
14 mai 2025 - Des patients sont transférés vers l'hôpital Al-Ahli Baptist depuis l'hôpital Al-Shifa de Gaza après que l'armée israélienne a ordonné l'évacuation de la zone - Photo : Dawoud Abo Alkas /Anadolu
Par Rasha Abu Jalal
Les scènes de déplacement massif de mercredi ressemblaient à un lent flot humain déferlant dans des rues ravagées par les bombardements.
Mercredi 14 mai, l’armée israélienne a averti qu’elle allait attaquer certaines parties de la ville de Gaza « avec une grande force » et a émis de nouveaux ordres d’évacuation visant plusieurs quartiers du centre et de l’ouest de la ville.
Des milliers de familles déplacées dans la ville de Gaza ont commencé à fuir leurs abris dans la soirée, dans un état de panique et de chaos.
Ces ordres d’évacuation ont été envoyés quelques heures après qu’Israël ait commis un nouveau massacre horrible, bombardant cinq maisons à Jabaliya et tuant plus de 50 Palestiniens, dont 22 enfants et 18 femmes.
Israël se livre à un bombardement effréné sur Gaza : au moins 77 personnes ont été tuées mercredi, plus de 100 aujourd’hui.
Mardi, Israël a bombardé deux hôpitaux en une journée, tandis que le troisième mois d’un blocus total a laissé toute la population de Gaza affamée et assoiffée. Des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup d’enfants, sont menacées de famine.
Selon une carte publiée en ligne par l’armée israélienne, les zones visées par les ordres d’évacuation abritent au moins huit écoles, dont certaines gérées par l’UNRWA, notamment le complexe scolaire Al-Shati, l’école Al-Karmel, l’école Mustafa Hafez, le complexe scolaire Al-Furqan et l’université islamique, qui servent de refuges à des milliers de Palestiniens déjà déplacés du nord et de l’est de l’enclave.
Les ordres concernent également la zone où se trouve l’hôpital al-Shifa, le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Des centaines de blessés et de malades sont soignés et trouvent refuge dans cet hôpital.
Les scènes de déplacement massif observées mercredi ressemblaient à un lent flot humain déferlant dans les rues détruites. Le rugissement des avions de combat se mêlait au bourdonnement des drones au-dessus de nos têtes.
Les hommes transportaient le peu de biens qu’ils pouvaient emporter : des matelas déchirés, des couvertures poussiéreuses et des sacs en lambeaux. Les femmes marchaient derrière eux, portant ou suivis d’enfants.
Certains enfants marchaient pieds nus, d’autres traînaient leurs cartables remplis de vêtements et de quelques bouteilles d’eau. Les familles se dirigeaient vers le nord, vers les quartiers d’Al-Nasr et de Sheikh Radwan, déjà densément peuplés et qui peinaient à accueillir les personnes déplacées d’autres zones.
Au bord d’une route dans le quartier d’Al-Nasr, Islam Obeid, 42 ans, était assise avec ses cinq enfants sous un vieux drap, essayant de trouver un abri.
« C’est la quatorzième fois que nous fuyons les bombardements depuis le début de la guerre en octobre 2023 », a déclaré Mme Obeid à Drop Site. « Il n’y a plus aucun endroit sûr à Gaza. Où pouvons-nous aller ? Même les rues se referment sur nous. »
Sa famille a d’abord été contrainte de fuir le quartier d’Al-Zaytoun, dans l’est de la ville de Gaza, où elle vivait avant la guerre. Depuis, elle se déplace entre les écoles et les camps de déplacés, chaque fois poursuivie par les ordres d’évacuation et le bruit des bombes qui tombent.
Son fils de 12 ans, Mahmoud, se tenait pieds nus à côté d’elle, portant sa petite sœur sur ses épaules. « Avant la guerre, j’allais à l’école », a-t-il raconté. « Aujourd’hui, je porte ma sœur et je cherche une tente avec elle. Nous sommes épuisés. »
Il a regardé sa mère et a poursuivi : « Je veux vivre dans une maison qui nous protège. Je ne veux plus être déplacé, courir et être sans abri. »
Une explosion toute proche interrompit leur conversation, poussant la mère à serrer ses enfants contre elle, terrifiée. « Nous ne sommes pas des numéros. Nous sommes des mères, des fils et des âmes qui sont tués chaque jour », dit Obeid.
« Chaque fois que nous sommes déplacés, nous disons que c’est la dernière fois. Mais il semble que le déplacement soit notre destin éternel. »
Fuir un hôpital sur des brancards
Au complexe hospitalier al-Shifa, une foule s’est rassemblée devant les portes principales pour aider à évacuer leurs proches blessés, malgré l’annonce du directeur de l’hôpital, Mohammad Abu Salmiya, qui a déclaré n’avoir reçu aucun ordre direct de l’armée israélienne.
Les gens se sont précipités à l’extérieur, transportant leurs proches blessés sur des brancards, accompagnés de bouteilles d’oxygène portables.
Mahmoud Deeb, 34 ans, traînait son frère Ibrahim, 35 ans, blessé, sur un lit d’hôpital, guidant les roues branlantes sur le trottoir à moitié détruit. « Je ne pouvais pas le porter », a déclaré M. Deeb à Drop Site, haletant d’épuisement, les larmes aux yeux.
« Il est gravement blessé à l’abdomen et aux jambes, son corps est enveloppé de gaze de la tête aux pieds. Le lit lui-même est devenu un moyen de survie. Soit nous fuyons avec, soit nous mourons ensemble. »
Ibrahim a été blessé par des éclats d’obus lors d’une frappe aérienne qui a visé leur maison dans le quartier de Tel Al-Hawa il y a une semaine. Il tremblait de douleur et pouvait à peine parler. « Je me sens comme un cadavre vivant. Je pensais que l’hôpital était un endroit sûr, et maintenant je le fuis », a-t-il déclaré.
C’est ça, Gaza : un homme traînant son frère blessé sur l’asphalte, ne sachant où aller, mais refusant de le laisser seul face à la mort.
« Ma maison devient un refuge »
Alors que j’étais plongé dans l’écriture de ce récit dans la maison que j’avais louée à Gaza, après que ma propre maison ait été détruite au début de la guerre, j’ai entendu du bruit à la porte d’entrée. C’était ma sœur Hiba et sa famille de six personnes : ils étaient venus s’abriter chez nous après avoir fui leur maison dans le quartier d’al-Rimal.
« J’ai dû partir cette fois-ci, car je ne voyais aucune raison de rester », m’a dit Hiba. « Il ne nous reste plus rien pour nous protéger, à part nous-mêmes. »
Nous nous sommes tous rassemblés dans une pièce et j’ai apporté des couvertures pour que ma sœur et sa famille puissent dormir. Ma nièce de sept ans, Layan, m’a demandé : « Tante, ta maison est-elle à l’abri des bombardements ? » J’ai répondu en essayant de la rassurer : « Oui, ici, nous sommes très loin des bombardements. Tu peux dormir tranquille. »
Je l’avoue : je lui ai menti. Il n’y a aucun endroit sûr à Gaza.
Dans une autre pièce de la maison, le mari de ma sœur était assis avec mon mari, consultait son téléphone à la recherche d’informations sur Doha, où le président américain Donald Trump rencontrait l’émir du Qatar dans le cadre de sa visite dans la région.
Tout le monde à Gaza suivait son voyage avec beaucoup d’intérêt, dans l’espoir d’avoir des nouvelles d’un éventuel cessez-le-feu.
Israël a promis d’intensifier encore davantage ses opérations et de s’emparer de toute la bande de Gaza après le retour de Trump aux États-Unis. Est-ce le début de cette offensive ?
Mardi, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré que les forces israéliennes étaient à quelques jours de l’escalade promise et qu’elles entreraient dans Gaza « avec une grande force pour mener à bien leur mission », jurant qu’il n’y avait « aucune chance » qu’il mette fin à l’attaque.
Le mari de ma sœur était visiblement épuisé. « Trump a promis de mettre fin à cette guerre, mais il n’a pas tenu sa promesse », a-t-il déclaré. « À chaque déplacement, nous devenons des réfugiés chez nos proches. Je ne sais pas combien de temps cette situation va durer. »
« La guerre a transformé nos maisons en valises », a-t-il ajouté. « Nous les accrochons sur notre dos et cherchons un coin où vivre un jour de plus. »
J’ai dû me remettre à écrire cet article sur un nouveau déplacement massif à Gaza, qui touche désormais ma famille élargie, déplacée dans mon salon.
Auteur : Rasha Abu Jalal
* Rasha Abu Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.
15 mai 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
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