America First ou Israël First ? Trump va-t-il rejoindre Netanyahu dans sa guerre contre l’Iran ?

13 juin 2025 - Vue d'un immeuble d'habitation endommagé dans la capitale iranienne, Téhéran, à la suite d'une attaque israélienne - Photo : Fatemeh Bahrami / AA

Par Daniel Levy

Daniel Levy, ancien négociateur israélien, analyse les motivations de Netanyahu et les raisons pour lesquelles le mouvement MAGA de Trump se trouve dans un moment charnière.

Il n’est pas surprenant qu’Israël, dans le cadre de sa énième « guerre existentielle », bombarde des zones civiles iraniennes pour y engendrer le chaos. Dans cette nouvelle agression israélienne non provoquée, le principe de base est qu’il n’y a pas de règle internationale qui fasse la distinction entre les combattants et les civils (ce qui ne signifie pas pour autant que les adversaires d’Israël fassent toujours la distinction, mais eux sont sanctionnés par les puissances occidentales quand ils ne la font pas tandis que l’État hébreu est applaudi).

C’est Israël qui a inventé le terme « doctrine Dahiya » (du nom d’un quartier de Beyrouth) pour décrire le crime qui consiste à terroriser une population civile urbaine. Cette doctrine est désormais appliquée à Téhéran.

Il n’est pas surprenant non plus que la chaîne de télévision iranienne ait été la cible de frappes (une des spécialités de l’armée israélienne à Gaza est d’assassiner des journalistes). Mais on n’est pas en Palestine, ni à Gaza.

L’objectif d’Israël n’est pas d’éradiquer la population iranienne pour ensuite s’installer dans le pays. Sachant cela et sachant aussi que l’argument d’Israël, selon lequel il n’avait pas d’autre choix que d’agir maintenant, n’a aucun fondement puisqu’il n’y a pas la moindre preuve que l’Iran constituait une menace immédiate ou qu’il était en train de développer son programme d’enrichissement nucléaire, nous devons chercher l’explication de cette agression et de son timing ailleurs.

Pourquoi maintenant ?

L’Iran, comme on peut s’en rendre compte actuellement, a la capacité d’infliger beaucoup de dégâts à Israël, mais il l’a fait uniquement parce qu’il a été attaqué (comme cela est arrivé aussi l’année dernière à une plus petite échelle).

Depuis le lancement par Israël de sa campagne génocidaire contre les Palestiniens, le choix de l’Iran de rester sur la touche a fait les gros titres : on estimait généralement que le « leader de l’Axe de la Résistance » n’était pas un facteur contraignant pour Israël.

Les considérations politiques intérieures, surtout quand il s’agit du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de ses calculs personnels et politiques, sont toujours un bon point de départ pour comprendre les décisions d’Israël.

Netanyahu a épuisé son capital politique et, bien qu’il ait réussi à stabiliser son gouvernement, sa coalition est en proie à des crises répétées et il est en très mauvaise position dans les sondages depuis 20 mois. Israël se prépare déjà à entrer en campagne à l’approche des élections de l’automne prochain, et peut-être même beaucoup plus tôt.

Compte tenu de l’importance qu’Israël accorde à la menace iranienne, alimentée depuis des décennies par Netanyahu lui-même, et compte tenu du sentiment de succès engendré par la décapitation et la neutralisation du Hezbollah, l’agression contre l’Iran était l’une des dernières et des plus spectaculaires cartes politiques que Netanyahu pouvait encore jouer.

C’est quelque chose que Netanyahu a menacé de faire pendant des décennies, mais à quoi il avait fini par renoncer.

Toutefois, ses calculs politiques sont plus désespérés aujourd’hui, et il pourrait bien avoir conclu que tout progrès supplémentaire dans les négociations américano-iraniennes menées sous l’égide d’Oman fermerait la porte à cette option pour de bon, ou au moins jusqu’aux prochaines élections israéliennes.

Netanyahu espérait que les frappes contre les installations nucléaires et les sites de lancement de missiles iraniens ainsi que contre le leadership militaire et civil-scientifique, ajoutés à la vague d’opérations d’espionnage et de sabotages technologiques réussis, seraient non seulement considérées comme un succès national, mais lui servirait de tremplin pour gagner les prochaines élections.

Peut-être que le système israélien se berce d’illusions en pensant qu’il peut provoquer un changement de régime en Iran, mais il espère certainement provoquer l’effondrement total de l’État iranien, le chaos, et la fragmentation de l’Iran – comme cela a été fait en Libye ou en Syrie, mais à plus grande échelle.

C’était un pari parce que Netanyahu et le système israélien savaient que cela ne serait pas une partie de plaisir – que l’Iran avait la capacité de répondre. L’euphorie de la première nuit d’attaques a généré un consensus qui a réconcilié l’éventail politique sioniste. Mais cette unité est désormais menacée par plusieurs nuits d’attaques iraniennes ayant atteint des sites militaires et civils israéliens.

Il faut savoir que le ton en Israël a changé, notamment parmi les analystes politiques et la communauté du renseignement, qui admettent désormais que, si Israël a infligé de lourds dommages à l’Iran, il n’est probablement pas près de mettre hors d’état de nuire les installations d’enrichissement nucléaire et les sites de lancement de missiles iraniens.

Des doutes émergent également quant à la capacité d’Israël à endurer les frappes de représailles de Téhéran (pour dire les choses simplement, le seuil de tolérance à la douleur et la résilience économique des deux pays sont très différents).

Le consensus est rare en Israël, mais dans le camp sioniste, il y a une quasi-unanimité pour dire que tout dépendra d’un facteur essentiel : la participation directe des États-Unis à la campagne militaire israélienne. Ce facteur déterminant ne concerne pas seulement l’équilibre des forces ; il est également perçu par Netanyahu comme son ticket électoral.

Netanyahu et le système israélien sont en train de se rassembler autour de cet unique objectif : attirer Trump dans le conflit.

Que va faire Trump ?

Le défi pour Israël d’entraîner les États-Unis dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient est d’une tout autre ampleur que celui de tromper l’administration Trump au cours des six derniers mois.

Étant donné que l’équipe Trump avait si peu d’expérience, de connaissance ou de profondeur de vue sur ce dossier (et pas seulement celui-ci), il était relativement facile de truquer les cartes pour faire échouer ces négociations, comme cela avait été le cas à Gaza.

Tout d’abord, Israël a tenté d’imposer le modèle libyen, offrant à l’Iran la perspective peu alléchante d’une capitulation totale, suivie d’une intervention militaire pour garantir de toute façon un changement de régime.

Plus efficace encore a été la tentative de remplacer les négociations fondées sur les droits de l’Iran en matière d’enrichissement nucléaire civil limité, garantis par le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), par des négociations exigeant un zéro enrichissement.

Cela a contribué à créer un sentiment d’impasse dans les négociations, ce qui a probablement incité Trump à donner son feu vert à l’attaque israélienne afin de pousser l’Iran à se réengager davantage selon les conditions américaines. Ayant ainsi dupé l’équipe Trump, Netanyahu a lancé sa stratégie de précipitation du conflit, en partant du principe qu’il pouvait persuader son plus grand allié de s’associer à lui.

Cette stratégie – et tout ce qui en découle – est désormais en jeu. Trump doit choisir entre mettre fin à la guerre, s’y joindre ou, en tergiversant et en ne prenant pas de décision, se laisser prisonnier de circonstances imprévisibles et des machinations de Netanyahu.

Ne vous y trompez pas, si Trump insiste pour qu’Israël mette fin à cette situation, c’est ce qui se passera. Et il a de bonnes raisons de le faire, qu’il s’agisse de l’équilibre politique au sein du monde MAGA et de sa base de partisans, des répercussions économiques ou du potentiel des aventures militaires encouragées par Israël au Moyen-Orient pour faire dérailler des présidences entières.

Netanyahu est en pleine campagne médiatique, non seulement pour obtenir des livraisons supplémentaires d’armes américaines et un soutien diplomatique et économique, mais aussi parce qu’il est déterminé à faire de ce conflit la guerre des États-Unis. La campagne de Netanyahu dans les médias américains est peu subtile. Israël utilisera tous les leviers et toute son influence pour obtenir ce résultat à Washington.

Mais cela ira beaucoup plus loin. Netanyahu a plus d’un tour dans son sac, notamment des provocations de plus en plus graves visant à susciter une réaction iranienne qui renforcerait la perspective d’une intervention militaire américaine.

La plus évidente serait que l’Iran ou des groupes armés soutenus par l’Iran s’en prennent directement à des intérêts américains, ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’à présent.

Dans une situation aussi explosive, il existe également un risque d’opérations sous faux pavillon. Un acte de subterfuge israélien (faire passer une attaque contre un objectif américain pour une attaque iranienne) ne peut être exclu.

Israël pourrait obtenir le même résultat si la réaction politique iranienne à l’agression illégale d’Israël générait une riposte américaine – par exemple, si l’Iran expulsait les inspecteurs de l’AIEA de ses installations nucléaires ou se retirait du Traité de non-prolifération (mesures apparemment envisagées).

Et, bien sûr, il est possible qu’à un moment donné, l’Iran change sa position traditionnelle et décide que l’aventurisme récent d’Israël l’oblige à se doter de l’arme nucléaire, ce qu’il a jusqu’à présent évité de faire.

Si les États-Unis et l’Iran décident de reprendre les négociations, Netanyahu et ses partisans affirmeront qu’il s’agit d’une démonstration de faiblesse de la part de l’Iran et qu’Israël doit être autorisé à « terminer le travail ».

Car plus cela durera, plus deux facteurs supplémentaires entreront en jeu.

Premièrement, des facteurs circonstanciels, des événements fortuits – par exemple, s’il y a des victimes parmi les citoyens américains lors des frappes iraniennes contre Israël.

Deuxièmement, si cette situation perdure, avec le temps et l’intervention active des États-Unis pour soutenir Israël sur le plan défensif, ainsi que la fourniture éventuelle d’armes nouvelles et plus destructrices, et à mesure que la mort et la destruction s’accumulent en Iran, il deviendra de plus en plus intenable sur le plan politique pour l’Iran de prétendre qu’il ne combat qu’Israël.

Comme à Gaza, il s’agit probablement déjà d’une guerre américaine (cet excellent fil de discussion de l’analyste Mouin Rabbani développe ce scénario).

À bien des égards, c’est un moment décisif pour le mouvement MAGA : s’agit-il d’un mouvement qui donne la priorité aux États-Unis ou à Israël ?

Décentrer le génocide israélien à Gaza

Quelle que soit l’issue de cet appel, et parallèlement à la souffrance déjà infligée à la partie iranienne, Israël peut presque certainement se targuer d’une nouvelle victoire importante dans l’ouverture de ce nouveau front : il a décentré la cruauté quotidienne encore infligée aux Palestiniens et a affaibli la contestation contre le génocide de plus en plus transparent dont il se rend coupable.

Pour l’instant, du moins, la saisie illégale du navire Madleen Freedom Flotilla et les mauvais traitements infligés à Greta Thunberg et ses compagnons, l’abomination des principes de l’aide humanitaire que constitue la Gaza Humanitarian Foundation, et le bilan quotidien de dizaines de morts à Gaza retiennent moins l’attention.

Ce à quoi nous venons d’assister, c’est Israël qui a commis un acte d’agression illégal contre l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Iran, bafouant une fois de plus la Charte des Nations unies et son appartenance à cette organisation. Cet acte a été perpétré par un État reconnu comme possédant des armes nucléaires et non membre du TNP, contre un État membre du TNP et dépourvu de force de dissuasion nucléaire.

Les frappes militaires israéliennes ont également violé les dispositions relatives à la protection des infrastructures nucléaires, qualifiées par le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, de grave violation de la sécurité nucléaire, entraînant un risque de contamination radiologique.

Pourtant, les partisans occidentaux d’Israël sont de retour dans leur zone de confort, décrivant non pas le danger que représente le programme nucléaire actuel d’Israël, mais la menace nucléaire potentielle de l’Iran à l’avenir, et proclamant le droit d’Israël à se défendre alors que c’est lui l’agresseur.

La dernière déclaration du G7 montre à quel point les dirigeants occidentaux sont déconnectés de la réalité et de la plupart des pays du monde.

En d’autres termes, ils se complaisent dans le rôle d’Israël en tant que victime, reprenant à leur compte les discours et les arguments israéliens, comme ils l’ont fait non seulement pendant les décennies d’occupation illégale et de régime d’apartheid imposés aux Palestiniens, mais aussi pendant ces longs mois de famine, de déplacements et de crimes de guerre incessants à Gaza.

L’opinion occidentale va-t-elle adhérer à cette idée ? Les sondages montraient déjà que le soutien et la sympathie du public envers Israël en Europe occidentale avaient atteint leur plus bas niveau jamais enregistré par YouGov.

Même aux États-Unis, un sondage réalisé en avril montre que l’opinion des républicains de moins de 50 ans a radicalement changé au cours des trois dernières années, 50 % d’entre eux déclarant avoir une opinion négative d’Israël, contre 35 % en 2022 (les chiffres parmi les électeurs démocrates – par opposition aux élus – montrent systématiquement des opinions défavorables à Israël et un soutien aux sanctions).

Beaucoup ont refusé de détourner les yeux de Gaza, et d’autres y reviendront.

Pendant ce temps, Israël a déployé encore plus de forces dans la Cisjordanie occupée, imposé un siège sur la région et isolé toutes les villes palestiniennes, les plaçant chacune sous couvre-feu.

Ainsi, les tentatives visant à présenter Israël comme un allié digne de confiance plutôt que comme un État voyou ne trompe plus personne parmi un nombre croissant de citoyens.

Il est trop tôt pour savoir si ce dernier acte criminel et arrogant constituera le moment où Israël ira trop loin et provoquera enfin le changement de cap dont il a désespérément besoin.

La voie sur laquelle s’est engagé le pays ne pourra jamais apporter le bien-être ni la sécurité aux populations de la région, ni aux Israéliens eux-mêmes. Que ce soit à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, en Iran, en Syrie ou au Liban, les actions d’Israël sont celles d’un État extrémiste, dont le programme est déstabilisateur, radicalisant et révisionniste.

C’est peut-être même le moment où davantage d’Israéliens prendront conscience de la voie suicidaire sur laquelle s’est engagé leur gouvernement.

Le droit international et la responsabilité doivent être appliqués de manière équitable et universelle, comme le préconise le nouveau Groupe de La Haye. Un cessez-le-feu doit être imposé non seulement immédiatement, mais aussi de manière globale, et surtout pour Gaza.

17 juin 2025 – Zeteo – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet & Lotfallah

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