Israël est le modèle de la politique inhumaine du Royaume Uni à l’égard des réfugiés

Réfugiés tentant la très dangereuse traversée de la Manche - Dreamstime.com

Par Jonathan Cook

Il n’y a rien d’innovant ou d’humanitaire à la nouvelle politique de la Grande Bretagne qui prévoit d’envoyer les demandeurs d’asile, avec un aller simple, à des milliers de kilomètres en Afrique centrale.

Il n‘y a par ailleurs rien de surprenant quant au choix de la destination : le Rwanda. Le gouvernement de Boris Johnson n’a fait que copier tel quel un programme élaboré par Israël il y a huit ans.

Lorsqu’Israël a introduit la déportation des demandeurs d’asile au Rwanda en 2014, il l’a fait secrètement, car tout à fait conscient qu’il violait la Convention relative au statut des réfugiés de l’ONU de 1951 qu’il avait ratifiée.

Lorsque cette politique fut mise au jour, initialement le Rwanda essaya d’épargner la honte à Israël en niant son implication. Israël, a quant à lui prétendu faussement que les déportations se faisaient sur la base du volontariat.

Le gouvernement britannique s’est, au contraire, montré plus audacieux. Il a claironné son traitement des demandeurs d’asile similairement inique, faisant de l’obligation une caractéristique. D’après des rapports, le projet britannique va d’abord déporter les réfugiés, puis les forcer a demander l’asile au Rwanda. Si on le leur accorde, ils pourront rester au Rwanda. Dans le cas contraire, le Rwanda pourra les renvoyer de force dans le pays qu’ils ont fui.

Boris Johnson espère probablement que cette politique jouera en sa faveur auprès des électeurs britanniques à l’approche des élections locales, fatigués qu’ils sont des tromperies apparemment sans fin et du népotisme sans limite semble-t-il de son parti conservateur qui gouverne le pays. La semaine dernière le Premier Ministre britannique faisait partie de ceux qui ont été condamnés pour avoir enfreint les règles du confinement que son propre gouvernement avait fixées.

Sa cote de popularité déclinant, il se peut, toutefois, que Johnson ait été pris au dépourvu par le retour de bâton. L’Archevêque de Canterbury, Justin Welby, a condamné le plan rwandais dans une allocution du dimanche de Pâques, disant que ne pas assumer ses responsabilités vis-à-vis des réfugiés était « l’antithèse de la nature de Dieu. »

Mardi soir Johnson aurait attaqué Justin Welby et la couverture de la BBC dans une réunion des députés du parti Tory, les accusant d’être « moins véhéments » à l’égard de l’invasion russe de l’Ukraine qu’à l’égard du plan rwandais du gouvernement.

Voyage dangereux

Certains rejettent le plan du premier ministre comme étant sa dernière combine pour détourner l’attention de ses problèmes politiques. Mais ce serait fermer les yeux sur la confiance grandissante de la droite britannique de pouvoir traiter les demandeurs d’asile de façon inhumaine – notamment ceux qui ne sont pas blancs. Le gouvernement Johnson s’est même montré réticent à surfer sur une vague de sympathie en faveur de ceux en quête d’un refuge contre la guerre en Ukraine.

Le Parti conservateur amplifie les tendances anti-immigrés bien enracinées au RU – et s’inspire d’Israël qui a une longue expérience de transformation en un état forteresse.

Signe de la nécessité persistante de manifester un intérêt de pure forme pour les préoccupations humanitaires, le gouvernement Johnson a publiquement présenté la nouvelle politique d’asile comme une mesure pour empêcher les passeurs de mettre en danger la vie des réfugiés en leur faisant traverser la Manche à partir de la France dans des bateaux pneumatiques. Des dizaines de personnes sont mortes, dont au moins 27 qui se sont noyées en novembre dernier lorsqu’un seul bateau a chaviré.

Mais la réelle motivation de la Grande Bretagne – à peine déguisée – est la même que celle qui a poussé Israël à adopter cette politique. Elle veut se laver les mains de ses obligations légales à l’égard des réfugiés en externalisant sa responsabilité vers des pays bien plus pauvres dont les services peuvent être facilement achetés.

Aussi affreux que cela soit, il existe une ambition plus vilaine encore. Le RU comprend que le Rwanda, l’un des pays les plus densément peuplés et des plus pauvres d’Afrique, est peu susceptible de faire de sérieux efforts pour traiter les réfugiés avec dignité ou les réinstaller. Le but de la Grande Bretagne est d’en faire un exemple. Le mauvais traitement probable des réfugiés fait partie du plan, il a pour objectif de dissuader les autres de suivre leurs traces.

La Grande Bretagne essaie de faire comprendre que quiconque arrivant sur ses côtes ne sera pas accueil chaleureusement, ni ne bénéficiera de la justice britannique mais sera confronté aux mêmes conditions d’oppression qu’il/elle avait fui au départ. Le flou de cette politique – et savoir qui elle vise – est le point essentiel. Pourquoi entreprendre ce voyage onéreux et périlleux pour la Grande Bretagne s’il y a de fortes chances en fin de compte d’aboutir au point de départ ?

Johnson fait la démonstration que la Grande Bretagne post-Brexit a la liberté de se réinventer en tant que coin le plus hostile de l’Europe pour les réfugiés.

Dissidence écrasée

Le Rwanda est une destination idéale. Avec l’aide de dirigeants occidentaux comme l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair, le Rwanda a largement réussi à blanchir son image auprès des opinions publiques occidentales suite au génocide rwandais du milieu des années 1990.

Mais la plupart des Africains connaissent l’histoire de violation des droits humains au Rwanda et la corruption qui y règne depuis longtemps, et qui continuent depuis la fin du génocide. Malgré un récit simpliste de ces événements en Occident, des recherches plus récentes laissent à penser que les Tutsis n’ont pas été les seules victimes de violence. Il apparaît que des milices tutsies sous Paul Kagamé aient mené leurs propres opérations de nettoyage ethnique contre les Hutus.

Paul Kagamé occupe le poste de président depuis plus de 20 ans.

Absous de tout acte répréhensible, toutefois, Kagamé et son gouvernement ont échappé à un examen sérieux, les laissant largement libres de s’enrichir et d’écraser la dissidence.

Lewis Mudge, directeur de Human Rights Watch en Afrique centrale, a récemment fait la remarque suivante à propos du Rwanda : « La détention arbitraire, les mauvais traitements, et la torture dans les centres de détention officiels et non officiels sont courants, et les normes de procès équitable sont bafouées dans bien des cas. »

Soulager les pays riches de leurs demandeurs d’asile est une occasion lucrative pour les dirigeants du Rwanda. Une fois que les réfugiés auront atterri à Kigali, les responsables britanniques – tout comme leurs prédécesseurs israéliens – ne sont guère susceptibles de se soucier de la façon dont ils sont traités.

Comme cela s’est avéré avec le programme israélien, le Rwanda lui-même a peu d’intérêt à encourager les demandeurs d’asile à rester à l’intérieur de ses frontières. La vaste majorité des milliers de demandeurs d’asile déportés par Israël au Rwanda entre 2014 et 2017, sont rapidement repartis.

Ce fut gagnant-gagnant pour tout le monde sauf pour les réfugiés eux-mêmes, dont beaucoup se sont soit retrouvés à entreprendre un deuxième voyage périlleux en quête de sécurité soit à retourner à l’endroit même qu’ils avaient fui à l’origine.

Infiltrés illégaux

Comme d’autres gouvernements du nord, ceux d’Israël et de la Grande Bretagne ont en commun une aversion des demandeurs d’asile, préférant les peindre en « migrants économiques » illégitimes. Dans le cas d’Israël les réfugiés sont principalement considérés comme une menace pour la pureté ethnique du pays en tant qu’état juif. Et au Royaume uni, ils sont perçus comme prenant des emplois et diluant les prétendues valeurs britanniques qui ont à une époque fait du RU un empire mondial.

Israël et la Grande Bretagne se sont donnés beaucoup de mal pour s’isoler de la région à laquelle ils appartiennent. Cela leur a permis de contrôler plus facilement leurs frontières et tenir à distance les visiteurs indésirables.

Israël se perçoit depuis longtemps comme une forteresse ethnique, ses frontières étant protégées par des soldats, des barrières électroniques, des drones et des tours de guet. La Grande Bretagne quant à elle a pu tirer avantage de sa position géographique, en tant qu’ile forteresse protégée par la mer. Cette perception n’a fait que se renforcer avec le Brexit, la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne.

C’est pour cette raison, que la Grande Bretagne se tourne de plus en plus vers Israël pour trouver des idées sur la façon de juguler le « problème » des demandeurs d’asile. Israël a rapidement élaboré ce qui a été considéré comme des mesures de dissuasion contre les réfugiés fuyant les guerres et les tensions ethniques non loin de là au Soudan et en Érythrée.

En 2010, Israël a commencé à construire une barrière d’acier de 230 km le long de sa frontière avec l’Égypte, la seule porte d’entrée en Israël pour les demandeurs d’asile africains. Il a fallu trois ans pour la finir, mais cette barrière a réduit le flux de réfugiés de 10 000 par an à tout juste un filet.

Israël a adopté une approche tout aussi dure à l’égard des 55000 réfugiés déjà présents à l’intérieur de ses frontières. Tandis que les gouvernements européens ont estimé que 60% des demandeurs d’asile érythréens étaient légitimes, à l’aune de critères sévères, Israël n’a accepté qu’un pourcentage bien plus maigre de 1.5 % des demandes.

Plutôt, Israël a déclaré que les réfugiés étaient des « infiltrés » illégaux. Beaucoup d’entre eux furent emmenés de force à Holot, camp de rétention géant qu’Israël a construit pour eux dans le désert du Negev, malgré les jugements répétés de cours israéliennes selon lesquels emprisonner les réfugiés violait les propres lois israéliennes ainsi que le droit international.

Coincé entre son désir de se débarrasser des demandeurs d’asile et les jugements de ses tribunaux, Israël a secrètement accepté de payer le Rwanda et l’Ouganda pour qu’ils l’en soulagent. Les réfugiés avaient le choix entre la prison en Israël et la déportation.

Le monde y a prêté peu attention. Mais des reportages dans les médias israéliens ont suggéré à l’époque que Kigali avaient peut-être reçu des armes pour avoir pris des demandeurs d’asile indésirables – une nouvelle implication apparemment d’Israël dans la vente d’armes au Rwanda qui y a alimenté le génocide voilà presque trente ans. Des dissidents rwandais de premier plan ont eu leur téléphone infecté par un logiciel espion mis au point par la société israélienne NSO.

Liens secrets

La Grande Bretagne manipule également le système pour traiter les demandeurs d’asile en contrevenants à la loi. En présentant la politique la semaine dernière, Johnson a dit aux représentants des gardes côtes près de Douvres : « Quiconque entre au RU illégalement … peut maintenant être délocalisé au Rwanda. » Il a oublié de mentionner que pour ceux qui fuient la persécution, il est immanquablement impossible de trouver une voie légale pour entrer en RU.

Le RU a fait un versement initial à Kigali de 120 millions de livres. Mais le programme prévu pour cinq ans pourrait rapporter beaucoup plus au Rwanda car le coût de la délocalisation pour le RU est estimé à 30 000 livres par réfugié.

Il n’est peut-être pas surprenant que le principal débat officiel sur le projet ait rapidement dévié vers la question de sa « rentabilité ». Dans la correspondance publiée ce week-end, le haut fonctionnaire du Ministère de l’Intérieur a fait cette mise en garde : « la rentabilité de la politique dépend de son efficacité en tant qu’effet dissuasif. La preuve de l’effet dissuasif est très incertaine. »

La nouvelle politique de la Grande Bretagne est le revers du plan récent de la ministre de l’Intérieur Priti Patel qui prévoyait d’intercepter les bateaux de réfugiés traversant la Manche pour les repousser vers la France – un équivalent maritime de la barrière israélienne le long de la frontière du Sinaï.

Une telle politique allait être plus difficile à appliquer que la barrière électronique d’Israël, et même plus dure à défendre. Barrer la route à des bateaux pneumatiques au milieu de la Manche accentue le risque pour ces derniers de chavirer ou de couler.

Ainsi, le RU suit les traces d’Israël au Rwanda. Priti Patel l’a qualifié de pays « formidable » et a dit que d’autres pays européens envisageaient de faire de même avec leurs propres populations de réfugiés. Notamment, Frontex, l’agence de protection des frontières de l’Union Européenne, s’est tournée vers Israël ces dernières années en quête de conseils en matière de « sécurité des frontières ».

L’empreinte de Mme Patel sur le projet est flagrante. En 2017, elle fut rappelée d’une visite officielle en Afrique en qualité de ministre du développement international après qu’il fut révélé qu’elle avait mené des rencontres secrètes – à l’insu de son propre ministère – avec des responsables et lobbyistes israéliens. Elle fut obligée de démissionner. Toutefois, ces liens n’ont jamais été examinés comme il se doit.

Les groupes de défense des droits humains juifs et israéliens sont depuis longtemps choqués par les mauvais traitements persistants que réserve Israël aux demandeurs d’asile. Ils soulignent qu’Israël est une nation de réfugiés qui ont fui les persécutions européennes et que le jeune état d’Israël a même joué un rôle essentiel pour promouvoir la « Convention relative au statut des réfugiés » de 1951. Comment peut-il volontairement tourner le dos à ceux qui fuient la persécution aujourd’hui, demandent-ils.

Mais c’est mal comprendre ce que les fondateurs d’Israël étaient résolus à réaliser. Ils ont contribué à rédiger la Convention relative au statut des réfugiés tout de suite après avoir chassé plusieurs centaines de milliers de Palestiniens de leur patrie historique, les transformant en réfugiés du jour au lendemain.

Un état juif a toujours eu pour objectif d’être une forteresse ethnique, qui ne pouvait pas être partagée avec la population autochtone palestinienne. Les lois contre les « prétendus infiltrés » et contre l’immigration des non juifs ont été parmi les premières adoptées par le jeune parlement israélien.

De hauts responsables israéliens ont qualifié de « cancer » les demandeurs d’asile d’aujourd’hui. Leurs enfants – comme les enfants palestiniens en Israël – ne sont pas autorisés à fréquenter les écoles réservées aux élèves juifs. Avant qu’Israël ne commence à emprisonner et à déporter les demandeurs d’asile, des foules d’Israéliens attaquaient quiconque à l’air africain dans des villes comme Tel Aviv.

Relever le pont levis

La Grande Bretagne et d’autres gouvernement de droite populistes trouvent très attrayant ce modèle qui consiste à relever le pont levis. L’Australie, comme la Grande Bretagne, joui de l‘avantage géographique d’être une île, même si c’est une île considérablement plus grande et l’un des endroits à la plus faible densité de population au monde. Depuis 2013, Canberra renvoie les demandeurs d’asile en Papouasie Nouvelle Guinée ou sur le minuscule état-atoll de Naura.

La façon dont le premier monde traite les réfugiés est déjà une honte. Les pays en voie de développement accueillent 85 % des demandeurs d’asile, alors que les pays occidentaux n’en recueillent que 15%. Cette disparité ne peut que croître.

Le gouvernement Johnson tente actuellement de faire adopter un nouveau projet de loi sur l’immigration dont le but est de rendre encore plus difficile la demande d’asile pour les réfugiés – en criminalisant encore plus leurs efforts pour fuir les persécutions et les guerres pour les ressources initiées ou alimentées par des états occidentaux comme la Grande Bretagne.

Dans un monde où les ressources sont en voie d’épuisement en raison de la surconsommation occidentale, et confronté à un avenir économique en régression, les états privilégiés comme le Royaume Uni se préparent au pire. Israël a ouvert la voie depuis plus de sept décennies en créant le modèle d’état forteresse « défendu » par des barrières en béton et en acier imperméables, des centres de détention, par la ségrégation et une surveillance intensive.

Ces informations et l’expérience s’avéreront d’autant plus précieuses maintenant que d’autres états s’apprêtent à copier le modèle.

20 avril 2022 – Middle East Eye – Traduction: Chronique de Palestine – MJB