
22 septembre 2025 - Des équipes de la défense civile et des habitants transportent un Palestinien blessé hors des décombres après que des frappes aériennes israéliennes ont visé une maison appartenant à la famille Al-Shawa près du carrefour Samer dans la ville de Gaza, le 22 septembre 2025. Les rapports font état de plusieurs morts et blessés. La frappe a provoqué un incendie dans le bâtiment visé et détruit complètement une structure voisine. L'attaque s'est produite dans le cadre d'une vaste campagne israélienne de bombardements sur la ville de Gaza, forçant les habitants à fuir vers le sud - Photo : Yousef Zaanoun / Activestills
Par Maher Charif
« Gaza brûle. » Ces deux mots, lorsqu’ils ont été entendus pour la première fois ce mardi 16 septembre, ont été pris pour un cri d’alarme, mais ce n’était pas le cas.
C’était plutôt un cri de joie terrifiant. Par ces deux mots, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a confirmé ce qui était attendu depuis des mois : l’invasion terrestre de la ville de Gaza par l’armée israélienne.
Les images provenant de la bande assiégée montraient des civils fuyant sur des charrettes chargées de chaises, de sacs et d’enfants ; des hommes et des femmes s’enfuyaient vers le néant, laissant derrière eux des décombres, sans abri. Car personne dans la ville de Gaza, dont plus de 75 % de la superficie a été détruite, n’a de refuge. Rien ne justifie cette nouvelle attaque, horrifiante comme l’a décrite Londres. Face à cette offensive terrestre sur Gaza, initiée avec l’accord des États-Unis, la communauté internationale semble « paralysée ».
C’est ce qui a été publié dans l’éditorial du journal français « La Croix » mardi dernier, en commentaire sur l’attaque terrestre massive lancée par l’armée d’occupation contre la ville de Gaza, sans se soucier de la large condamnation internationale, y compris celle des Nations Unies, qui ont pour la première fois accusé Israël de commettre un « génocide » dans la bande de Gaza, à travers une commission d’enquête de l’ONU.
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a demandé la fin de ce « massacre », évoquant également des « preuves croissantes » d’un génocide.
Cette attaque semble avoir bénéficié du soutien de l’administration étasunienne, puisque le secrétaire d’État, Marco Rubio, a déclaré avant de quitter Israël mardi : « Les Israéliens ont commencé leurs opérations là-bas (dans la ville de Gaza) ; nous avons une faible chance de parvenir à un accord de cessez-le-feu », en faisant référence à « quelques jours, peut-être quelques semaines ».
Par ailleurs, Donald Trump a averti que le mouvement Hamas ferait face à un « gros problème » s’il utilisait les otages comme boucliers humains contre les forces israéliennes.
« Même l’enfer serait plus clément »
De jour, et parfois de nuit, à pied, en voiture, sur des charrettes tirées par des ânes ou dans des camions, des Palestiniens quittent la ville de Gaza en emportant quelques effets personnels, après des appels israéliens à l’évacuation.
Selon les images de l’AFP (l’Agence France-Presse) : « C’est comme le Jour du Jugement dernier ou l’enfer, mais même l’enfer serait plus clément », a crié Fatima Labad, 36 ans, qui a parcouru environ dix kilomètres à pied avec ses quatre enfants pour rejoindre Deir al-Balah, au centre de la bande, après avoir fui la ville de Gaza.
Elle a déclaré à l’AFP : « J’ai été obligée de dormir avec mes enfants dans la rue. »
Quant à Oum Ahmad Younès, 44 ans, elle rapporte qu’elle « ne peut pas payer le coût du transport, il n’y a pas de tentes, les prix sont exorbitants, la mort est moins chère. »
« Assez ! Nous voulons vivre, nous ne voulons pas mourir (…) Dites à Netanyahu que nous ne voulons pas mourir ! » a lancé Mohamed al-Danf depuis le lieu de l’attaque, alors que les habitants aidaient à rechercher des survivants sous les décombres ».
Quant à Riyad Rashwan, père de deux enfants vivant dans le quartier d’Al-Rimal dans la ville de Gaza, il a confié au journal « Libération » qu’il avait choisi de rester à Gaza malgré l’intensification des raids israéliens, car « le voyage était trop coûteux, et il ne savait pas où aller ».
Cependant, la situation s’est aggravée avec le début des opérations terrestres, quand « une panique générale s’est installée après que plusieurs bâtiments ont été bombardés dans la nuit de lundi à mardi ». C’est pourquoi Riyad Rashwan a rapidement trouvé la voiture d’un ami et a quitté la ville avec sa famille en direction de Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza.
« Il ne nous reste plus rien à prendre, nous avons tout perdu »
Deux enfants épuisés, entassés l’un sur l’autre à l’arrière d’une remorque en pleine nuit ; trois jeunes femmes courant pour attraper une caisse sur une petite camionnette sur laquelle des sacs ont été précipitamment empilés ; ces véhicules, aux toits encombrés, photographiés et publiés par la journaliste Salma Al-Qudumi le mardi 16 septembre, témoignent d’une nouvelle déportation forcée dans la bande de Gaza, et de l’expulsion de centaines de milliers d’habitants de la ville de Gaza, face aux opérations de l’armée israélienne.
Ceci est extrait d’un rapport réalisé par deux journalistes pour « France Info » le 18 de ce mois. La journaliste et photographe Salma Al-Qadumi, que « France Info » a contactée, vient de fuir avec son frère et ses trois enfants. Cette Gazaouie âgée de 35 ans a déclaré : « Les enfants de mes frères et sœurs ont été déplacés 23 fois » depuis le début de la guerre, et elle ajoute : « Je ressens une grande tristesse et beaucoup de douleur pour eux. »
Salma a communiqué avec les journalistes français par le biais de WhatsApp, décrivant dans des messages vocaux – en raison de la coupure d’Internet – un voyage qui a duré 20 heures entre le quartier de Tel al-Hawa, au sud de la ville de Gaza, et Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza ; un trajet qui ne dépasse pas 17 kilomètres, mais qui a été allongé à cause de l’ampleur des opérations d’évacuation. Elle confirme : « Normalement, ce trajet prend 30 minutes. »
La Palestinienne a fui avec son frère et ses enfants au son des drones et des bombardements israéliens ; un exil périlleux dans une tentative, une fois de plus, de trouver une lueur d’espoir. « L’évacuation a été extrêmement dangereuse ; les enfants de mes frères pleuraient à cause du bruit intense, l’un d’eux était épuisé par le voyage mais ne pouvait pas dormir. »
A notre arrivée à Deir al-Balah, « nous avons vu des foules et un espace limité pour installer des tentes », rapporte-t-elle, tout en soulignant la grande difficulté d’accès à l’eau dans la région en raison du nombre élevé de déplacés. « Vous avez de la chance si vous en trouvez un peu. » La situation y est moins dangereuse que dans la ville de Gaza, mais « Deir al-Balah n’est pas une zone sûre ; il y a des bombardements continus », affirme-t-elle.
Quant à Safa, une étudiante de 21 ans, sur le point de quitter la ville de Gaza, elle déclare : « Que peux-tu emporter avec toi lorsque tu es obligée d’évacuer environ dix fois en deux ans ? »
Elle ajoute en pleurant : « En réalité, il ne nous reste plus rien à emporter après avoir tout perdu. Notre maison a été bombardée, et maintenant nous sommes forcés de fuir vers le sud. Nous n’avons nulle part où aller. »
Il y a quelques jours, un raid aérien israélien a visé son quartier, tuant deux de ses frères, Mohamed et Thaer, âgés respectivement de 20 et 40 ans, ainsi que son neveu Mansour, âgé de 10 ans, lors de ce raid ; leurs visages ornent désormais sa photo de profil WhatsApp.
Son dernier message envoyé à nos équipes était un cri de désespoir : « La situation ici est trop grave pour être décrite avec des mots. »
« Des enfants déchirés en lambeaux »
Abou Abd Zaqout, devant les décombres d’un bâtiment frappé par une attaque nocturne dans le quartier Al-Tuffah à Gaza, déclare : « Nous avons sorti des enfants déchirés en lambeaux. »
La famille Zaqout rapporte la mort de 23 de ses membres lors de ce raid. « Il y avait environ 50 personnes à l’intérieur, dont des femmes et des enfants, et je ne comprends pas pourquoi ils ont bombardé », a-t-il dit avec émotion.
Alors que des hommes peinaient à extraire un corps des débris de béton, le bruit des drones israéliens persistait. Maysaa Abou Jomaa, 38 ans, commente : « Notre mort est proche, comme celle des autres habitants. »
Ibrahim Al-Beshiti, 35 ans, habitant au sud de la ville, déclare : « Nous avons très peur, beaucoup de gens autour de nous sont partis, et nous ne savons pas ce qui nous attend. »
Après avoir entendu des explosions durant la nuit, il est sorti dans son quartier, Al-Sabra, pour voir une scène de chaos, il ajoute : « Nous avons entendu des cris venant de sous les décombres d’un bâtiment détruit. »
À l’ouest de la ville de Gaza, l’armée d’occupation a détruit la tour Al-Ghafari, l’un des plus hauts immeubles de la ville. Osama Abou Hasira commente sa destruction : « Ils nous ont informés de leur intention de démolir la tour, alors nous sommes partis », il nie les allégations de l’armée d’occupation selon lesquelles les bâtiments sont ciblés parce qu’ils sont utilisés par des combattants du Hamas.
« Autour, tout est gris, les passants regardent avec stupéfaction ce spectacle horrible, une mer de décombres à perte de vue. »
Alors que la ville de Gaza brûle, Netanyahu délire sur une « grande Sparte »
Benyamin Netanyahu a pris la décision d’une invasion terrestre de la ville de Gaza, malgré l’opposition des chefs de l’armée d’occupation et une large condamnation internationale, car il souhaite maintenir Israël en état de guerre permanent.
La veille du lancement de l’opération d’invasion, il a déclaré qu’il voulait faire d’Israël une « grande Sparte », en référence à la cité-État militaire de la Grèce antique, célèbre pour son organisation militaire, sa discipline, et l’obéissance stricte de ses habitants à l’autorité ainsi qu’à sa hiérarchie sociale, dans laquelle tous ne jouissaient pas des mêmes droits, certains étant même asservis.
Une analyse publiée sur le site « France Inter » estime que Benyamin Netanyahu cherche à transmettre trois messages à travers son désir de « reproduire la société spartiate qui existait il y a 2500 ans », et ce « alors qu’Israël vit dans un état de guerre permanente depuis près de deux ans, la plus longue période de conflit de son histoire ».
Le premier message est que « l’état de guerre représente une partie d’un processus à long terme ; la guerre n’est plus un moment exceptionnel entre des périodes normales, comme c’était le cas auparavant (si on fait abstraction de l’occupation des territoires palestiniens), mais elle est désormais un état permanent. De plus, à l’image de Sparte, c’est une économie de guerre, comprenant une relative autosuffisance dans la production d’armes. »
Les second message est « un message conscient d’isolement, un message d’autosuffisance », car Benyamin Netanyahu a averti ses concitoyens qu’Israël devra supporter cet isolement international relatif. Il a fait référence aux critiques croissantes venant d’Europe, qu’il attribue à l’immigration musulmane et à la propagande du Qatar et de la Chine sur les réseaux sociaux.
Le troisième message consiste à s’armer de « l’esprit spartiate » pour faire face aux critiques extérieures en disant « non » à la reconnaissance d’un État palestinien de la part de la France et d’autres pays connus pour leur longue collusion avec Israël, « non » aux possibles sanctions européennes contre Israël — une éventualité discutée à Bruxelles —, « non » au comité d’experts des Nations unies qui a conclu qu’un génocide est en cours dans la bande de Gaza, et « non » aux pays arabes, y compris ceux signataires des accords d’Abraham, qui se sont réunis lors d’un sommet après l’attaque au Qatar.
Ils s’inquiètent pour l’avenir d’Israël, mais demeurent indifférents à celui des Palestiniens !
De nombreux Israéliens et adversaires politiques de Benyamin Netanyahou, qui manifestaient déjà avant le 7 octobre 2023 contre les projets « non libéraux » de Netanyahou et sa coalition messianique de droite, considèrent que la référence à Sparte constitue une « dérive autoritaire », et que l’appel à la « militarisation de la société » de cette manière ravive la peur d’une érosion de la « démocratie ».
Mais, tout comme Netanyahu, ils nient les droits nationaux du peuple palestinien et ne se soucient ni de sa souffrance ni de son avenir.
