La France est devenue l’une des plus grandes menaces à la liberté d’expression

Photo : Zakaria Abdelkafi
Policier français en pleine "action" contre des manifestants à Paris en 2018 - Photo : Zakaria Abdelkafi

Par Jonathan Turley

Il y a un peu plus d’un an, le président français Emmanuel Macron est venu aux États-Unis pour faire entrer deux espèces invasives à Washington. L’un était un arbre et l’autre la censure. Ironiquement, peu après la plantation de l’arbre, les autorités l’ont déterré pour le mettre en quarantaine. Cependant, l’espèce la plus dangereuse était son projet de censure, un projet qui a suscité les applaudissements enthousiastes de nos politiciens ineptes.

Nos politiciens aux États-Unis applaudissent Macron comme des idiots de village, mais la plupart des Américains sont de fervents partisans de la liberté d’expression. C’est dans notre sang. Cependant, Macron, que rien n’arrête, et d’autres en Europe, s’apprêtent à imposer un contrôle arbitraire de la parole sur Internet avec de nouvelles législations en France et en Allemagne. Si vous pensez qu’il s’agit d’une question européenne qui ne nous concerne pas, détrompez-vous.

Macron et son gouvernement veulent éliminer unilatéralement les contenus haineux sur Internet. Le Parlement français a adopté une nouvelle loi qui laisserait aux entreprises Internet comme Facebook et Google seulement 24 heures pour supprimer les propos haineux de leurs sites, sous peine d’une amende de 1,4 million de dollars par violation. Le vote final doit avoir lieu la semaine prochaine [1]. L’Allemagne a adopté une mesure semblable l’an dernier et a déjà imposé 56 millions de dollars d’amendes.

Les Français et les Allemands ont abandonné l’idée de convaincre les États-Unis de renoncer à leur liberté d’expression. Ils se sont rendu compte qu’il suffisait d’imposer des amendes écrasantes aux multinationales pour qu’elles soient forcées de censurer la parole selon des critères mal définis. Avec comme résultat probable la mutilation de l’invention qui a le plus favorisé la liberté d’expression dans l’histoire du monde. Tout cela se passe sans le moindre murmure d’opposition de la part du Congrès ou de la plupart des organisations de défense des libertés civiles.

La décision des Européens tombe en plein sur un angle mort de la Constitution des États-Unis. Le Premier Amendement est très efficace pour empêcher le gouvernement de restreindre la liberté d’expression, et la plupart des lois qui limitent la liberté d’expression en Europe seraient inconstitutionnelles aux États-Unis. Cependant, bien que protégés contre Big Brother, nous sommes démunis en face de Little Brother, composé de sociétés privées qui ont le pouvoir de censurer et contrôler les contenus en ligne dans le monde entier.

Les Européens savent qu’il est peu probable que ces entreprises se mettent à expurger du contenu dans certains pays seulement. Il va se passer la même chose qu’avec “l’exception californienne” : Tous les États américains sont soumis aux mêmes normes en matière d’émissions des véhicules au titre du Clean Air Act, mais la Californie a exceptionnellement obtenu le droit d’appliquer des normes plus strictes. Au lieu de fabriquer des voitures spéciales pour la Californie, les entreprises suivent les normes californiennes pour la conception des voitures. Les Européens savent donc que leurs normes de censure prévaudront non seulement dans leur pays, mais aussi aux États-Unis et ailleurs.

Les Européens se fondent aussi sur leurs succès antérieurs dans ce domaine. En 2013, un groupe d’étudiants juifs a utilisé les lois françaises pour poursuivre Twitter en justice et l’obliger à communiquer les noms de posters anonymes de commentaires jugés antisémites. À son crédit, Twitter s’est battu pour protéger l’anonymat, mais les tribunaux européens ont statué contre l’entreprise et, finalement, elle a cédé. L’anonymat disparaît au même rythme que la liberté d’expression dans ces pays.

Macron sait que la censure européenne va se métastaser sur Internet. La liberté d’expression est déjà bien réduite en Europe, et ces lois la criminalisent selon de vagues critères comme l’ “incitation” ou l’ “intimidation” fondée sur la race ou la religion. Par exemple, le créateur de mode John Galliano a été reconnu coupable par un tribunal français d’avoir tenu des propos antisémites contre au moins trois personnes dans un bar parisien. Lors de la détermination de la peine, la juge Anne Marie Sauteraud a lu la liste des injures dont Galliano a abreuvé Geraldine Bloch et Philippe Virgitti. “Il a dit ‘sale pute’ au moins mille fois,” a-t-elle dit explicitement.

Dans une autre affaire, le père de la candidate conservatrice française à la présidence, Marine Le Pen, a été condamné à une amende parce qu’il avait dit que les membres de la minorité rom “sentaient mauvais”. Une mère française a été poursuivie parce que son fils était allé à l’école avec une chemise portant la mention “Je suis une bombe”. Un Allemand a été arrêté pour avoir une sonnerie de portable avec la voix d’Adolf Hitler. Une politicienne conservatrice allemande a été placée sous enquête criminelle pour un tweet dans lequel elle accusait la police de vouloir amadouer “des bandes de violeurs barbares composées de hordes d’hommes musulmans” [2]. Même le ministre allemand de la Justice Heiko Maas a été censuré en vertu de ses propres lois pour avoir traité un auteur d’ “idiot” sur Twitter.

Le résultat de ces lois mal définies était prévisible. Un récent sondage a révélé que seulement 18 % des Allemands estiment pouvoir s’exprimer librement en public. Plus de 31 % ne se sentent même plus libres de s’exprimer librement en privé avec leurs amis. Seulement 17 % des Allemands se sentent libres de s’exprimer sur Internet, et 35 % disent que la liberté d’expression est limitée à de petits cercles privés. C’est tout à fait terrifiant et il faut vraiment s’en inquiéter.

Les Nations Unies ne cessent d’appeler à faire des discours de haine un crime international. Les nations musulmanes veulent que le blasphème soit reconnu comme tel, et Israël veut que l’antisémitisme soit criminalisé. Même dans notre propre pays, des politiciens comme Howard Dean et divers universitaires prétendent que les discours de haine ne sont pas protégés par le premier amendement. La sénatrice Frederica Wilson a demandé que des gens soient “poursuivis” pour s’être moqués de membres du Congrès. Un récent sondage a révélé que la moitié des étudiants aux États-Unis pensent que les discours de haine ne devraient pas être tolérés.

Il est extrêmement ironique et fort triste de voir la France prendre la tête de la croisade pour restreindre la liberté d’expression. Autrefois bastion de la liberté, la France est aujourd’hui devenue l’une des plus grandes menaces internationales à la liberté d’expression. Elle a même diligenté des enquêtes criminelles pour réprimer la presse libre [3]. Pendant des années, nous nous sommes contentés d’observer ces évolutions depuis notre côté de l’Atlantique en considérant cela comme un problème uniquement européen. Mais avec ces nouvelles lois, c’est devenu un problème mondial. Cette espèce invasive hautement nuisible est sur le point d’être lâchée sur le web dans le monde entier.

Notes :

[1] 9 juillet 2019 : adoption en première lecture à l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
[2] En s’adressant à eux en langue arabe : En Allemagne, la suppression du message anti-musulmans d’une responsable de l’extrême droite fait débat
[3] Affaire Benalla : Matignon a provoqué l’enquête sur les sources de Mediapart.

* Jonathan Turley est professeur de droit d’intérêt public à l’Université George Washington. Vous pouvez le suivre sur Twitter @Jonathan Turley.

6 juillet 2019 – The Hill – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet