Toute la Palestine pleure Shireen Abu Akleh

Indignés par le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, les Palestiniens de la bande de Gaza ont organisé des rassemblements et des veillées pour protester contre son assassinat et exiger des comptes au gouvernement de l'occupation - Photo: Mahmoud Ajjour, The Palestine Chronicle

Par Jalal Abukhater

En assassinant Shireen Abu Akleh, l’occupant a privé les Palestiniens d’une icône vénérée, écrit Jalal Abukhater.

Ce matin, une alerte sur mon téléphone m’a réveillé à 8 heures. Il s’agissait la notification d’une chaîne Telegram appelée “Martyrs de Palestine”. Sur le coup, cela ne m’a pas mis en émoi. Après tout, il est hélas habituel pour nous, Palestiniens, de nous réveiller le matin en apprenant qu’un ou plusieurs d’entre nous ont été tués lors d’un raid des forces d’occupation israéliennes.

En Cisjordanie, ces raids se produisent presque chaque nuit, juste avant l’aube.

Mais je me suis senti paralysé quand j’ai lu le court message : « Shireen Abu Akleh – 51 ans – 11/05/2022 – Camp de réfugiés de Jénine ». J’étais sûr que c’était une erreur, une alerte envoyée par erreur.

Alors que j’essayais d’assimiler ce que je venais de lire, mes flux WhatsApp et Twitter ont été inondés de nouvelles, de photos et de vidéos de Shireen. C’était hélas vrai… Elle avait été tuée , assassinée.

J’étais horrifié. J’ai commencé à pleurer. Je ne peux pas m’empêcher de pleurer encore, des heures plus tard, au moment où j’écris ces lignes.

Shireen Abu Akleh était une icône en Palestine et dans le monde arabe. Elle était aimée et respectée de tous. Sa réputation journalistique immaculée la précédait partout. Son visage et sa voix étaient dans nos foyers tous les jours. Elle a parlé de la Palestine et elle a été entendue par le monde entier.

Elle a donné la parole aux sans-voix et n’a jamais reculé dans son engagement envers son travail.

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Tant de journalistes de ma génération et même plus âgés se sont préparés au métier en se tenant devant leur miroir, ou devant un groupe d’amis, et en répétant sa signature emblématique : « Shireen Abu Akleh, Aljazeeeera, Filasteen ».

Pour moi, elle était bien plus qu’un modèle professionnel. Enfant, elle a été la première, et pendant très longtemps, la seule célébrité dont je me souvenais du nom et que j’aie admirée.

J’étais un jeune enfant pendant la deuxième Intifada. En 2002, alors que je n’avais que sept ans, j’ai vécu les incursions massives de l’armée israélienne en Cisjordanie. J’ai entendu des chars rouler dans les rues, des hélicoptères de l’armée d’occupation tirer au-dessus de nos têtes, des vitres se briser à cause des attaques aériennes.

Je ne pouvais pas sortir la plupart du temps, donc la télévision de notre maison était ma seule fenêtre sur le monde extérieur. Shireen, ainsi que quelques-uns de ses collègues, étaient constamment à l’écran. Je me suis demandé : « Sont-ils parfois fatigués ? Ont-ils parfois peur ? »

Je l’admirais tellement, elle et son équipe.

À cette époque, j’ai commencé à faire des recueils. Chaque jour, je prenais les journaux du jour de mon père une fois qu’il avait fini de les lire et j’en découpais des images, les collant dans mes albums.

Une fois, j’ai trouvé une toute petite photo de Shireen dans un magazine. J’ai découpé la petite photo et je l’ai collée sur la couverture intérieure. Je pensais qu’elle devrait être sur la toute première page. J’étais un grand admirateur. Elle était une héroïne pour moi.

Cette même année, j’ai aussi eu la chance de rencontrer Shireen pour la première fois. Un jour, j’avais insisté pour rejoindre mon père, qui était également journaliste, dans la visite d’al-Muqata’a, le quartier général de feu le dirigeant de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat.

Al-Muqata’a avait été détruite. Les traces évidentes de bombardements étaient partout autour de nous et les véhicules détruits jonchaient la cour. Ce que je voyais à la télévision était soudainement devant moi.

Comme ils étaient collègues journalistes, mon père connaissait Shireen. Il lui a demandé de faire ma connaissance et je lui ai parlé de l’image découpée que j’avais collée dans mon album. J’étais timide et gêné, mais je me souviens encore de la façon dont elle m’a accueillie, s’adressant doucement à un enfant de sept ans qui voulait devenir un journaliste courageux comme elle et mon père.

Les années ont passé, les temps ont changé et les écrans de télévision sont maintenant remplies de journalistes palestiniens qui couvrent courageusement ce qui se passe sur le terrain. Mais Shireen est restée une icône respectée. Elle a été l’une des premières à avoir inspiré toute une nouvelle génération de journalistes pour raconter l’histoire de la Palestine, et au fil des ans, elle est toujours restée l’une des plus dévouées à ce travail.

Tous les journalistes de télévision en herbe la connaissaient et l’admiraient. Elle avait une forte réputation dans la communauté journalistique palestinienne.

Au cours des deux dernières années, j’ai fait partie des journalistes qui ont eu le privilège de faire des reportages à ses côtés à Jérusalem. Côte à côte, nous avons été confrontés à la brutalité des forces israéliennes d’occupation, mais je me sentais en sécurité en sa présence. Elle était une figure imposante et une inspiratrice.

Shireen n’a jamais fléchi dans son engagement envers le journalisme, envers la ville de Jérusalem, envers toute la Palestine et le peuple palestinien, ici et en dehors. Tous ceux qui la connaissaient parlaient avec émotion de son incroyable force mentale, de son cœur généreux, de son courage et de son professionnalisme exemplaires dans son travail.

Le mois dernier, nous avons marqué les 20 ans écoulés depuis qu’Israël a perpétré le massacre du camp de réfugiés de Jénine. Une Shireen encoree jeune y était, faisant un reportage sur la bataille de Jénine. Je me souviens très bien d’avoir vu ses reportages à la télévision; il y avait des chars israéliens et des maisons détruites en toile de fond, en 2002.

Vingt ans plus tard, nous avons perdu Shireen, tuée par les mêmes forces d’occupation, dans le même camp de réfugiés.

Aujourd’hui, chaque foyer palestinien est en deuil. Chaque Palestinien est sous le choc, devant apprendre à vivre avec cette grande perte. Nous, Palestiniens, connaissons la mort. Nous la connaissons trop bien. Mais nous ne sommes pas insensibles à la douleur de perdre nos êtres chers, nos héros, nos icônes, notre avenir encore et encore à cause de l’occupation israélienne.

À chaque fois, nous pleurons. Nous pleurons, mais nous gagnons aussi en fermeté et en détermination.

Shireen a dit un jour : « Ce n’est pas facile pour moi de changer la réalité, mais le moins que je puisse faire, c’est que notre voix atteigne le monde. » Dans sa vie, Shireen a délivré son message et a donné une voix aux sans-voix de la manière la plus puissante.

Nous poursuivrons sa mission. Et bientôt, la Palestine sera libre.

11 mai 2022 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine