La voix de mon père

Une fillette se tient devant sa maison dans le camp de réfugiés palestiniens de Khan Younis à Gaza - Photo : UNRWA/Hussein Jaber

Par Walaa Ashraf Abu-Abdou

J’étais à la fois excitée et inquiète. Un nouveau chapitre de ma vie allait s’ouvrir dans mon pays natal et ce repas serait le dernier repas en famille avec papa, avant longtemps.

Maman avait préparé un délicieux petit-déjeuner composé de Z’atar et de houmous, d’œufs durs et de pain maison. Nous nous sommes assis autour de la table et avons évoqué les beaux souvenirs que nous avions de Riyad et de papa, et combien il allait nous manquer, tout comme nos amis et notre famille.

J’adorais tout chez mon père, mais c’est sa voix qui m’a toujours apaisée et réconfortée. C’est sa voix qui me manquerait le plus.

Comme d’habitude en été, la chaleur était poisseuse et étouffante, malgré l’heure matinale, lorsque je suis allée dans ma chambre pour me préparer. C’était la première fois que je mettais le hijab. Je souriais, sous mon foulard, en pensant à la réaction de mon père. Quand il m’a vue, il s’est étonné que sa petite princesse ait grandi aussi vite et il m’a serrée très fort dans ses bras.

Sa joie était contagieuse et je me suis remise à sourire. Il me serrait de toutes ses forces, tellement il était heureux.

Nos bagages étaient prêts et il était temps de nous rendre à l’aéroport. Là, j’ai serré papa encore plus fort dans mes bras. Je savais que je ne le reverrais que dans un an.

Nous avons pleuré, nous nous sommes fait des signes d’adieu et nous sommes rendus dans la salle d’attente. Au fond de moi, c’était la tourmente. Je n’arrêtais pas de me demander comment serait la vie à Gaza, loin de papa, et comment nous allions la gérer.

Rester en contact

La décision de couper la famille en deux a été difficile à prendre pour mes parents. Nous sommes rapidement arrivés à Gaza et nous nous sommes installés dans l’appartement de mes grands-parents, où vivaient également mes oncles et tantes.

J’avais beaucoup de beaux souvenirs d’étés, de jeux et de cavalcades avec mes cousins. Mais lorsque la vie est devenue trop difficile à Gaza, mes tantes, oncles et cousins sont partis en Suède à la recherche d’une vie meilleure.

C’était génial d’être de retour ici. Chez moi. À Gaza. Même si mon père me manquait énormément. Nous parlions à papa tous les jours sur Whatsapp – quand l’internet fonctionnait. Il me disait que tout irait bien. Sa voix me rassurait toujours.

Une année a passé et nous étions censés aller le voir à l’étranger, mais la frontière a été fermée et nous avons dû reporter notre voyage.

Puis un jour, alors que je discutais avec papa, nous nous sommes retrouvés dans la tourmente. Israël bombardait Gaza. J’avais très peur. C’était la première fois que je me trouvais dans une zone de guerre.

Chaque frappe aérienne résonnait dans tout mon corps, même si elle était lointaine. Tout ce que je souhaitais, à ce moment-là, c’était que personne n’ait le cœur brisé par la perte de ses proches.

Les jours de bombardements intenses, nous nous précipitions dans notre refuge – le couloir de notre appartement, qui n’a pas de fenêtres. Mes jeunes sœurs n’avaient plus de larmes et maman n’arrivait pas à les calmer.

C’était horrible et terrifiant. Mon pauvre père ! Il était terriblement inquiet et anxieux pour nous, surtout quand l’électricité et l’internet ont été complètement coupés et qu’il ne pouvait pas nous contacter.

Il s’est senti beaucoup mieux dès qu’il a pu nous joindre à nouveau.

L’agression a duré 51 jours, nous laissant traumatisés et épuisés. Je m’efforçais de garder une voix joyeuse lorsque je parlais à papa, même si j’avais le moral à zéro. Je ne voulais pas qu’il s’inquiète. J’avais besoin d’être forte.

L’assassinat gratuit de mes voisins et la dévastation insensée autour de moi m’ont brisé le cœur. Tout Gaza avait le cœur brisé. Je me suis promis de tout faire pour soulager la souffrance de Gaza.

Une autre année a passé sans que je revoie mon père. Mon cœur se déchire chaque fois que le blocus nous empêche de vivre comme tout le monde. Mais je devais rester positive et optimiste.

Mon seul contact avec le monde extérieur se faisait par Internet. C’était mon échappatoire et mon seul moyen de sortir de Gaza, de me faire des amis et de découvrir d’autres cultures et modes de vie.

J’ai rencontré beaucoup de jeunes de mon âge, de nombreuses nationalités et cultures, grâce à ces échanges virtuels. Explorer les différences m’a ouvert l’esprit. Je suis heureuse d’avoir saisi cette opportunité. Elle a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

Mais c’était tout de même très frustrant que même ce tout petit bonheur soit perturbé par de fréquentes coupures d’électricité et d’internet. C’est révoltant que nous ne soyons pas en mesure de communiquer normalement avec ceux qui ne se trouvent pas à Gaza !

Retrouvailles, et à nouveau séparation

Ma famille est dispersée dans le monde entier, comme beaucoup de Palestiniens, mais nous avons réussi à rester unis malgré la séparation.

Trois ans après avoir vu papa pour la dernière fois, mes sœurs et moi avons enfin pu le revoir. J’ai entendu sa voix crier mon nom dans le hall d’arrivée de l’aéroport de Riyad. Mon cœur a sauté de joie.

La voix de mon père m’a fait oublier le long voyage stressant et difficile de Gaza à Riyad.

Je n’avais besoin de rien d’autre qu’un gros câlin. Nous nous sommes faits beaucoup de beaux souvenirs, des discussions tard le soir aux jeux vidéo en passant par les parties de bowling. Ces retrouvailles ont duré un mois et m’ont régénérée.

Mais lorsque je suis repartie à Gaza, je me suis demandée quand je reverrais papa.

Je rêve du jour où Gaza sera libérée du blocus et où nous pourrons voyager sans obstacles. Je rêve du jour où je n’aurai plus à m’inquiéter d’une connexion internet faible, de coupures d’électricité, de raids aériens ou de la fermeture des frontières.

Je rêve du jour où je pourrai traverser librement les terres occupées sans avoir besoin de la permission de l’occupant. Je rêve de rencontrer mes amis en Cisjordanie et à Jérusalem. J’aspire à vivre librement et normalement.

Mais pour moi, cela n’est qu’un rêve lointain.

2 février 2022 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet