L’annexion sera un désastre de plus pour les Palestiniens

Photo : Ahmad Al-Bazz/Activestills
Au barrage militaire de Tayseer, dans la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée, les soldats de l'armée d'occupation empêchent les manifestants palestiniens d'atteindre un camp militaire lors d'une manifestation contre le plan du président Donald Trump au Moyen-Orient - 29 janvier 2020 - Photo : Ahmad Al-Bazz/Activestills

Par Mersiha Gadzo

Les agriculteurs palestiniens ont pu récupérer une partie de leurs terres dans la zone C, mais ils s’inquiètent maintenant de leur sort.

Les agriculteurs palestiniens vivant dans la zone sous occupation de la vallée du Jourdain expriment leur inquiétude sur ce que l’avenir leur réserve avec l’annexion imminente du territoire par Israël, qui pourrait commencer dès mercredi.

Ils craignent que l’annexion ne les empêche d’accéder à leurs terres et qu’ils soient coupés du reste de la Cisjordanie, ce qui détruirait leurs activités d’exportation et leur seule source de revenus.

La vallée du Jourdain, stratégique et fertile, est connue comme le “grenier à blé” des Palestiniens, constituant la moitié de la surface agricole totale fournissant de la nourriture aux Palestiniens de Cisjordanie.

“Si l’annexion se réalise, ce sera un désastre pour nous, agriculteurs de la vallée du Jourdain”, a déclaré à Al Jazeera Muneer Nasasri, âgé de 52 ans, du village de Jiffly, à 30 km au sud de Jéricho.

“Nous sommes lassés de la question de l’annexion. Nous avons très peur de ce que l’avenir pourrait nous réserver. Nous avons tous peur et nous nous attendons à ce que quelque chose se passe le 1er, le 10 ou le 15 juillet. Que pourrait-il arriver ?” demande Nasasri.

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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devrait entamer le processus d’annexion des colonies juives illégales en Cisjordanie occupée, y compris des parties de la vallée stratégique du Jourdain, à partir du 1er juillet, conformément à une promesse de campagne électorale.

Le plan d’annexion d’un tiers de la Cisjordanie occupée a été lancé par le président américain Donald Trump, qui a dévoilé fin janvier son “plan pour le Moyen-Orient”, alors que Nétanyahou était à ses côtés.

Mais les détails sur la façon dont Israël prévoit de procéder à l’annexion, ainsi que le calendrier, restent flous.

Les responsables américains ont déclaré qu’aucune décision finale sur les prochaines étapes de la mise en œuvre du plan Trump n’a été prise.

Pendant ce temps, l’armée et les services de renseignement israéliens ont mis en garde contre cette décision car elle représente un risque pour la “sécurité” de l’occupant, car elle pourrait déclencher un soulèvement en Cisjordanie.

“Nous devons reconquérir notre terre”

Que l’annexion commence le 1er juillet ou plus tard, les agriculteurs palestiniens expliquent que l’initiative est attendue depuis un certain temps.

Au fil des ans, ils ont vu les autorités israéliennes augmenter les ordres d’évacuation et restreindre l’accès des agriculteurs à leurs terres fertiles et à l’eau.

En raison des restrictions israéliennes, seuls 50 000 dunums (12 000 acres) de terres palestiniennes – un huitième des terres à vocation agricole sous contrôle palestinien – sont cultivés, selon l’ONG israélienne B’Tselem.

C’est pourquoi, au fil des ans et avec l’aide de l’Union palestinienne des comités de travail agricole (UAWC), les agriculteurs de la vallée du Jourdain se sont organisés pour résister à cette dégradation de leur situation en récupérant autant de leurs terres que possible.

Financée principalement par des dons, l’union a aidé les agriculteurs palestiniens en installant des voies d’accès pour parvenir à leurs terres et en livrant des engins agricoles pour aider à cultiver des terres qui seraient autrement difficiles à exploiter.

Selon Fuad Abu Seif, directeur de l’UWAC, l’organisation a récupéré environ 12 000 dunums (1200 hectares) de terres depuis 2013 dans la zone C – sous contrôle israélien – de la vallée du Jourdain et en Cisjordanie.

Depuis 1995, les agriculteurs palestiniens ont planté quelque 700 000 arbres pour la production, dont des amandiers, des oliviers et des vignes.

Photo :  : Abed Omar Qusini
Des soldats de l’armée d’occupation entourent un fermier palestinien qui plante des oliviers lors d’une manifestation contre confiscation de terres palestiniennes pour les colonies juives illégales dans la vallée du Jourdain – Photo : : Abed Omar Qusini

Avec l’annexion imminente, Abu Seif explique que leurs efforts ont redoublé dans la vallée du Jourdain, car il devient facile pour les Israéliens de revendiquer des terres inexploitées.

“Nous avons revu notre plan pour nous concentrer sur la zone entre Bethléem et Hébron – et le reste pour la vallée du Jourdain”, a déclaré M. Abou Seif.

“Nous devons changer les faits sur le terrain… nous devons avoir la souveraineté sur nos ressources. Au cours des cinq ou six dernières années, les Israéliens ont accéléré leur programme de vol de terres palestiniennes de différentes manières. Nous devons récupérer notre terre … Au moins, nous pouvons retarder les confiscations.”

“Perdre nos terres pour de bon”

Ibrahim Sawafta, 48 ans, de Bardala, un village du nord de la vallée du Jourdain qui devrait être annexé, a déclaré à Al Jazeera qu’Israël essaie depuis des années de réduire le nombre de Palestiniens dans la région.

Lire également, de Gidéon Lévy : Anschluss en Cisjordanie : la fin des faux-semblants

Un terrain près de sa maison est fermé sur ordre militaire israélien depuis 1967, et les agriculteurs du secteur n’ont pas pu l’arroser jusqu’à ce que le syndicat fournisse des équipements il y a quatre ans.

Au début, les Israéliens ont essayé de les en empêcher, mais les agriculteurs ont porté l’affaire devant quatre tribunaux et ont finalement réussi à récupérer la terre, a déclaré M. Sawafta.

Depuis lors, lui et 15 autres agriculteurs ont utilisé les 600 hectares pour cultiver des pastèques et des cantaloups.

“Nous avons des milliers d’hectares que nous n’avons pas pu atteindre. [Les Israéliens] disent que nous ne pouvons pas utiliser ces terres pour des raisons de sécurité. S’ils appliquent l’annexion, nous la perdrons pour de bon”, a déclaré M. Sawafta.

“L’annexion signifie qu’Israël aura le contrôle de toutes les terres. Ils appliqueront la loi israélienne sur nos terres ; nous serons à leur merci … Nous allons beaucoup souffrir si l’annexion se produit.”

“Un transfert en silence”

La vie d’un agriculteur palestinien est déjà difficile dans le cadre du statu quo actuel, a expliqué M. Sawafta.

Il a ajouté que sur les 2500 mètres cubes/heure (88 000 pieds cubes) d’eau produits par les deux puits locaux, 2000 mètres cubes sont détournés vers les colonies illégales de la région, tandis que seulement 120 mètres cubes (4200 pieds cubes) sont fournis à Bardala et de petites quantités similaires à d’autres villages palestiniens.

“Si nous n’avons pas d’eau, nous n’aurons pas de vie ici”, a expliqué M. Sawafta.

“Ils veulent rendre la vie difficile aux agriculteurs palestiniens, pour que ceux-ci finissent par partir. C’est un transfert silencieux parce qu’ils veulent cette zone ; c’est une zone très stratégique pour eux”.

Abu Seif a averti que les agriculteurs perdraient toute capacité à assurer leur subsistance si l’annexion se poursuit. “La vie dans la vallée du Jourdain sera impossible”, dit-il encore.

Les Palestiniens vivant dans la zone C vivent également sous la menace de démolitions de leurs maisons, car les autorités israéliennes leur refusent systématiquement les permis de construire.

Abu Seif a noté que de 2007 à 2019, Israël a démoli 800 maisons dans la vallée du Jourdain. Depuis 1967, 50 000 Palestiniens ont évacué la zone.

Il reste environ 60 000 Palestiniens, ainsi que 11 000 colons juifs.

La “route américaine pour couper Jérusalem-Est de la Cisjordanie

Les agriculteurs palestiniens vivant en dehors de la vallée du Jourdain sont également inquiets car leurs terres ne seront pas à l’abri d’une annexion empiétant sur leur territoire.

Hani Hamamdi, du village de Yata dans les collines du sud d’Hébron, a déclaré à Al Jazeera que ses terres se trouvent à la limite de la zone d’annexion prévue.

Au fil des ans, les autorités israéliennes d’occupation ont déraciné certaines cultures de sa famille, dont 100 oliviers, prétendant que la terre appartenait à l’État.

Elles ont également démoli à de nombreuses reprises la tente dans laquelle vit la famille – si souvent que le père a fini par creuser un trou en forme de grotte dans la montagne pour y loger la famille.

Leur maison dans la grotte est maintenant également menacée de démolition.

“Je suis très, très inquiet. Si nous perdons la terre, c’est un gros problème; nous n’avons pas d’autre ressource pour vivre”, a rappelé Hamamdi.

* Mersiha Gadzo est journaliste et productrice en ligne pour Al Jazeera English. Avant de rejoindre Al Jazeera, elle travaillait en tant que journaliste freelance en Bosnie-Herzégovine et dans les territoires palestiniens occupés.


30 juin 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine