
21 avril 2025 - Les funérailles de Kinan Adwan, un petit garçon âgé d'un an et huit mois, tué lors d'une frappe aérienne sur les maisons et les tentes de personnes déplacées le 18 avril; il a été enterré le 19 avril aux côtés de 12 autres Palestiniens, dont des enfants et des femmes, à l'hôpital Nasser de Khan Yunis, tous tués dans la même attaque - Photo. Doaa Albaz /Activestills.
Par Marie Schwab
Depuis 77 ans, l’occupant vole, détourne, dépossède, confisque, accapare, sépare, expulse, détruit, saccage, agresse, terrorise, torture, assassine, brûle, emprisonne, kidnappe, empoisonne, massacre, démembre, asphyxie, arrache, fracasse, broie, écrase – humains, troupeaux, arbres, maisons, terres – en toute impunité.
L’occupant commet à présent le crime des crimes, le crime de génocide et d’extermination. Et l’impunité continue. Impunité, le mot est faible : l’occupant est activement encouragé et soutenu par tous les Etats qui continuent à entretenir des relations de tout ordre avec Israël. [1]
L’occupant ne se bat pas, l’occupant ne se défend pas, l’occupant concentre et extermine. L’ONU a dénombré au moins 23 bombardements sur la zone désignée comme sûre d’Al Mawasi entre le 18 mars et le 22 avril.
Youssef Abu al-Rus témoigne : « Ils nous disent d’aller dans les zones sûres pour sauver nos vies. C’est un piège pour nous tuer en masse et nous brûler vifs. Nous enterrons les squelettes et les os fondus de nos enfants. »
A Gaza, les enfants sont assassinés sans crier gare quand ils jouent au ballon, quand ils cherchent de l’eau ou de la nourriture, quand ils dorment, quand ils sont soignés, quand ils enterrent leurs proches. Souvent aussi, ils entendent venir leur mort dans un fracas terrifiant.
Abdelfattah a découvert sous les décombres le corps de ses deux petits garçons au visage figé dans l’épouvante, enlacés, Mahyoub serrant contre lui son petit frère Khalil, dans l’élan désespéré de le protéger et le rassurer.
A Gaza, être un enfant, c’est être une cible. Etre médecin, secouriste, journaliste, enseignant, c’est être une cible aussi. Etre Palestinien, c’est être une cible. Voilà précisément ce qui caractérise un génocide : le ciblage des membres du groupe en tant que tels.
Noha Shehto raconte : « J’étais dans la cuisine, il y a eu une gigantesque explosion. Le plafond est tombé sur moi. J’ai réussi à me dégager. Autour de moi il n’y avait plus de murs, plus de meubles, plus personne. Je les ai appelés, personne n’a répondu. Je suis descendue et j’ai vu mon fils Ali [2 ans, projeté par le souffle] sur le toit d’en face, toujours en vie, louange à Dieu. J’avais des brûlures dans le dos, l’ambulance m’a emportée, mon fils est resté avec les jeunes qui sont allés le chercher sur le toit. Mon fils Ali et moi sommes les seuls survivants sur 22 personnes. La plupart étaient des enfants. Mon frère et ses enfants, les enfants de ma sœur, mon mari, mes enfants. Mon fils Mohammed, qui était en train de jouer. Ils ont tous péri. »
A Gaza, les enfants sont aussi dans le viseur de la famine.
Avec la lâcheté et la cruauté qui lui sont coutumières, c’est à plus d’un million d’enfants que l’occupant inflige un blocus total, alors que, comme nous le savons, 116.000 tonnes d’aide attendent dans des milliers de camions bloqués à quelques kilomètres de là. 70.000 enfants sont hospitalisés pour malnutrition sévère dans des hôpitaux où on ne peut que constater sans les soigner les effets de la famine. 3.500 enfants de moins de 5 ans vont mourir de faim et de déshydratation « de manière imminente » d’après les médecins sur place.
La faim, n’en déplaise aux médias, n’est pas un « moyen de pression », mais un crime de guerre .
La famine organisée est un acte de génocide commis froidement par des criminels de guerre, qu’il convient d’arrêter et non de couvrir. Qu’attendent toutes les nations dotées de flottes navale et aérienne pour briser le blocus ?
Quelle est donc leur satisfaction à s’aplatir ainsi devant un Etat poursuivi pour génocide à la Cour internationale de justice ? Leur lâcheté n’a d’égale que leur hypocrisie.
« Nous ne sommes pas un peuple qui a besoin d’être nourri, nous n’avons pas faim parce que nous n’avons pas de nourriture ; nous avons faim parce que nous sommes sous occupation, parce que nous sommes sous blocus, parce que nous sommes en plein génocide. Nous ne voulons pas juste manger, nous voulons la liberté », expose le poète Mossab Abu Toha.
L’occupant a détruit minutieusement la souveraineté alimentaire de la population de Gaza par un blocus de plus en plus asphyxiant depuis le début des années 1990, la rendant entièrement dépendante de l’entrée de l’aide humanitaire, et continue de bombarder les pêcheurs téméraires qui s’aventurent en mer sur des radeaux de fortune, tous les bateaux ayant été détruits, ainsi que les paysans qui remettent avec un indicible courage leurs pépinières en culture.
« Ce serait plus simple que mes enfants meurent dans un bombardement plutôt que de devoir assister impuissant à leur mort par la faim », déplore Muhammad al-Hajj Ahmad, de Zeitoun, dans l’est de Gaza-Ville.
Le Dr. Feroze Sidhwa alerte sur le fait que nous n’avons pas pris la pleine mesure du degré extrême de famine à Gaza depuis 18 mois.
Sur la base des estimations de l’IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire) répartissant en différentes classes les personnes souffrant de malnutrition, les projections indiquent que 140 personnes meurent de faim et de déshydratation chaque jour à Gaza. Et du fait de la surreprésentation des enfants dans la population de Gaza, il convient de réévaluer ces projections à 200 morts par jour. D’ores et déjà. Chaque jour.
Dès décembre 2023, l’IPC relevait à Gaza les plus fortes proportions d’insécurité alimentaire jamais enregistrées dans le monde en deux décennies de rapports.
Michael Fakhri, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation alertait il y a plus d’un an sur le fait que les experts n’avaient jamais observé la faim s’installer « aussi rapidement et aussi complètement » sur un territoire.
Les chiffres officiels ne prennent pas la mesure de l’ampleur de la dévastation par les bombes non plus. L’expert en technologie des missiles Theodore Postol, du MIT, évalue à « plusieurs centaines de milliers au moins » le nombre de morts par ciblage direct à Gaza.
L’ONG britannique Airwars a comptabilisé qu’entre le 7 et le 31 octobre 2023, en 24 jours, de 1900 à 2165 enfants ont été assassinés à Gaza, soit plus que pendant l’année entière identifiée comme étant la plus meurtrière du conflit le plus meurtrier, la Syrie en 2016.
D’autre part, depuis janvier 2024, le chiffre officiel du nombre de disparus est inchangé, alors que pas un jour ne passe sans que des dizaines de corps ne restent bloqués sous les décombres, par manque de moyens ou parce que les équipes sont prises pour cible par l’occupant.
A Gaza, l’espérance de vie a chuté de près de 50 % en douze mois, passant de 74 à 39 ans, rapporte le Dr. Mads Gilbert.
Au génocide par les bombes et par la faim s’ajoute le génocide par empêchement de soins. Patients et blessés meurent en silence car il n’y a rien pour les soigner. La présence de médecins ne suffit pas à faire un hôpital.
« Trop d’enfants sont morts dans mes bras, m’implorant à l’aide, et je ne pouvais pas les aider », témoigne le Dr. Mohammed Mustafa.
« Je dois vivre avec le fait que j’ai laissé des enfants se vider de leur sang à côté de moi. (…) J’avais pu prendre avec moi deux seringues de kétamine, c’était ma seule sédation, et je devais choisir à qui j’en donnais et à qui je n’en donnais pas. La kétamine peut être utilisée comme antalgique et comme sédatif. La décision est très pragmatique : je sais que cet enfant va mourir, et même s’il souffre énormément, même s’il est au supplice, je ne lui donne pas de kétamine. Je ne voulais pas que les enfants qui avaient une chance de s’en sortir soient traumatisés à vie par ce que j’allais leur faire, alors je les sédatais, et je laissais les autres enfants mourir dans des souffrances atroces. Voilà les décisions que vous êtes amenés à prendre quand vous êtes à Gaza. Tous les jours. »
Les puissants regardent et froncent les sourcils, comme s’il n’était pas en leur pouvoir de faire stopper immédiatement le génocide par les bombes et le blocus.
Autre témoignage de médecin, celui du Dr. Mohammed Tahir : « J’ai vu un enfant après l’autre, après l’autre, après l’autre, démembré, éventré, décapité, brûlé. Assez pour ébranler les fondations de la terre, mais ça ne suffit pas à faire bouger les consciences de ceux qui sont au pouvoir dans ce monde. Vers qui nous tourner, maintenant, au XXIe siècle, pour que ça cesse, si non vers les puissants, vers l’ONU, vers ceux qui affirment soutenir la démocratie, les droits des humains et le droit international ? »
Le monde se souviendra de la démission politique, morale, humanitaire des puissants. Le monde se souviendra de ces tout petits linceuls alignés marqués مجهول – majhoul, inconnu.
Il nous revient d’alerter, de parler de Palestine, toujours et en tout lieu, d’encombrer les rues, de porter fiers nos keffiehs, qui crient stop, qui appellent à la justice. Souvenons-nous que chaque voix, chaque silence compte.
Je voudrais terminer par une pensée pour Intisar qui a fait via smartphone ses adieux à son fils Ahmad, assassiné dimanche à Gaza-Ville. Une pensée pour Ghadir, qui a perdu Islam, son bébé de 18 mois dans un bombardement à Beit Lahiya lundi. Né dans la terreur, mort dans l’épouvante, il n’aura pas eu la chance de vivre autre chose que la faim et l’effroi. Islam, petit Islam, petite merveille à peine éclose, petit monde parfait qui ne demandait qu’à vivre, donner et recevoir de l’amour et de la joie.
Mais c’est à Eman Abu Zayed, à Gaza-Ville, que je laisserai le dernier mot : « Je n’aurais pas imaginé qu’un jour, je puisse perdre tout ce que je connaissais, ma maison, ma fac, mes amis, mon quotidien, ma santé. (…) Quand je vois les cicatrices de la guerre sur mon corps et dans ma mémoire, je réalise que je ne suis plus la même. J’ai trouvé en moi une force insoupçonnée. J’ai trouvé une voie entre les gravats, une raison de témoigner, de résister malgré les pertes. J’ai décidé de rester en vie, d’aimer, de rêver, de parler. Parce que je mérite de vivre, comme n’importe quel être humain sur terre. »
Notes :
[1] « 9 exposants israéliens sont annoncés au Salon du Bourget 2025 pour exposer leurs produits ‘testés au combat’. Israël aura également l’opportunité de venir se faire fournir auprès de vendeurs d’armes français et internationaux. (…) C’est légitimer et récompenser les crimes commis par l’armée israélienne. » Stop Arming Israel France.
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
8 mai 2025 – Transmis par l’auteure.
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