C’était Shuja’iyya …

Photo : Doaa Albaz, via Mondoweiss

Par Tareq S. Hajjaj

Ville de Gaza : le quartier de Shuja’iyya comptait autrefois 120 000 habitants; il a aujourd’hui été rayé de la carte.

Le samedi 2 août, l’armée israélienne s’est retirée de la partie ouest du quartier d’al-Shuja’iyya. L’un des plus grands quartiers de la ville de Gaza, al-Shuja’iyya comptait environ 120 000 habitants.

Le dernier ordre d’évacuation de la zone remontait à avril 2025, marquant la septième invasion du quartier depuis le début de la guerre.

À mesure que l’armée israélienne se retirait, les habitants ont commencé à retourner dans leurs anciennes rues à Shuja’iyya pour voir ce qui restait de leurs maisons.

À leur arrivée, il n’y avait plus rien…

J’ai commencé à chercher frénétiquement sur Internet des photos de mon ancien quartier, dans l’espoir de reconnaître ma maison et de m’assurer que la partie qui était encore debout avant la rupture du cessez-le-feu était toujours là.

Les premières photos que j’ai vues provenaient de comptes israéliens, qui publiaient avec jubilation les images de la destruction massive causée par leur armée à Gaza.

Puis les photos de mes voisins et de mes amis ont commencé à arriver. Tout n’était plus que décombres.

J’ai commencé à appeler les membres de ma famille à Gaza pour leur demander qui allait retourner voir notre maison, mais ils m’ont répondu que c’était encore trop dangereux et que l’armée israélienne prenait pour cible les habitants avec des drones quadricoptères qui survolaient le quartier.

J’ai appelé quelques voisins et amis, dans l’espoir de trouver quelqu’un qui était déjà sur place et qui pourrait m’envoyer une photo pour me rassurer. Pendant que j’attendais, je me sentais comme un père qui avait perdu son fils.

Lundi, un de mes voisins m’a dit qu’il y allait quand même. Je ne pouvais pas lui demander d’y aller juste pour moi, car cela aurait signifié lui demander de risquer sa vie. Mon neveu m’a dit que Muhammad Talb, âgé de 33 ans, s’était rendu sur place et m’a demandé de l’appeler si j’avais besoin de le questionner.

Je l’ai fait et je lui ai parlé pendant une minute au téléphone. Il m’a dit qu’il était en route et je lui ai demandé de prendre une photo de ma maison. Il est mon voisin depuis toujours, depuis le jour où je suis né.

Une heure plus tard, j’ai rappelé, mais son téléphone était hors service. J’ai imaginé une centaine de raisons possibles dans ma tête, pensant qu’il n’avait peut-être pas eu le courage de me dire que ma maison avait disparu. Ou peut-être qu’il pleurait sur les ruines de sa propre maison et qu’il avait besoin d’être seul.

Pour une raison quelconque, je ne pensais pas qu’il ait pu être tué, même si c’était la chose la plus logique à supposer.

Quelques heures plus tard, mon neveu m’a dit qu’un drone israélien l’avait pris pour cible et l’avait tué alors qu’il allait voir comment était sa maison.

Après cela, je ne pouvais plus rien demander à personne.

Il ne restait plus rien

Le lendemain, d’autres vidéos postées par des voisins sur les réseaux sociaux sont apparues sur mon fil d’actualité, mais tout ce que je pouvais voir, c’étaient des pâtés de maisons rasés et des tas de décombres. Je ne trouvais aucune maison encore debout.

Et il n’y avait pas que les maisons : les rues étaient complètement creusées, les arbres brûlés et même les terrains vagues avaient été rasés au bulldozer.

Ameer Shaiah, l’un de mes voisins, a publié quelques vidéos de notre quartier, mais rien n’était reconnaissable. Il n’y avait que des décombres partout, dans toutes les directions. Je lui ai parlé.

« As-tu vu ma maison ? »

« C’est un tas de décombres, Tareq. Il ne reste plus une seule maison debout. »

Je ne le croyais pas. « Tu as bien regardé ma maison ? » Il m’a répondu qu’il n’avait pas traversé la rue où se trouvait ma maison, mais m’a assuré que toutes les maisons avaient été rasées.

Un autre voisin a publié une vidéo sur les réseaux sociaux. Je me suis empressé de l’appeler, car s’il arrivait chez lui, il passerait devant chez moi et pourrait me donner des nouvelles.

« Comment est ma maison ? » lui ai-je demandé sans même prendre le temps de le saluer.

« Place ton espoir en Dieu », m’a-t-il répondu. Je ne voulais pas y croire tant que je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. Je lui ai demandé s’il avait une photo ou une vidéo. Il m’a envoyé une vidéo dans laquelle on pouvait voir une partie de ma maison.

Je l’ai regardée, les mains tremblantes. La porte de ma maison était encore debout. Tout derrière était en ruines.

Cette scène a ravagé une partie de mon âme que j’avais enfouie dans ma mémoire. Je me suis demandé pourquoi la porte était toujours debout et je me suis donné plusieurs réponses. Peut-être attendait-elle toujours le retour de ses habitants. Ou devait-elle rester debout pour témoigner de tous nos souvenirs ?..

La même porte que j’avais franchie à toute vitesse chaque fois que j’avais une bonne nouvelle à annoncer à ma famille : mon diplôme, mon enthousiasme lorsque j’avais trouvé un bon emploi, mon bonheur lorsque j’avais fondé une famille. La même porte qui avait été témoin de mon évacuation en octobre 2023…

La porte était recouverte d’un jasmin planté par mes défunts parents. À l’intérieur de cette maison, j’avais écouté des centaines d’histoires de mon père sur les difficultés qu’il avait rencontrées pour la construire et sur la façon dont ma mère avait aidé à transporter les pierres et le sable du rez-de-chaussée au premier étage afin que les ouvriers puissent terminer leur travail plus rapidement.

Ma famille a vécu sur le sable pendant des années jusqu’à ce que mon père puisse terminer la construction.

En un clin d’œil, Israël a détruit une maison vieille de 55 ans, soit presque plus de la moitié de son âge en tant qu’État, me laissant des souvenirs qu’une vie entière ne suffirait pas à effacer.

Tout comme les villes de Rafah et Beit Hanoun, al-Shuja’iyya n’existe plus. L’armée israélienne rase systématiquement chaque partie de Gaza, cherchant à en effacer jusqu’à la moindre trace.

11 août 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine

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