Erdoğan a fini par tomber le masque

Dans la Turquie d'Erdogan, la répression est omniprésente. Ici une foule de manifestantes face à des policiers turcs bloquant leur passage lors de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, à Istanbul, le 25 novembre 2018 - Photo : Dilara Şenkaya via HRW

Par Abdel Bari Atwan

Pour quelles raisons Erdoğan tourne-t-il le dos à ses anciens alliés ?… interroge Abdel Bari Atwan.

La lune de miel entre Recep Tayyip Erdoğan et le Mouvement de la résistance islamique en Palestine occupée (Hamas) semblent toucher à sa fin, alors que le président turc accélère la normalisation des relations (avec l’entité sioniste). Les deux pays tournent une nouvelle page – ou plutôt en rouvrent une ancienne – dans leurs relations, qui sera officialisée lors de la visite du président israélien Isaac Herzog à Ankara à la tête d’une importante délégation les 9 et 10 mars.

Le quotidien officiel turc Hurriyet a rapporté mardi que le gouvernement d’Erdoğan est en pourparlers avec plusieurs pays depuis plus d’un an et demi pour accueillir des membres du Hamas actuellement basés en Turquie, notamment des responsables de l’aile militaire. Le mouvement aurait été informé de la décision de relocalisation.

Le nouvel allié stratégique de la Turquie, Israël, a ordonné le retrait de tous les éléments du Hamas du territoire turc comme condition à une normalisation complète des relations – à commencer par Saleh al-‘Arouri, chef adjoint du mouvement et responsable des opérations militaires [de la résistance] en Cisjordanie.

Il a quitté Ankara et se déplace désormais secrètement entre Téhéran, Beyrouth et Doha.

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Le Dr Ibrahim Kalin, principal conseiller d’Erdoğan, a entamé mercredi une visite de deux jours en Palestine occupée à la tête d’une délégation comprenant le vice-ministre des affaires étrangères Sedat Onal, afin de préparer la visite du président israélien à Ankara et sa rencontre en tête-à-tête avec Erdoğan.

La délégation turque fera également un voyage symbolique à Ramallah et rencontrera l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas… histoire de sauver les apparences.

Erdogan, qui a “gelé” les activités des Frères musulmans égyptiens dans son pays et muselé les chaînes de télévision d’opposition égyptiennes basées à Istanbul, veut maintenant imposer les mêmes restrictions, voire davantage, au mouvement Hamas et à ses membres.

Il a peut-être acté l’échec de son projet d’islamisme politique et de renaissance impériale ottomane (sauf en Syrie) et décidé de tendre la main aux gouvernements qui méprisent et persécutent l’islam politique en Égypte, aux Émirats arabes unis, en Israël et bientôt en Arabie saoudite.

Alors que l’islam politique était l’une des cartes exploitées par Erdoğan et son parti pour accéder au pouvoir il y a vingt ans, il s’ouvre de plus en plus aux ennemis jurés de ce credo, en Orient comme en Occident.

Son revirement et ses alliances politiques actuelles sont entièrement motivés par son besoin d’échapper à l’aggravation des crises économiques successives qui ont fait chuter sa cote de popularité et celle de son parti.

Le soutien d’Erdoğan au Hamas et aux Frères musulmans était plus rhétorique que pratique. Il n’a jamais fourni une seule balle ou un seul dollar au mouvement de résistance islamique en Palestine occupée – contrairement à l’Iran, au Hezbollah ou à la Syrie, et même à l’armée égyptienne, qui, sous le mandat de l’ancien président Hosni Moubarak, a fermé les yeux sur une grande partie de la contrebande d’armes du Hamas vers la bande de Gaza.

Pendant et après le massacre de la flottille du Mavi Marmara, au cours duquel les forces spéciales israéliennes ont assassiné 12 militants turcs qui tentaient de briser le blocus de la bande de Gaza, 70 vols quotidiens ont été assurés entre Israël et la Turquie et les échanges commerciaux entre les deux pays ont continué à se développer de manière remarquable tout au long de la période de prétendue tension des relations.

Les revirements politiques d’Erdoğan, associés à son occupation active des territoires syrien et irakien, lui coûteront une grande partie du soutien dont il bénéficiait autrefois parmi les peuples arabes et musulmans et pourraient également lui faire perdre les élections présidentielles et parlementaires de l’année prochaine, sans lui faire gagner d’alliés à l’Est ou à l’Ouest.

18 février 2022 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine