Six Palestiniens emprisonnés et torturés par l’Autorité de Ramallah, sont en grève de la faim

Prisonniers Ramallah
Des manifestants à Ramallah exigent la libération de 6 prisonniers palestiniens - grévistes de la faim - détenus sans charges par l'AP - 3 septembre 2016 - Photo: Social media
Lily Leach – Six Palestiniens détenus par l’Autorité de Ramallah sont en grève de la et affirment avoir été victimes de tortures.

Après une semaine de grève de la faim de six Palestiniens incarcérés par l’Autorité palestinienne (AP) depuis cinq mois, sans inculpation ni justification, des manifestants se sont réunis à Ramallah ce samedi pour exiger la libération immédiate des prisonniers.

Les protestations ont lieu alors que des informations continuent à émerger sur les tortures et les mauvais traitements infligés aux six détenus.

Les critiques ont mis en évidence que cette dernière affaire marque une nouvelle escalade de la “coordination répressive” de l’AP avec Israël, dans ce qui a été dénoncé comme une “politique de la porte tournante” pour canaliser les Palestiniens depuis les prisons de l’AP jusqu’aux prisons israéliennes. Ces critiques se sont récemment multipliées après que la police palestinienne ait détenu et battu à mort un haut dirigeant de l’aile militaire du mouvement du Fatah.

Des dizaines de Palestiniens ont protesté à l’extérieur des locaux de la sécurité palestinienne et du complexe présidentiel (la Muqata) samedi après-midi. Ils criaient les noms des six détenus qui sont en grève de la faim depuis dimanche, et brandissaient des affiches demandant la libération des six “kidnappés.”

Les agents de sécurité palestiniens ont empêché les manifestants de pénétrer dans les locaux de la Muqata et des vidéos partagées sur les médias sociaux ont montré des véhicules de la police palestinienne stationnés devant les manifestants et qui tentaient de noyer leurs slogans anti-AP avec leurs sirènes hurlantes.

L’AP accusée de “coordination répressive” avec Israël

Basil al-Araj, 33 ans, Mohammed Harb, 23 ans, Haitham Siyaj, 29 ans, Mohammed al-Salamen, 19 ans, Ali Dar al-Cheikh, 21 ans, et Seif al-Idrissi, 26 ans, ont tous été emprisonnés par les services de renseignement de l’Autorité palestinienne depuis fin mars et début avril 2016.

Al-Araj, Harb, et al-Siyaj ont été arrêtés le 10 avril alors qu’ils marchaient près de Ramallah. Les trois jeunes hommes avaient été signalés par leurs familles comme ayant disparu depuis dix jours.

Alors que les rapports initiaux disaient que les trois prisonniers devaient juste être interrogés par la sécurité de l’AP avant d’être rendus à leurs familles, la police a prétendu plus tard qu’ils avaient été retrouvés en possession d’armes, de grenades à main et d’équipement de camping, prétendument pour être utilisés dans une future attaque contre des Israéliens.

Le mouvement Hamas a réagi rapidement à l’incident, accusant l’Autorité palestinienne de “coopération avec l’occupation israélienne” dans la détention de trois “combattants de la résistance.”

Selon Samidoun, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, les trois autres prisonniers, al-Salamen, Dar al-Cheikh, et Idrissi, ont été incarcérés dans la même période.

Samidoun explique que les jeunes hommes sont tous “bien connus dans leurs communautés et leurs familles pour leur engagement pour la liberté des Palestiniens. Leur arrestation, les tortures et l’emprisonnement subis se font clairement sous les auspices de “la coordination de la police de l’Autorité palestinienne avec Israël.”

Abbas se vante de sa collaboration avec l’occupant

Un peu plus d’une semaine avant que la police n’ait arrêté les trois premiers, l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas avait promis dans une interview à la chaîne israélienne Channel 2 d’arrêter les Palestiniens planifiant des attaques contre Israël.

Peu de temps après leur détention, dans une interview avec le journal allemand Der Spiegel, Abbas a déclaré: “Nos forces de sécurité travaillent très efficacement pour prévenir la terreur. Il y a tout juste quelques jours, trois jeunes hommes ont été traqués et arrêtés. Ils prévoyaient une attaque. Dans ce contexte, notre coopération sécuritaire avec Israël fonctionne bien.”

L’Autorité palestinienne a longtemps été critiquée pour sa collaboration répressive avec Israël. Les critiques ont pris une importance nouvelle après le meurtre d’Ahmad Halaweh le mois dernier, tandis qu’Israël a également été la cible d’une condamnation internationale pour les meurtres répétés de Palestiniens depuis qu’une vague d’agitation a balayé le territoire palestinien à compter d’octobre dernier.

Depuis des années, la politique d’Israël consistant à détenir administrativement des Palestiniens sans inculpation ni jugement en vertu de preuves non divulguées, a été condamnée par des organismes internationaux et des groupes de défense des droits de l’homme. Dans le cas des prisonniers de l’Autorité palestinienne, l’ONG Euro-Mediterranean Human Rights Monitor (EMHRM) basée à Genève a souligné dans un communiqué publié vendredi qu’une telle politique était illégale en vertu de la loi palestinienne.

Les tribunaux de l’AP s’inspirent des tribunaux israéliens

Un tribunal palestinien a prolongé la détention provisoire des six détenus à trois reprises depuis le mois de mai, sous prétexte que les enquêtes étaient toujours en cours. Le tribunal a refusé de les libérer en disant que cela nuirait à la sécurité publique, un écho de la justification israélienne pour la détention administrative.

Pendant ce temps, les services de sécurité palestiniens ont prétendu qu’ils détenaient les jeunes gens pour “les protéger contre la détention par les forces israéliennes”, selon EMHRM.

Selon l’ONG, les familles des détenus de familles ont rejeté les justifications données par la police de l’AP: “S’ils veulent vraiment les protéger, pourquoi sont-ils torturés, détenus dans de mauvaises conditions, et les visites familiales sont-elles refusées ?”

La porte-parole d’EMHRM, Sandra Owen, a déclaré que le maintien en détention des six par l’Autorité palestinienne, sans accusation, “est une violation flagrante des conventions et pratiques internationales.”

Elle a également noté que les détentions se faisaient en contravention de l’article 11 de la loi fondamentale palestinienne qui édicte que “nul ne peut être arrêté, inspecté, emprisonné ou privé de l’un de ses libertés ou empêché de la libre circulation sans une ordonnance du tribunal.”

Accusations de torture

La déclaration d’EMHRM rappelle que les six prisonniers ont été “sévèrement torturés” et maltraités par les policiers de l’AP dans le centre de détention de Beitunia, où ils sont incarcérés.

La déclaration dit que tous ont été placés en isolement et menacés par les forces de l’AP lors de leur arrestation, “pour les forcer à admettre des accusations dont ils ne connaissent rien.”

Après l’annonce de leur grève de la faim, les conditions de détention se sont détériorées et sont devenues “insupportables pour la vie humaine”, ont déclaré leurs familles.

Certains des détenus souffrent de problèmes médicaux. Araj souffre de calculs rénaux et de diabète, tandis que al-Idrissi a une maladie cardiaque.

Leurs familles ont dit à l’ONG que bien que les services de sécurité de l’AP étaient au courant des problèmes de santé des détenus, ceux-ci se sont vu refuser tout traitement médical, tout en étant “torturés à plusieurs reprises.”

Dans une déclaration sur les médias sociaux, le journaliste palestinien Tariq Yousif a fait savoir qu’il a visité les prisonniers avec l’un des avocats représentant les détenus, Anas Barghouthi du groupe Addameer de défense des droits des prisonniers palestiniens.

Yousif a décrit quelles étaient les conditions des détenus : al-Cheikh a été placé dans une cellule d’1m sur 1m50, sans une couverture, chaise ou matelas. Salamen et Siyaj ont été mis ensemble dans une cellule de 2m sur 1m50, très malodorante à cause d’une toilette attenante. Al-Idrissei et Harb ont été mis ensemble dans une cellule similaire. Basil a été placé dans une cellule de 2m sur 3.

Les détenus ont dit à Yousif et Barghouti que l’administration pénitentiaire leur donnait à chacun un matelas en éponge, sans drap, de minuit à 8 heures du matin. “Il n’y a pas de place dans la cellule pour deux matelas, et l’un d’entre eux doit être placé sur les toilettes, donc nous dormons assis,” ont-ils dit.

Addameer avait publié en avril une première déclaration sur la torture appliquée aux détenus, après la première prolongation de leur détention provisoire, en disant qu’ils étaient “soumis à différentes formes de mauvais traitements, y compris rester assis dans des positions de stress, la privation de sommeil, l’interrogatoire pendant des heures et des heures en étant battu sur tout le corps, les insultes, et le refus de pouvoir se servir de toilettes.”

Addameer avait également signalé que les détenus s’étaient vus refusé l’accès à des visites d’un avocat depuis leur arrestation, en dépit des engagements du procureur.

“Addameer considère les actions des forces de sécurité palestiniennes comme étant en contravention avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que la Convention contre la torture (CAT), tous deux contresignés par l’Autorité palestinienne.”

Le groupe a ajouté que “l’Autorité palestinienne doit respecter les conventions dont elle est partie prenante, surtout compte tenu de la détérioration actuelle de la situation des droits humains dans les territoires occupés.”

3 septembre 2016 – Ma’an news