L’occupant n’aura jamais de prise sur ce que l’humanité a de plus beau

« Une de mes photos préférées est celle d'une fille qui saute à la corde et derrière laquelle se trouve un bâtiment détruit par les bombardements israéliens. Elle exprime la force et la puissance de la volonté. Après la mort, il y a la vie. Elle montre la vraie Gaza, où les gens trouvent de quoi espérer au milieu de la destruction » - Photo Mohammed Zaanoun

Par Marie Schwab

A la question « De quoi avez-vous le plus besoin ?», le Dr. Munir al-Bursh, à Gaza, répond : « D’une mort miséricordieuse. »

Il témoigne : « Nous avons encore vécu une matinée sanglante. Les quadcopters commandent aux civils d’aller dans telle zone, puis ces mêmes avions ouvrent le feu sur les civils amassés. Plus de 30 martyrs et de 179 blessés sont arrivés à l’hôpital ce matin. De nombreux martyrs et blessés sont encore là-bas, l’occupant empêchant aux secours d’y accéder. Nous ne pouvons pas recevoir un tel nombre de blessés, après avoir perdu l’Hôpital européen, le plus grand dans le sud, et compte tenu du manque de tout. »

Jeudi, l’occupant a bombardé pour la huitième fois l’hôpital al-Ahli, assassinant notamment quatre journalistes. Les lambeaux de leur chair jonchaient ce qui était naguère le jardin coquet de l’enceinte de l’hôpital.

Les hôpitaux, sans oxygène ni électricité, sans bloc opératoire ni soins intensifs, sans matériel de base ni médicaments essentiels, sont transformés en mouroirs. L’occupant s’assure que ceux qui ont survécu aux bombardements ne survivront pas à leurs blessures.

Israël est le seul pays au monde où des médecins appellent au bombardement des hôpitaux.

Le Dr. Feroze Sidhwa, de retour de Gaza, témoigne : « A Gaza, j’ai opéré sans stérilisation, sans électricité, sans anesthésiques, à même le sol dans le couloir. Les enfants mouraient, non parce que leurs blessures étaient mortelles, mais parce que nous manquions de sang, d’antibiotiques et de fournitures de base. La plupart de mes patients étaient des enfants de moins de 12 ans, le corps déchiré par les explosifs. Ceux qui avaient survécu se réveillaient souvent en découvrant que toute leur famille avait disparu. »

Depuis 20 mois, jour après jour, les puissants regardent le pire des massacres succéder au pire des massacres.
Depuis 20 mois, les puissants laissent l’occupant assassiner des nouveaux-nés avant même que leur certificat de naissance n’ait été établi.
Depuis 20 mois, les puissants regardent des parents enterrer des restes humains contenus dans des petits sacs en plastique.
Gaza est l’endroit au monde où on remercie Dieu lorsqu’on a un corps à enterrer.
Gaza est l’endroit au monde où, dans la matinée, un chirurgien ampute sa fille et ses quatre nièces sans anesthésie.
Gaza est l’endroit au monde où, une heure après avoir confié son enfant à un médecin à l’hôpital, lorsque le père revient, il ne trouve plus ni enfant, ni médecin, ni hôpital.
A Gaza, il convient de dire adieu à chaque instant à ceux qu’on aime, avant de se coucher, avant d’aller chercher de l’eau, avant de les quitter même pour un bref moment, car on ne sait pas si on reviendra, ni si, à son retour, on retrouvera les siens.

Les enfants de Gaza forment la plus grande cohorte d’enfants amputés, la plus grande cohorte d’orphelins -seuls,traumatisés, sans espoir ni consolation, dans un monde où la dévastation hante chaque recoin, jusque dans les cimetières et les vergers,où partout règne la même odeur de poudre, de mort, de sang et de corps brûlés.

Tous les projets de mariage, d’études, d’agrandissement de la maison, tous les projets professionnels ont volé en éclats. La vie des enseignants, des paysans, des ingénieurs, des chercheurs est entièrement rythmée par la survie dans les ruines, la quête d’eau et de nourriture. Mourir n’effraie personne. Perdre les siens terrorise tout le monde.

Ihab raconte comment, dimanche, il a demandé à ses fils de l’attendre sur la colline à l’écart de la cohue alors qu’il essayait d’obtenir de la nourriture à Rafah. « J’ai vu les tanks derrière la colline. La terreur m’a submergé. J’ai prié Dieu qu’il nous protège. » Son fils Yazid, 15 ans, témoigne: « Les tanks ont ouvert le feu. Mon frère [Yazan, 13 ans] a immédiatement été touché à l’estomac, ses intestins sortaient. »

Israël, c’est le pays où les gens manifestent pour empêcher un peuple d’avoir de la nourriture.
Israël, c’est le pays qui décide de faire parvenir, après 80 jours de blocus total, cinq camions de ravitaillement à 2 millions de personnes – dont deux remplis à ras bord de linceuls.
Israël, c’est le pays dont l’envoyé à l’ONU bâille, ou feint un bâillement, lorsque Riyad Mansour évoque avec émotion l’anéantissement de toute une génération d’enfants.
Israël, c’est le pays où, avec la lâcheté caractéristique, un soldat de l’armée d’occupation décide, depuis la console de son bureau blindé de Tel Aviv, de larguer un missile sur un vieil homme se frayant péniblement un chemin dans une rue jonchée de gravats, éteignant une mémoire de plus, un être lumineux de plus, qui donnait de la force et de la joie à ses petits-enfants.
Israël, c’est cette démocratie occidentale qui vient de promulguer dans l’indifférence générale une loi autorisant la perpétuité pour les enfants de 12 ans dans des prisons où ils seront légalement torturés et violés. Au moins 70 détenus palestiniens ont été tués dans les prisons israéliennes depuis octobre 2023.
Israël, c’est cette démocratie occidentale qui vient d’annoncer dans l’indifférence générale la construction de 22 nouvelles colonies illégales en Cisjordanie occupée.

Au regard de ce qu’ils nomment « la situation humanitaire », les Etats occidentaux évoquent de possibles sanctions, de possibles enquêtes, qui ne sont qu’une manière de faire gagner du temps à l’occupant.

L’Occident condamne mais n’agit pas ; s’inquiète de ‘possibles violations’ du droit mais continue de livrer des armes à l’occupant et achète les armes israéliennes testées à Gaza.

Les médias continuent de relayer la propagande de l’occupant, justifiant l’injustifiable, minimisant l’horreur. Peut-être brodent-ils plus finement leurs mensonges, surbrodent-ils avec plus d’habileté la falsification – ce qui ne la rend que plus redoutable.

Comme l’écrit Dina Elmuti à propos de Deir Yassin, « souvenons-nous que la violence ne peut pas exister dans un vacuum ; elle est invariablement entremêlée de mensonges ».

Qui est menacé ? Celui qui possède l’arme nucléaire, les miradors, les F-16, les tanks, les drones tueurs, les véhicules blindés, les hélicoptères de combat, les bulldozers ? Celui qui a été reconnu et est soutenu par l’ensemble des Etats occidentaux ? Ou celui dont plus d’un tiers de la population est acculée, depuis 1967, sur 2,6 % de la Palestine historique ?

Qui a reconnu de facto l’autre dans les frontières de 1967 et accepte la création d’un Etat sur 22 % du territoire de 1948 ? Qui demande depuis octobre 2023 une enquête indépendante sur les hôpitaux et les prétendues bases militaires dans leurs sous-sols ? Et qui refuse cette enquête ? Qui a ratifié le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale et demande depuis 10 ans que les deux parties comparaissent pour tout crime commis ? Et qui refuse ?

En affamant la population, en empêchant tout accès aux soins, en détruisant les réseaux d’eau, en pulvérisant les maisons, les écoles, les bibliothèques, en endeuillant les familles, l’occupant détruit tout ce qui sert de fondements à une société – tout ce qui permet aux enfants de vivre, et invalide le passé en même temps que l’idée même d’avenir.

En faisant distribuer par des mercenaires américains une quantité dérisoire de nourriture à une population affamée, en réduisant à quatre points les lieux de ravitaillement au lieu des plus de 400 habituels, en armant et encourageant des gangs mafieux,l’occupant met tout en œuvre pour déchirer ce que les bombes n’ont pas suffi à détruire du tissu social.

Mais la force d’une culture de l’entraide sont impénétrables aux génocidaires, et l’occupant n’aura jamais de prise sur ce que l’humanité a de plus beau.

La résistance ne se résume pas à des roquettes faites d’explosifs recyclés et à de vieilles kalachnikovs. Lutter contre l’oppression, c’est la volonté de préserver la dignité, l’empathie et l’amour du prochain. C’est une aspiration, un flux d’énergie puisé dans les cris, les larmes,le sang et les ruines. C’est le serment intime que la vie refleurira, que les rires et les pas du debké résonneront à nouveau là où, aujourd’hui, règnent la dévastation et l’odeur de la mort.

Résister, c’est faire en sorte que le sang n’ait pas coulé en vain. C’est une indicible foi. C’est la conviction que vivre, c’est vivre libre.

« Honte à ceux qui prônent la reddition. Les factions palestiniennes et les Palestiniens,quels que soient leurs moyens, ne se rendront pas. Notre peuple lutte depuis 77 ans pour la liberté, nous n’avons jamais brandi le drapeau blanc et nous ne le ferons jamais. Si la résistance se rendait, Israël envahirait toute la Bande de Gaza en quelques heures et procèderait à l’expulsion de masse de tous les Palestiniens de Gaza en quelques jours. En aucun cas cela ne sauverait Gaza. Cela entraînerait l’annihilation du peuple palestinien, cela tuerait tout espoir pour notre peuple, et en même temps, les colons occuperaient toute la Cisjordanie sans exception. Que ceux qui demandent à la résistance de se rendre nous montrent ce qu’ils font en ce moment pour lutter contre l’annexion de la Cisjordanie. » Mustafa Barghouti.

Dans aucun pays au monde on ne descend dans les rues pour soutenir le génocide ; personne n’escalade les cathédrales et les montagnes pour y hisser le drapeau colonial ; personne n’interrompt une séance parlementaire, une remise de diplômes ou un festival pour plaider la cause du suprémacisme sioniste.

Nous sommes la force vive face à la puissance militaire mortifère. Nous sommes le droit. Que l’espoir porte notre soutien, la libération de la Palestine est le seul avenir envisageable.

Je voudrais terminer par une pensée pour Zuheir, qui aide une vieille femme à fuir en la portant comme on porte un enfant.

Une pensée pour Adel et Amjad, qui accourent vers un enfant marchant seul dans la rue et l’emportent, quelques instants avant que le quartier ne soit pulvérisé.

Une pensée pour Mouna, blessée, à demi-inconsciente, allongée dans la poussière, qui voit son enfant blessée, seule, en pleurs, et qui ne peut pas la prendre dans ses bras.

Envoyons tout notre amour, notre force et notre espoir à Gaza.

6 juin 2025 – Transmis par l’auteure.

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