L’ancien Premier ministre Ehud Barak a commenté les déclarations de Netanyahu en disant : « Il est frappé de folie ; une super Sparte est la fin du pays, économiquement, politiquement et militairement. C’est assurément un autre Israël qui se construit dans ces guerres sans fin, et qui n’a rien à voir avec l’Israël des pères fondateurs. »
Quant au chef de l’opposition Yair Lapid, il a déclaré dans un communiqué : « L’isolement n’est pas une fatalité, c’est le résultat d’une mauvaise politique, une politique ratée de Netanyahu et de son gouvernement, qui ont transformé Israël en un pays du tiers-monde, sans faire le moindre effort pour changer cette situation. »
Le président du parti « Les Démocrates », Yair Golan, a exprimé sa colère en disant : « Netanyahu félicite les citoyens d’Israël pour la nouvelle année : pour protéger mon siège, j’ai besoin d’une guerre éternelle et d’isolement, et vous sacrifierez tous l’État, l’économie, l’avenir de vos enfants et leur lien au monde. »
Il a ajouté : « Notre réponse à cet homme méprisable : cette année, nous vous remplacerons et sauverons Israël. »
Selon le président de l’Association des industriels d’Israël, Ron Tomer, Netanyahu « a dit ouvertement ce que nous ressentons et ce contre quoi nous avons mis en garde : l’image commerciale d’Israël, synonyme de créativité, de demande et de succès, a été gravement ternie dans le monde entier. » Il a considéré que « l’autosuffisance sur le marché serait une catastrophe pour l’économie israélienne et affecterait la qualité de vie de chaque citoyen. »
Quant au « Collectif de la high-tech israélienne » il s’est demandé dans un communiqué : « Est-ce la vision du Premier ministre ? Revenir aux vendeurs d’oranges ? »
Le Forum des affaires israélien, qui représente 200 des plus grandes entreprises du pays a déclaré dans un communiqué : « Nous ne sommes pas Sparte », ajoutant que les politiques de Netanyahu conduisent le pays « vers un gouffre politique, économique et social, un gouffre qui menace notre existence en Israël. »
De son côté, Arnon Bar-David, leader du syndicat Histadrout, a protesté en disant : « Je ne veux pas être Sparte… Nous méritons la paix ; la société israélienne est épuisée, et notre position dans le monde est très faible. »
Les principaux indices de la Bourse de Tel Aviv ont chuté d’environ 2 % en quelques minutes seulement après le discours du Premier ministre, avant de récupérer environ la moitié de cette perte plus tard dans la journée.
Conclusion
En invoquant Sparte, Benyamin Netanyahou transforme l’isolement international qu’Israël subit à cause de la guerre génocidaire dans la bande de Gaza en une « vertu héroïque : une nation assiégée, mais invincible grâce à sa résistance », qui doit « accélérer l’autosuffisance et la militarisation de l’économie » ; à ce propos, un conseiller du Likoud plaisante : « Athènes, c’est l’Europe, avec ses sanctions et sa morale, et nous choisissons Sparte : produire, combattre, survivre ».
Quant au professeur Efraim Inbar, expert stratégique à « l’Institut d’études de la sécurité nationale », il explique : « Sparte signifie survivre par la force et l’autosuffisance », et il ajoute : « Netanyahu dit : nous n’avons pas besoin du monde ; nous sommes une forteresse imprenable ; ce discours a un double objectif. D’abord, mobiliser un peuple épuisé par la guerre, puis faire face à la pression internationale ».
Auteur : Maher Charif
* Maher Al-Sharif est un historien palestinien, docteur d'État en lettres et sciences humaines de l'université de la Sorbonne-Paris I. Il est chercheur à l'Institut d'études palestiniennes, chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient, Beyrouth, professeur à temps partiel au département d'histoire et de relations internationales de la faculté des lettres et sciences humaines de l'université Saint-Joseph de Beyrouth.
Ses recherches portent sur l'histoire de la Palestine moderne et contemporaine et sur le conflit arabo-sioniste, ainsi que sur l'histoire de la pensée arabe moderne et contemporaine. Il a publié des dizaines de livres, d'études et d'articles sur ces sujets.
19 septembre 2025 – The Palestine Studies – Traduction de l’arabe : Chronique de Palestine – Fadhma N’Soumer
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