Nous avons survécu à la guerre, mais survivrons-nous au « cessez-le-feu » ?

20 octobre 2025 - La famille Abu Saada pleure la perte de cinq de ses membres, dont un bébé, tués lors d'une attaque israélienne qui a frappé leur maison dans la région d'Abasan, à l'est de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 20 octobre 2025. L'attaque a eu lieu alors que la famille rentrait chez elle après le début de l'accord de cessez-le-feu conclu la semaine dernière entre Israël et le Hamas. Plusieurs autres personnes sont restées coincées sous les décombres, tandis que les équipes de défense civile poursuivaient leurs efforts de recherche et de sauvetage. Israël a assassiné 97 Palestiniens à Gaza depuis le début du cessez-le-feu - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Sara Awad

Il y a peut-être un cessez-le-feu en vigueur, mais Israël continue de tuer des Palestiniens à Gaza chaque jour.

Dimanche dernier, je suis sortie de la tente de ma famille à az-Zawayda, dans le centre de la bande de Gaza, et je me suis rendue au Twix Cafe, un espace de coworking pour les journalistes indépendants et les étudiants, situé à proximité.

Dix jours s’étaient écoulés depuis l’annonce du « cessez-le-feu » et je pensais qu’il était enfin possible pour moi de sortir en sécurité.

Sortir était censé être un pas vers la reconquête d’une petite partie de mon ancienne vie.

Mon frère et moi étions presque arrivés au café lorsque nous avons entendu un bruit très familier : le grondement d’une explosion. Un drone israélien venait de frapper l’entrée du Twix Cafe.

Je me suis figée. J’ai immédiatement pensé : « Ça y est, c’est mon tour. Je ne survivrai pas à cette guerre. »

Trois personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées. Si mon frère et moi avions quitté la tente familiale quelques minutes plus tôt, nous aurions peut-être aussi fait partie des victimes…

Lorsque la nouvelle s’est répandue, ma famille a paniqué et n’a cessé de nous a appeler. Le signal était faible et leurs tentatives pour nous joindre étaient infructueuses. Ce n’est qu’une fois de retour à la tente que nous avons pu rassurer notre mère.

Ma question a tout de suite été : « Quel genre de « cessez-le-feu » est-ce donc ? J’ai ressenti plus de colère que de peur.

Lorsque l’accord de cessez-le-feu est entré en vigueur et que les dirigeants étrangers nous ont annoncé que la guerre était terminée, beaucoup d’entre nous ont osé espérer. Nous pensions que les explosions allaient enfin cesser, que nous pourrions commencer à reconstruire sans crainte nos vies en pièces.

Mais il n’y a pas d’espoir sous l’occupation israélienne. La violence ne s’arrête jamais vraiment. Ce jour-là, lorsque l’armée israélienne a bombardé le Twix Cafe, elle a également bombardé des dizaines d’autres endroits dans toute la bande de Gaza, tuant au moins 45 personnes et en blessant beaucoup d’autres.

Ce fut la journée la plus meurtrière depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Il ne s’est pas passé un seul jour sans victimes ; Israël continue de tuer chaque jour. À ce jour, plus de 100 Palestiniens ont été assassinés depuis l’annonce du soi-disant cessez-le-feu.

Parmi eux se trouvaient 11 membres de la famille Abu Shaaban. Le massacre a eu lieu le 18 octobre, la veille des bombardements massifs. Les Abu Shaaban tentaient de rentrer chez eux dans le quartier de Zeitoun, à Gaza, à bord d’un seul véhicule. Une bombe israélienne a mis fin à la vie de quatre adultes : Sufian, Samar, Ihab et Randa ; et de sept enfants : Karam, 10 ans, Anas, 8 ans, Nesma, 12 ans, Nasser, 13 ans, Jumana, 10 ans, Ibrahim, 6 ans, et Mohammed, 5 ans.

C’est ce qu’Israël appelle un « cessez-le-feu ».

Dimanche, la panique et l’insécurité se sont répandues dans toute la bande de Gaza lorsque les bombardements massifs ont commencé. Alors que les explosions se succédaient, les gens se sont précipités vers les marchés pour acheter autant de nourriture qu’ils pouvaient se permettre afin de se préparer à la guerre et à la reprise de la famine.

Il était déchirant de voir comment, au milieu des bombes, l’esprit des gens se concentrait automatiquement sur la nourriture. Il semble que nous ayons perdu à jamais le sentiment de sécurité, celui de savoir que demain, nous aurons de quoi manger.

Et oui, nous sommes toujours obligés d’acheter notre nourriture, car Israël non seulement viole le « cessez-le-feu » en nous bombardant, mais refuse également de nous fournir l’aide qu’il s’était engagé à nous accorder.

Au moins 600 camions d’aide humanitaire étaient censés entrer à Gaza chaque jour. Selon le Bureau des médias de Gaza, seuls 986 camions d’aide humanitaire sont entrés à Gaza depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 11 octobre, soit seulement 15 % de ce qui avait été promis.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a dénombré seulement 530 de ses camions autorisés à entrer. L’UNRWA en a 6000 en attente d’entrée, mais aucun n’a été autorisé.

Hier, le porte-parole du PAM a déclaré qu’aucun convoi humanitaire important n’était entré dans la ville de Gaza ; Israël ne donne toujours pas à l’agence l’autorisation d’emprunter la rue Salah al-Din. La politique israélienne visant à affamer le nord de Gaza est toujours en vigueur.

Le poste-frontière de Rafah avec l’Égypte, notre seul accès au reste du monde, reste fermé.

Nous ne savons pas quand il rouvrira, quand les milliers de blessés seront autorisés à le franchir pour recevoir des soins médicaux urgents, quand les étudiants pourront partir pour poursuivre leurs études, quand les familles déchirées par la guerre pourront se retrouver, quand ceux qui aiment Gaza – ceux qui attendent depuis si longtemps de rentrer chez eux – pourront enfin revenir.

Il est désormais clair qu’Israël traite ce « cessez-le-feu » comme un interrupteur, qu’il active et désactive à sa guise.

Dimanche, nous avons subi à nouveau des bombardements massifs, lundi, c’était à nouveau le « cessez-le-feu ». Comme si rien ne s’était passé, comme si 45 personnes n’avaient pas été massacrées, comme si aucune maison n’avait été détruite et aucune famille brisée.

Il est dévastateur de voir nos vies traitées comme si elles n’avaient aucune importance. Il est accablant de savoir qu’Israël peut reprendre les massacres quand bon lui semble, sans avertissement, sans excuse.

Ce cessez-le-feu n’est rien d’autre qu’une pause dans ce que nous considérons désormais comme une guerre sans fin, un moment de silence qui peut prendre fin à tout instant. Nous resterons à la merci d’un occupant meurtrier jusqu’à ce que le monde reconnaisse enfin notre droit à la vie et prenne des mesures concrètes pour le garantir.

D’ici là, nous resterons des chiffres dans les gros titres consacrés à la série de meurtres sans fin perpétrés par Israël.

25 octobre 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine

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