon Mays, ont été exercées sur elle pendant son interrogatoire.

Son père a témoigné qu’il a à peine reconnu sa fille la première fois qu’il l’a vue après son arrestation. C’était peu de temps après qu’un autre détenu, Samer Arbeed, ait été hospitalisé dans un état critique après avoir été torturé par ses interrogateurs, qui lui ont cassé 16 côtes en 30 heures et ont provoqué des lésions internes.

Les avocats d’Abou Ghosh disent qu’elle a été interrogée pendant des jours et des nuits, liée dans les positions notoires de “banane” et de “grenouille”. Ici aussi, il n’y a pas de #MeToo. Il est interdit de caresser une femme contre sa volonté, comme il se doit, mais il est normal de l’enchaîner dans des positions douloureuses et de la maltraiter.

Les femmes du mouvement féministe qui tirent à vue sur des baisers forcés ne s’en prendront à aucun des interrogateurs et des tortionnaires. Les organisations féminines resteront silencieuses : elles sont trop occupées par leur lutte héroïque pour mettre les jeunes femmes dans des tanks afin qu’elles puissent bombarder Gaza à leur guise, tout comme les types, au nom de l’égalité des sexes.

Mais il y a actuellement quelques dizaines de Palestiniennes dans la prison de Damon. Certaines sont des détenus politiques, d’autres ont été torturées lors des interrogatoires. Pourquoi donc les lionnes en colère de #MeToo ne se soucient-elles pas de ces femmes ?

A1 * Gidéon Lévy : Né en 1955, à Tel-Aviv, est journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation.


16 janvier 2020 – Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine