Le ciel n’a jamais été sûr

Dans le cadre du génocide qu'il perpétue depuis le 7 octobre 2023 contre la bande de Gaza, l'armée israélienne utilise des petits drones (ou quadricoptères) pour tirer directement sur les Palestiniens, tuant et blessant nombre d'entre eux - Photo : via Euro-Med Human Rights Monitor

Par Ghada Abu Muaileq

Même après tant de guerres contre Gaza, les habitants ne s’y sont jamais habitué.

Un jour d’école ordinaire, j’avais alors six ans, j’ai levé les yeux vers le ciel et je vis un drone israélien tracer des formes étranges dans l’air. C’était en 2008, et ce fut ma première perception tangible de l’occupation.

A cette époque, mes amis et moi étions incapables de saisir ce que cela signifiait, nous fixions alors le ciel et inventions un jeu pour deviner ses formes : parfois une boucle parfaite, d’autres fois des lignes irrégulières ou des courbes douces.

Nous ne connaissions ni son nom ni son but; nous savions seulement qu’il ne partait jamais, son bourdonnement implacable ressemblant à celui d’une monstrueuse abeille mécanique.

Puis vint le jour où je compris sa présence sinistre. Un matin de décembre, pendant la récréation dans mon école de l’UNRWA, notre directrice se précipita vers nous, la voix pressante: « Rentrez chez vous, tout de suite ! ».

Nous n’étions que des enfants; nous n’avions pas compris le danger jusqu’à ce que les visages des enseignants apparaissent, leurs yeux emplis de terreur face au bourdonnement qui devenait de plus en plus fort au-dessus de nous.

Dans les murmures paniqués, nous apprîmes que le centre de santé à côté de notre école a été la cible d’un bombardement.

Ce fut le début de la première guerre de Gaza de ma vie, elle dura 21 jours. Je n’avais jamais entendu auparavant, les explosions assourdissantes des missiles—une horreur pire encore que le bourdonnement du drone qui peignait le ciel.

Je me couvrais les oreilles de mes mains en tremblant. Mes parents tentaient de me rassurer, les appelant des feux d’artifice, mais je savais bien que non. Les feux d’artifice ne transforment pas les bâtiments en ruines.

Après cette guerre, quatre années s’écoulèrent sans le bruit des missiles, mais al-Zanana (le fauteur de bruit), ce sinistre drone, ne quitta jamais notre ciel. À chaque anniversaire, mes questions enfantines à son sujet devenaient de plus en plus sombres.

J’avais 10 ans lorsque les bombes ont recommencé à pleuvoir en 2012, huit jours interminables durant lesquels Israël a pris nos maisons pour cible. Je suis encore hantée par les images des travailleurs de la défense civile qui sortaient des enfants de mon âge des décombres d’une maison bombardée, avec toute la famille à l’intérieur, le premier massacre dont je fus témoin dans ma vie.

J’ai vu des corps minuscules, encore en pyjama, masqués par le sang et la poussière; je me suis imaginée à leur place. À ce moment-là, j’ai compris deux vérités : Ces missiles n’ont pas seulement détruit des bâtiments, ils ont effacé des enfances. Et al-zanana ? Il ne faisait pas que regarder. Il guidait la mort, depuis le début.

Chaque guerre était pire que la précédente. Deux ans plus tard, à l’été 2014, une autre offensive israélienne fut lancée; cette fois, elle a duré près de 50 jours. La destruction la plus lourde a ciblé l’est de Gaza, en particulier le quartier de Shuja’iyya, pris d’assaut par les forces israéliennes qui ont massacré des familles à l’intérieur de leurs propres maisons.

Dans le centre de Gaza, nous avons enduré des frappes aériennes incessantes, bien que les soldats n’aient jamais pénétré dans notre zone. Ils nous ont terrorisés d’autres manières: en nous appelant sur nos téléphones, pour nous dire que nous allions connaitre le même sort que celui des habitants de Shuja’iyya.

À l’âge de 12 ans, je me sentais déjà écrasée sous le poids de la guerre. Être tuée par les bombardements semblait inévitable, mais ce qui était plus effrayant que mourir, c’était de ne pas savoir comment ni quand la mort viendra.

Cette terreur était si forte que mes amis et moi essayions de nous endormir lorsque les bombardements devenaient plus forts, car, dans notre pensée enfantine, nous pensions que nous ne ressentirions aucune douleur si nous étions tués pendant notre sommeil.

À cet âge, je ne pleurais pas beaucoup. Je trouvais refuge face au chaos extérieur dans les mots. Je me tenais occupée à lire des histoires et à écrire, déversant ma peur et ma défiance dans des poèmes, des histoires, et les fragments de ma vie façonnés par l’occupation.

J’ai beaucoup plus pleuré en tant qu’adulte vivant à travers un génocide.

Vous pourriez penser que les habitants de Gaza se sont habitués à la guerre après trois invasions successives, mais c’est loin d’être la vérité. Nous sommes un peuple éduqué, aimant la vie, et nous ne nous sommes jamais adaptés à la destruction, ni ne l’avons acceptée comme étant normale.

En 2021, l’occupation israélienne a répondu à notre résistance par une nouvelle guerre, cette fois-ci en ciblant les zones commerciales et vitales de la ville de Gaza pour paralyser la vie quotidienne et resserrer l’étau.

Même après la fin de cette attaque de 10 jours, le siège et les restrictions sont restés; cependant, les bombardements ont repris périodiquement avec des munitions de plus en plus létales.

Le 7 octobre 2023, je me préparais à aller à ma conférence de 8 heures à l’université lorsque les cours ont été suspendus indéfiniment.

Mon amie Dalia et moi étions en dernière année d’études et étions impatientes de décrocher notre diplôme. Nous avions hâte de reprendre nos études dès la fin de la guerre, mais cette date a marqué le dernier jour de la vie ordinaire.

Dès la première semaine de la guerre, mon université a été réduite en ruines par les bombes. Mes beaux souvenirs d’études et de rires avec mes amis ont été effacés. L’armée israélienne a occupé la route reliant le nord et le sud de Gaza, nous coupant de nos voisins.

Je n’ai pas vu Dalia, qui vit à 20 minutes en voiture au nord de chez moi, depuis le début de la guerre.

Les bombardements aveugles ont tué des gens chez eux: notre amie Tasneem, une étudiante exceptionnelle, ainsi que plusieurs professeurs, dont mon maitre de conférences, le Dr. Refaat Alareer, un poète et écrivain célèbre, et de nombreux membres de ma propre famille.

Même mon grand-père est décédé—non pas d’une explosion, mais de faim, du manque de médicaments et des conditions de vie insupportables.

Ma ville est maintenant réduite en ruines et le tombeau de plus de 50 000 martyrs. Ces pertes ont laissé des cicatrices dans mon cœur qui ne s’effaceront jamais.

Le ciel porte encore chaque guerre que j’ai vécue—chaque drone, chaque explosion, chaque nuit de peur gravée dans son immensité. C’est un rappel de la terreur qui s’est enracinée profondément dans mon cœur.

Et pourtant, je m’accroche à une foi calme et inébranlable : que j’aurai une vie meilleure, et qu’un jour, des enfants lèveront les yeux vers ce même ciel, clair et calme, sans poser ces questions qui hantent—se demandant seulement pourquoi il est si bleu. Et nous dirons: « Parce qu’il reflète la mer de Gaza. »

1e mai 2025 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer

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