Sally Rooney a raison d’appliquer un boycott culturel à Israël

Sally Rooney est donc loin d'être la seule intellectuelle à faire publiquement preuve de solidarité avec le peuple palestinien et à adhérer aux directives du mouvement BDS - Photo : via bookforum.com

Par Yara Hawari

Plus tôt ce mois d’octobre, nous avons appris que l’auteure irlandaise Sally Rooney avait refusé l’offre de l’éditeur israélien Modan de publier son dernier ouvrage.

De nombreux médias ont exploité des titres trompeurs, affirmant à tort que Mme Rooney refusait que son livre soit publié en hébreu.

Dans une déclaration publiée le 12 octobre, Rooney a fait connaître sa position et exprimé son soutien de longue date à la lutte palestinienne, et son adhésion aux directives du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Elle fait partie d’une cohorte de centaines de personnalités culturelles irlandaises qui soutiennent le peuple palestinien et s’engagent à maintenir le boycott culturel d’Israël.

Le BDS est un mouvement dirigé par les Palestiniens qui s’inspire de la lutte anti-apartheid sud-africaine qui utilisait le boycott pour faire pression sur le régime.

L’appel au boycott académique et culturel, lancé en 2004, demande aux artistes et aux personnalités culturelles internationales de refuser d’être complices de l’apartheid israélien en boycottant les institutions israéliennes, à moins qu’elles ne reconnaissent l’ensemble des droits du peuple palestinien.

Cet appel a été lancé après des décennies d’interventions, de négociations et de projets de dialogue internationaux infructueux, et se fondait sur la nécessité d’un “cadre de référence palestinien définissant des principes directeurs” sur la manière de traiter avec Israël.

Les exigences du mouvement sont claires :

1) la reconnaissance des droits inaliénables du peuple palestinien en vertu du droit international
2) la fin de l’occupation militaire des terres palestiniennes et arabes (y compris le plateau du Golan syrien) depuis 1967
3) la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyens palestiniens d’Israël à l’égalité
4) et le droit au retour des réfugiés palestiniens comme le stipule la résolution 194 des Nations unies.

Le mouvement BDS est donc tout à fait conforme au droit international. En outre, le droit au boycott a été confirmé à de nombreuses reprises comme outil politique légal.

Il est important de noter que le boycott, dans ce cas, n’est pas simplement une position de principe, c’est une tactique politique, émanant d’une longue histoire de résistance dans le sud du monde, visant à obtenir une action qui force Israël à se conformer au droit international.

De manière centrale, le BDS cible la complicité et non l’identité.

Le boycott universitaire et culturel reconnaît qu’Israël utilise ces deux domaines comme un moyen de mener à bien et de blanchir les violations des droits des Palestiniens.

Par exemple, de nombreuses institutions universitaires israéliennes sont directement impliquées dans le développement de systèmes d’armes et de doctrines militaires utilisés par l’armée israélienne contre le peuple palestinien.

Certaines institutions académiques sont même construites dans des colonies internationalement reconnues comme illégales en Cisjordanie, comme l’université d’Ariel. De même, les institutions culturelles israéliennes sont explicitement utilisées pour promouvoir l’idée qu’Israël est un pays “normal”.

À tel point qu’un fonctionnaire du ministère israélien des affaires étrangères a déclaré un jour : “Nous considérons la culture comme un outil de hasbara [propagande] de premier ordre, et je ne fais pas de différence entre hasbara et culture”.

D’autres sont encore plus directement complices. Modan, la maison d’édition israélienneavec laquelle Rooney a refusée de travailler, se vante sur son site web de produire et de commercialiser des livres pour le ministère israélien de la défense.

Les personnes impliquées dans la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud ont longtemps souligné l’importance des boycotts culturels et universitaires comme moyen de créer une pression non seulement de l’intérieur mais aussi de l’extérieur.

Selon les termes utilisés par les Artistes sud-africains contre l’apartheid : “Lorsque les artistes et les sportifs ont commencé à refuser de se produire en Afrique du Sud, les yeux du monde se sont tournés vers les injustices dont étaient victimes ici les personnes de couleur. Cela a ensuite créé une vague de pression sur les hommes politiques et dirigeants mondiaux représentant leurs électeurs, pour insister sur un changement de régime – ce qui a contribué à une Afrique du Sud libre, démocratique et non raciale.”

L’archevêque Desmond Tutu, lauréat du prix Nobel de la paix, a lui aussi souvent souligné l’importance des boycotts pour mettre fin à l’apartheid.

Dans le contexte de la représentation de l’Opéra du Cap à Tel Aviv, il a déclaré : “Tout comme nous avons dit, pendant l’apartheid, qu’il était inapproprié pour des artistes internationaux de se produire en Afrique du Sud, dans une société fondée sur des lois discriminatoires et l’exclusivité raciale, il serait également inapproprié pour l’Opéra du Cap de se produire en Israël”.

Si d’autres pays sont également coupables de violer le droit international et les droits d’autres peuples, comme c’était le cas à l’époque du mouvement de boycott sud-africain, l’accusation selon laquelle ceux qui soutiennent le mouvement BDS pointent du doigt Israël est un argument intellectuellement sans consistance.

Ceux qui adhèrent à BDS répondent directement à un appel de la société civile palestinienne. Le mouvement BDS est un mouvement antiraciste et internationaliste qui a de nombreux liens avec d’autres luttes dans le monde, du Cachemire à Black Lives Matter aux États-Unis.

En effet, le mouvement BDS ne peut être considéré isolément des autres mouvements qui se développent dans le monde et qui exigent des comptes et la justice.

Malgré ce qu’en disent les critiques, le mouvement BDS est une réussite, et il prend de l’ampleur. Des milliers d’artistes et de personnalités culturelles à travers le monde ont signé des déclarations de soutien au mouvement de boycott, comme un engagement collectif de 2015 au Royaume-Uni.

Parmi les personnaliés qui ont pris position en faveur du boycott culturel figurent Arundhati Roy, Judith Butler, Naomi Klein et Angela Davis. Sur la scène universitaire, des milliers de campus ont adopté des résolutions BDS pour exiger que leurs lieux d’enseignement ne soient pas complices de l’oppression palestinienne.

La “semaine contre l’apartheid israélien” est désormais inscrite au calendrier des groupes d’étudiants progressistes du monde entier.

Rooney est donc loin d’être la seule à afficher publiquement sa solidarité avec le peuple palestinien et à vouloir se conformer aux directives du mouvement BDS.

Des décennies après sa création, Israël continue à intensifier ses agressions militaires, à voler des terres palestiniennes et à détruire des foyers palestiniens. Face à l’impunité totale et à l’absence d’intervention internationale, le mouvement BDS offre aux alliés et amis à l’échelle internationale un moyen de soutenir la lutte palestinienne à l’échelle de toute la société.

Répondre à cet appel est le minimum que puissent faire celles et ceux qui sont guidés par des valeurs progressistes et internationalistes.

26 octobre 2021 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine