Statut de Jérusalem : le vote des Nations Unis est “futile et sans aucune incidence”

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Des jeunes Palestiniens brandissent le drapeau palestinien devant la mosquée al-Aqsa dans le complexe Haram al-Sharif à Jérusalem-Est - Photo : Oren Ziv/Activestills.org
Zena TahhanLes dirigeants palestiniens ont salué le résultat d’un vote à l’ONU rejetant la reconnaissance unilatérale par les États-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël, la qualifiant de preuve d’un soutien international pour la “justice”.

“La communauté internationale a prouvé sans équivoque qu’elle ne sera pas intimidée ou soumise au chantage et que ses membres défendront l’état de droit mondial”, a déclaré Hanan Ashrawi, membre éminent de l’Organisation de libération de la Palestine, dans un communiqué.

Mais pour beaucoup sur le terrain, la résolution approuvée par l’Assemblée générale des Nations Unies n’était rien de plus qu’un acte symbolique.

“C’est un exercice inutile”, a déclaré à Al Jazeera Amany Khalifa, un militante politique de Jérusalem.

“L’Autorité Palestinienne (AP) doit réévaluer l’intérêt d’aller à l’ONU, l’expérience que nous avons est que depuis des décennies, ces résolutions n’ont jamais rien changé.”

Rompant avec des décennies de politique américaine [officielle] en faveur d’une solution à deux États, le président Donald Trump a déclaré le 6 décembre que Washington reconnaîtrait formellement Jérusalem comme la capitale d’Israël et entamerait le déplacement de son ambassade dans la ville.

La déclaration a porté un coup aux dirigeants palestiniens qui, pendant plus de deux décennies, ont tenté sans succès d’établir un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale.

Après qu’un veto américain au Conseil de sécurité de l’ONU ait bloqué, plus tôt cette semaine, le même projet de résolution, l’AP a décidé de porter la question à l’Assemblée générale où les résolutions sont juridiquement non contraignantes.

“Nous allons prendre des mesures politiques, diplomatiques et juridiques contre la déclaration de Trump concernant Jérusalem”, a déclaré Mahmoud Abbas, le chef de l’AP.

Mais Khalifa estime que “les seuls qui parlent encore de la solution à deux États sont les gens de l’AP”.

Il est “dans leur intérêt de maintenir ce genre de fadaises”, dit-elle. “S’ils ne le font pas, ils cesseront d’exister.”

L’Autorité palestinienne, qui gère certaines enclaves en Cisjordanie occupée, affirme que la seule réponse à ce conflit vieux de plus de 70 ans est l’établissement d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, à côté de l’actuel Israël [Palestine de 1948].

Mais depuis la signature des Accords d’Oslo en 1993, qui devaient conduire à la formation de cet État palestinien en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est, l’occupation israélienne de ces territoires n’a fait que s’intensifier, rendant difficile pour les Palestiniens une quelconque solution.

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Actuellement, entre 600 000 et 750 000 colons israéliens – soit 11% de la population israélienne – vivent dans les territoires occupés.

Gardés par des soldats israéliens lourdement armés, ils ont volé de larges pans de terres privées palestiniennes. Au moins 12 de ces colonies ont été construites autour et au cœur des quartiers palestiniens de Jérusalem.

Dans un tel contexte – alors que l’espoir de voir un jour Israël retirer ses colons s’amenuise chaque jour – certains disent qu’il est temps d’adopter une approche différente.

“Les gens vivent déjà dans la réalité des colonies et ils voient qu’une telle solution est impossible à réaliser sur le terrain”, a déclaré Khalifa.

“Nous devons accepter qu’il y a un État – le sioniste – et ensuite nous pouvons discuter de trouver d’autres moyens de résistance – ne pas nous cramponner à la solution à deux États”, ajoute-t-elle.

“Oslo nous a ruinés”

La signification religieuse de Jérusalem pour l’Islam, le Christianisme et le Judaïsme en fait par défaut plus qu’un problème local.

Pour beaucoup à l’extérieur, en particulier dans les pays à majorité musulmane, la déclaration de Trump concernant Jérusalem était scandaleuse. Depuis sa décision, il y a eu des rassemblements à travers les grandes villes à l’échelle internationale, avec des dizaines de milliers de personnes venues protester et exiger l’annulation de sa décision.

Des manifestations ont également eu lieu à travers les territoires palestiniens, à la suite des appels lancés par les dirigeants politiques, et au moins 10 personnes ont été assassinées par l’armée israélienne.

Cependant, ceux qui sont sur le terrain disent que la réponse n’a pas été aussi forte que les protestations plus populaires observées à Jérusalem en juillet contre l’installation de détecteurs de métaux par Israël à l’entrée de la mosquée Al-Aqsa.

“Si vous demandez aux jeunes de protester, ils vous diront: “Trump n’était pas une nouvelle pour nous”, comme l’a déclaré à Al Jazeera Maryam Barghouti, écrivaine et militante politique basée en Cisjordanie, après avoir assisté à un rassemblement mercredi, ajoutant que les manifestants sont pour la plupart affiliés à l’AP. “Il n’y a pas d’élan.”

Une raison à cela, dit Nora Sub Laban, une résidente de la vieille ville – qui héberge les principaux sites religieux de Jérusalem – est que la décision de Trump reflète une vérité déjà existante bien que douloureuse.

“Quand notre direction a dit qu’elle accepterait une solution à deux États, ce qui nous restait à dire, c’est qu’Oslo nous a ruinés. Nous sommes entourés de colonies de toutes parts et il ne nous reste rien de Jérusalem”, a déclaré à Al Jazeera Sub Laban, qui a soutenu une longue bataille juridique contre les colons israéliens qui voulaient prendre sa maison.

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Elle a expliqué que bien qu’elle ne croit pas à la division de Jérusalem pour un État israélien et un État palestinien, beaucoup ont perdu espoir et accepteront tout ce qu’ils peuvent obtenir.

“Nos revendications ont continué à diminuer au fil du temps et la communauté internationale a seulement laissé Israël se renforcer – de 1948 à aujourd’hui”, ajoute-t-elle, faisant référence à l’année de l’installation d’Israël, connue sous le nom de Nakba par les Palestiniens. 750 000 Palestiniens avaient été expulsés de force de leur patrie pour faire place à l’État juif.

Le cœur du conflit

La question de Jérusalem est au cœur du conflit depuis ses débuts.

Lorsque l’ONU a proposé de diviser la Palestine historique en États «juif» et «arabe» en 1947, Jérusalem devait rester sous le contrôle des Nations Unies en raison de son importance religieuse.

Mais un an plus tard, l’État [colonial] nouvellement créé s’empara de la moitié ouest de la ville et en déclara la propriété.

En 1967, Israël annexa la moitié orientale de la ville et la revendiqua comme faisant partie d’Israël – contrairement à la Cisjordanie, qu’elle occupe physiquement mais ne revendique pas [officiellement].

La majorité de la communauté internationale ne reconnaît pas la propriété israélienne sur Jérusalem. En conséquence, toutes les ambassades en Israël sont situées à Tel Aviv.

Malgré la position internationale, Israël n’a eu de cesse de renforcer son contrôle sur la ville.

En 2002, il a commencé à construire un mur de séparation qui isole Jérusalem des 3,1 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie occupée. Beaucoup n’ont pas pu entrer dans la ville depuis plus de 10 annéese et ont cessé de vouloir le faire, en raison des restrictions imposées par l’armée israélienne.

De plus, l’AP n’a aucune présence ou autorité sur la moitié est de la ville, où quelque 420 000 Palestiniens vivent dans des statuts fragiles et instables – n’étant ni des citoyens d’Israël, ni de la Palestine.

“La communauté internationale ne croit qu’aux droits des Palestiniens sur le papier – pas dans la réalité”, a déclaré à Al Jazeera Mohammad Abu al-Hummos, un militant affilié au Fatah à Jérusalem.

“Aucune décision prise contre Israël n’a été réellement appliquée sur le terrain”, a-t-il ajouté.

“Certains d’entre nous croyaient en la solution à deux États – et notre direction nous en a convaincus – mais malheureusement, si vous regardez la situation aujourd’hui, c’est une perte de temps.”

* Zena al-Tahhan est journaliste à Al Jazeera. Elle couvre principalement le monde arabe, avec une spécialisation sur les pays du Levant. Avant de rejoindre Al Jazeera, Zena était journaliste indépendante basée à Jérusalem. Suivez Zena Tahhan sur Twitter : @Zenatahhan

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21 décembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah