
12 mai 2025 - Des organisations caritatives distribuent des repas chauds aux Palestiniens dans le quartier d'Al-Mawasi à Khan Yunis, dans la bande de Gaza - Photo : Abed Rahim Khatib / Anadolu
Par Marie Schwab
Stopper le génocide, maintenant, ce n’est pas une faveur que nous ferions aux Palestiniens, c’est sauver ce qui nous reste d’humanité. [1]
Sulaiman Abu Sultan, de Beit Lahiya, déplacé à Gaza-Ville, témoigne : « Ils nous tuent par centaines pour prévenir ceux qui restent [qu’ils doivent fuir]. Ils nous envoient des missiles mortels qui déchiquettent les corps. Se peut-il que toute cette horreur nous soit destinée ? Se peut-il que toute cette puissance de feu qui tombe du ciel soit réservée à des familles dont la seule préoccupation est de préserver leurs enfants des bombes et de la famine ? »
Qu’y a-t-il encore à dire, après 19 mois de génocide ? Tout, manifestement, puisque l’horreur continue. Puisque l’horreur empire, non pas de jour en jour, mais de minute en minute, au rythme de chaque nouvelle bombe larguée sur des civils sans défense.
C’est tout l’arsenal militaire américain qui s’abat sur une population sans échappatoire ni abri, composée pour moitié d’enfants.
L’occupant bombarde des ruines. L’occupant bombarde des enfants faméliques. L’occupant bombarde les derniers entrepôts. L’occupant bombarde les derniers services des derniers hôpitaux.
Le témoignage d’Arwa, à Khan Younis : « Les ambulances sont arrivées à l’hôpital européen, transportant des morts et des blessés. Soudain ils ont bombardé l’hôpital, le dernier hôpital dans le Sud. Le sol s’est ouvert et a englouti les morts et les blessés qu’on était en train de décharger, d’autres corps ont été éjectés. Ils ont encerclé l’hôpital par une ceinture de feu, des tirs de F-16. Les missiles s’abattaient sur les gens. Les gens couraient dans tous les sens. Je ne trouvais pas mes enfants. Les corps étaient déchiquetés. Où aller avec mes enfants ? Ils ne nous ont laissé ni hôpitaux, ni écoles, ni abris, ni al-Mawasi. Ayez pitié ! Ou alors massacrez-nous tous en une fois. Nous n’en pouvons plus. Nous sommes dans la destruction. Nous sommes les familles des morts et des blessés. Ce que j’ai vu aujourd’hui, il me faudra deux vies pour l’oublier. »
Ne nous taisons pas. Portons avec les Palestiniens de Gaza chacun de ces corps livrés à la démence génocidaire d’Israël par la lâcheté morale de nos puissants. Empêchons la vie de continuer comme si de rien n’était dans notre pays. Crions l’insoutenable. Pleurons avec Ali, éperdu, sur les corps de tous les membres de sa famille, sur son fils chéri Omar, son très précieux Nadim, et Nada, son amour, sa vie.
Partageons le désespoir de Yassin, qui enlace le corps de sa mère, et va caresser et baigner de ses larmes le visage de sa petite sœur Yara.
Portons la détresse de Hamid, courbé sur le corps de son frère Naim, qui était allé au devant des bombes, porter secours aux personnes coincées sous les gravats. « Ils ont tué mon frère, c’était mon dernier soutien. A qui parler à présent ? Avec qui pleurer mes morts ? »
Ce ne sont que trois parmi des centaines de Palestiniens qui ont dû dire adieu à leurs proches depuis que l’UE a annoncé qu’elle envisageait la révision de son accord d’association avec Israël.
L’occupant se moque éperdument des discours.
Réviser cet accord – le résilier – est nécessaire, bien sûr. Mais c’est trop peu, et c’est trop tard.
Ce qui s’impose, dans l’heure, c’est de briser le blocus par la force militaire – 40 km de côte sont bien suffisants pour permettre aux navires d’accoster et de décharger tout ce qui est indispensable immédiatement à la survie de deux millions de personnes.
Ce qui s’impose, dans l’heure, c’est de forcer l’occupant à stopper les bombardements en coupant immédiatement toute entrée d’armes, d’énergie, d’argent, en cessant immédiatement toute relation avec Israël.
Tout le reste n’est que posture et déclaration d’intention. Des mots vides de toute substance au regard de la volonté délibérée de ne pas agir. Nous pourrons dire : nous savions, et nous n’avons rien fait. Nous avons choisi de ne rien faire. Ceux qui se sont toujours demandé ce qu’ils auraient fait pendant l’Occupation ont à présent la réponse.
L’Occident, pendant 19 mois, n’a cessé d’apporter sa caution morale au génocide, toujours prompt à invoquer, dans des distorsions juridiques réitérées, le prétendu droit d’Israël à se défendre, justifiant le massacre de masse des enfants, les hôpitaux un à un pulvérisés, le ciblage méthodique des journalistes.
Tout soudain, l’Occident s’inquiète d’une possible « disproportion » dans la « riposte » israélienne, revalidant, en sous-texte, les massacres commis jusqu’à lors, éludant une nouvelle fois purement et simplement 19 mois de génocide.
Comment la mort de dizaines de milliers d’enfants a-t-elle pu rester si longtemps silencieuse ? Comment a-t-il été si longtemps possible de ne pas voir les rigoles de sang dans les rues de Gaza, les cortèges funéraires qui se rejoignent sur le chemin du cimetière ?
Tout soudain aussi, l’Occident se dit ému du « risque » que les enfants de Gaza soient « bientôt confrontés à la famine ». Non, les enfants de Gaza ne risquent pas d’être bientôt confrontés à la famine. Les enfants de Gaza meurent de faim, littéralement, et ce depuis octobre 2023. Lorsque le premier enfant meurt de faim, la famine est là, ont alerté les experts dès janvier 2024. [2]
Quelle constance, chez nos dirigeants et nos médias, dans la minimisation, pour pouvoir continuer à apporter une couverture à l’occupant. Quel acharnement dans l’euphémisation, qui permet de se dédouaner de ne pas agir. Les Palestiniens sont constamment dépossédés même de leurs morts.
L’occupant, depuis 19 mois, coche dans ses intentions déclarées et ses actes, une à une, toutes les cases correspondant à la définition juridique du génocide. Il en aura fallu du temps à certains pour comprendre que les sanctions doivent s’appliquer à l’encontre des criminels et non de ceux qui subissent leurs crimes.
Ce sont pourtant plus de 100 000 tonnes de biens nécessaires à la survie financées par l’UE que l’occupant bloque aux portes de Gaza.
C’est pourtant un hôpital construit avec des fonds européens que l’occupant s’acharne à bombarder jour après jour à Khan Younis.
Mohammed Abu Loay, ambulancier, témoigne : «Depuis vendredi, les bombardements se sont encore intensifiés, les massacres s’enchaînent. L’occupant largue des missiles que nous voyons pour la première fois. Des immeubles de trois étages sont entièrement avalés dans un cratère, ne laissant aucune trace à la surface, des immeubles entiers et tous leurs occupants sont engloutis, enterrés sous le sol. Il y a eu quinze bombardements de ce type ce matin dans le Nord, des immeubles pleins de familles. »
Pas une fois les puissants n’ont cessé de considérer la question sous le mauvais angle. Or le problème n’est pas la sécurité de l’occupant. Mais bien l’occupation. Le problème n’est pas la sécurité de celui qui, depuis 77 ans, vient arrêter les garçons en âge scolaire au milieu de la nuit, détruit les maisons à coups de bulldozer, vole les troupeaux et brûle les arbres, mutile les bébés avant qu’ils aient commencé à ramper. Que l’occupant se retire – ensuite, s’il est attaqué sur son sol, il aura le droit de se défendre.
Ce qui consume les Palestiniens, ce n’est pas la haine, c’est la peine. Ce qui les anime, ce n’est pas la revanche, mais la survie. Lutter contre l’occupation, c’est lutter pour la vie, pour la terre, pour la dignité.
La parole de Ousama Hamdan, un des chefs du Hamas : « Nous sommes un peuple sous occupation. Nous ne luttons pas parce que nous aimons nous battre. Nous ne nous battons pas contre les Israéliens parce que nous avons un problème avec les juifs. Si des musulmans venaient occuper notre terre, nous nous battrions de la même manière. Cela n’a rien à voir avec la religion, mais tout à voir avec l’occupation. (…) Le Hamas n’a pas inventé la résistance. (…) Parlons de la libération de la Palestine. Parlons du retrait d’Israël des terres palestiniennes occupées. »
Je voudrais terminer par une pensée pour Hussein Odeh, qui était parti chercher un véhicule pour fuir Jabaliya avec sa famille samedi. A son retour, il n’a trouvé qu’un amas de gravats ; sa femme et ses trois enfants âgés de 9, 5 et 3 ans écrasés dessous.
Le dernier mot revient à Bissan, de Gaza : « Israël a lancé vendredi une gigantesque opération d’une brutalité sans précédent. (…) Voici la dernière étape de notre extermination. Nous vous tenons informés depuis près de deux ans de tout ce que l’occupant nous inflige. Vous n’avez aucune excuse pour ne pas stopper les livraisons d’armes à Israël par tous les moyens. Vous n’avez aucune excuse pour garder son ambassade dans votre pays. Vous n’avez aucune excuse pour continuer à mener une vie normale. Nous vous adressons un dernier appel. Isolez Israël. Stoppez les convois d’armes. Bloquez la vie dans votre pays. Investissez les rues. Nous comptons sur vous.»
Notes :
[1] Aux calculateurs dépourvus de conscience, ajoutons que c’est aussi une obligation légale, qui fait de nous des complices du crime si nous n’intervenons pas.
[2] Le 9 mars 2024, le très conservateur NY Times faisait état de 20 enfants morts de faim. Le haut commissariat aux droits humains des Nations Unies s’indignait le 9 juillet 2024 de ce que « le monde entier aurait dû intervenir bien plus tôt pour stopper la campagne israélienne de génocide par la faim. »
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
23 mai 2025 – Transmis par l’auteure.
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