La guerre en Ukraine a des retombées catastrophiques sur les pays du Sud

Des réfugiés palestiniens employés dans le cadre du programme d'aide de l'UNRWA, emballent des produits alimentaires dans un centre de distribution à Gaza pendant la pandémie de COVID-19en 2020 - Photo : UNRWA / Khalil Adwan

Par Ramzy Baroud

Alors que les titres de l’actualité internationale se concentrent largement sur la guerre en Ukraine, peu d’attention est accordée aux conséquences horribles de cette guerre sur de nombreuses régions du monde. Lorsqu’il est fait état des conséquences de la guerre, c’est surtout de celles qui affectent les pays européens, comme l’Allemagne et l’Autriche, en raison de leur forte dépendance aux sources d’énergie russes.

Ce sont pourtant les pays du Sud qui se retrouveront dans la situation la plus catastrophique, car, contrairement à l’Allemagne, ils ne seront pas en mesure de remplacer les matières premières russes par d’autres sources.

Des pays comme la Tunisie, le Sri Lanka et le Ghana, et bien d’autres, sont confrontés à de graves pénuries alimentaires à court, moyen et long terme.

La Banque mondiale met en garde contre une « catastrophe humanitaire » résultant de l’aggravation de la crise alimentaire, elle-même due à la guerre Russie-Ukraine.

Le président de la Banque mondiale, David Malpass, a déclaré à la BBC que son institution prévoit une hausse « énorme » des prix des denrées alimentaires, pouvant aller jusqu’à 37%, ce qui signifierait que les personnes les plus pauvres seraient contraintes de « réduire leur alimentation tout en ayant moins d’argent pour d’autres choses, comme la scolarité. »

Cette crise inquiétante vient s’ajouter à la crise alimentaire mondiale en cours, qui résulte des perturbations majeures des chaînes d’approvisionnement mondiales, dues à la pandémie de Covid-19 et à problèmes préexistants : guerres et troubles civils, corruption, mauvaise gestion économique, inégalités sociales, etc.

Avant même la guerre en Ukraine, le monde avait déjà faim. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), on estime que 811 millions de personnes dans le monde « ont eu faim en 2020 », avec un bond massif de 118 millions par rapport à l’année précédente.

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Compte tenu de la détérioration continue des économies mondiales, en particulier dans les pays en développement, et de l’inflation consécutive et sans précédent dans le monde, ce chiffre a dû faire plusieurs grands bonds depuis la publication du rapport de la FAO en juillet 2021, portant sur l’année précédente.

En effet, l’inflation est désormais un phénomène mondial. Aux États-Unis, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 8,5% par rapport à l’année précédente, selon la société de médias financiers Bloomberg. En Europe, « l’inflation (a atteint) le chiffre record de 7,5% », selon les dernières données publiées par Eurostat.

Aussi troublants que soient ces chiffres, les sociétés occidentales, dont les économies sont relativement saines et qui disposent d’une marge de manœuvre pour les subventions publiques, sont plus susceptibles de résister à la tempête de l’inflation, si on les compare aux pays d’Afrique, d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient et de nombreuses régions d’Asie.

La guerre en Ukraine a eu un impact immédiat sur l’approvisionnement alimentaire de nombreuses régions du monde.

La Russie et l’Ukraine combinées représentent 30% des exportations mondiales de blé. Des millions de tonnes de ces exportations sont acheminées vers les pays du Sud dépendant des importations alimentaires, principalement les régions d’Asie du Sud, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.

Si l’on considère que certaines de ces régions, qui comptent parmi les pays les plus pauvres du monde, luttent déjà sous le poids de crises alimentaires préexistantes, on peut affirmer sans risque d’erreur que des dizaines de millions de personnes souffrent déjà de la faim ou sont susceptibles d’en souffrir dans les mois et les années à venir.

Les sanctions sévères imposées à la Russie par les États-Unis et l’Occident sont une autre conséquence de la guerre. Les effets de ces sanctions seront probablement davantage ressentis dans d’autres pays qu’en Russie même, car cette dernière est largement indépendante sur le plan alimentaire et énergétique.

Bien que la taille globale de l’économie russe soit comparativement plus petite que celle des principales puissances économiques mondiales comme les États-Unis et la Chine, ses contributions à l’économie mondiale la rendent absolument essentielle.

Par exemple, la Russie représente un quart des exportations mondiales de gaz naturel, selon la Banque mondiale, et 18% des exportations de charbon et de blé, 14% des expéditions d’engrais et de platine, et 11% du pétrole brut.

Couper le monde entier d’une telle richesse en ressources naturelles, alors qu’il tente désespérément de se remettre du terrible impact de la pandémie, est une forme d’automutilation économique.

Certains risquent évidemment de souffrir plus que d’autres. Alors que l’on estime que la croissance économique diminuera fortement – jusqu’à 50% dans certains cas – dans les pays qui sont des moteurs de croissance régionale et internationale comme la Turquie, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, la crise devrait être beaucoup plus grave dans les pays qui se maintiennent au niveau de la simple survie économique, dont de nombreux pays africains.

Un rapport publié en avril par le groupe humanitaire Oxfam, citant l’appel de 11 organisations humanitaires internationales, alerte sur le fait que « l’Afrique de l’Ouest est frappée par sa pire crise alimentaire depuis une décennie ».

Actuellement, 27 millions de personnes souffrent de la faim dans cette région, un chiffre qui pourrait passer à 38 millions en juin si rien n’était fait pour enrayer la crise. Selon le rapport, ce chiffre représenterait « un nouveau niveau historique », car il s’agirait d’une augmentation de plus d’un tiers par rapport à l’année dernière.

Comme d’autres régions en difficulté, la pénurie alimentaire massive est le résultat de la guerre en Ukraine, en plus des problèmes préexistants, au premier rang desquels la pandémie et le changement climatique.

Alors que les milliers de sanctions imposées à la Russie n’ont eu, à ce jour, aucun effet sur elle, les pays pauvres ressentent déjà le poids de la guerre, des sanctions et du bras de fer géopolitique entre les grandes puissances.

L’Occident, occupé à gérer ses propres problèmes économiques, ne se préoccupe guère de ceux qui souffrent le plus. Alors que le monde est contraint d’opérer une transition vers un nouvel ordre économique mondial, il faudra des années aux petites économies pour s’y adapter.

Les vastes changements qui s’opèrent actuellement dans la carte géopolitique du monde sont un motif important de préoccupation. Mais cela ne doit pas nous faire oublier les millions de personnes affamées qui paient le prix d’un conflit qui ne les concerne pas.

1er mai 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet