Abbas et la farce de la démocratie palestinienne

Photo : Thaer Ganaim
Mahmoud Abbas prononce un discours lors de la cérémonie de passation de la présidence du Groupe des 77, au siège des Nations Unies à New York, États-Unis, le 15 janvier 2018 - Photo : Thaer Ganaim

Par Yara Hawari

Depuis son accession à la présidence de l’Autorité palestinienne (AP) en 2005, Mahmoud Abbas a dominé la scène politique palestinienne en consolidant son emprise sur diverses institutions tout en contenant les partis et figures de l’opposition.

Outre la scission entre le Hamas et le Fatah, qui constitue une formidable pierre d’achoppement pour la politique intérieure palestinienne, cela a laissé peu de place à la démocratie et à la participation politique populaire. En effet, Abbas vient d’entamer une deuxième décennie post mandat électif de président de l’AP.

En décembre 2018, lors d’une réunion de la commission exécutive de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Abbas a annoncé un nouvel arrêt de la Haute Cour constitutionnelle (CSC) se prononçant pour la dissolution du Conseil législatif palestinien (CLP) de l’AP et la tenue d’élections dans les six mois. Le lendemain, le Hamas a rejeté cette décision, déclarant qu’elle n’était pas constitutionnelle et que ni Abbas ni le CSC n’étaient autorisés à dissoudre le CLP. Au lieu de cela le Hamas a réclamé une élection présidentielle, et des élections au CLP ainsi qu’au Conseil national palestinien – l’organe législatif de l’OLP.

Ce mois-ci, Abbas a déclaré que les élections législatives n’auraient lieu que si elles incluaient Jérusalem-Est. Pourtant, le régime israélien actuel a clairement indiqué qu’il n’autoriserait jamais une telle activité politique palestinienne à Jérusalem, car cela remettrait en question la prétention israélienne à la souveraineté sur la ville entière. Saeb Erekat, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP et négociateur en chef, a déclaré que la dissolution du CLP s’inscrit dans la phase de transition de l’AP vers l’Etat ; il est même allé jusqu’à prôner des élections générales pour une assemblée constituante de l’Etat palestinien. Mais cela aussi est peu probable dans un contexte de fragmentation politique.

Sachant cela et sachant probablement que le Hamas contesterait cette décision, pourquoi Abbas et ses alliés ont-ils décidé de dissoudre le PLC ? Il est important de noter que le Hamas a dominé le CLP depuis les élections de 2006 ; il détient 76 sièges sur 132, alors que le Fatah n’en détient que 43. Toutefois, depuis la scission entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie, le CLP est resté inactif et le processus législatif de l’AP en stagnation. Abbas gouverne de plus en plus par décret présidentiel en l’absence d’un pouvoir législatif effectif. La dissolution du CLP permettrait à Abbas de consolider davantage son pouvoir en transférant une grande partie du processus décisionnel au Conseil Central de l’OLP, au sein duquel le Hamas n’est pas représenté. De cette façon, Abbas peut augmenter la pression politique sur le Hamas.

La Loi fondamentale (pratiquement la Constitution) contient également une clause stipulant que si le président n’est pas en mesure de remplir son rôle (c’est-à-dire s’il meurt), le président du CLP assume la fonction pendant 60 jours avant une élection générale. Le président actuel du CLP est Aziz Duwaik, membre du Hamas.

Il est également probable qu’Abbas ait voulu faire baisser la pression de la communauté internationale en faveur d’une démocratisation des institutions et des processus politiques de l’AP. Par cette initiative, Abbas peut imputer au Hamas, qui réfute la légitimité de la dissolution du CLP, et à Israël, qui n’autorisera pas d’élections à Jérusalem-Est, la responsabilité d’un manque de démocratie (et d’unité).

Entre-temps, la confiance des Palestiniens dans le système politique continue de s’amenuiser, en particulier chez les jeunes. L’AP est de plus en plus critiquée pour sa corruption, sa répression de l’opposition et son incapacité à tenir tête à Israël, qui continue de renforcer son occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza et à appliquer des mesures punitives collectives à tous les Palestiniens. Cela a créé une situation dans laquelle il est impossible que s’épanouisse un système politique palestinien. Israël emprisonne fréquemment des personnalités politiques palestiniennes, dont certaines, comme Marwan Barghouti et Khalida Jarrar, purgent de longues peines de prison. En outre, les politiques d’Israël visent à affaiblir et à diviser le mouvement de libération palestinien. Dans l’ensemble, Israël a créé une situation en Cisjordanie et à Gaza où, pour la plupart des Palestiniens, l’impératif de la survie l’emporte désormais sur l’organisation et la participation politiques.

Accroître l’espace démocratique

* Il est clair que l’Autorité palestinienne ne pourra obtenir la libération de la Palestine et qu’elle ne sera pas en mesure d’établir une quelconque souveraineté palestinienne. La réforme et la relance des institutions de l’OLP doivent être considérées comme prioritaires par ceux qui, au sein de la direction, cherchent à démocratiser la politique palestinienne. L’accent doit être mis sur la décentralisation du pouvoir et de la gouvernance au sein de l’OLP, ce qui réduirait l’emprise de l’Autorité palestinienne sur le projet global de libération de l’OLP. Dans le cadre de ce processus, des mécanismes crédibles de responsabilisation verticale et horizontale doivent être mis en place.

* Les élites politiques de Cisjordanie et de la Bande de Gaza exercent un rôle influent au sein de l’appareil de sécurité ; cette confusion doit être corrigée car elle a entraîné une augmentation des mesures autoritaires et sécuritaires contre les activités politiques qui remettent en cause le statu quo.

* Il est nécessaire que la société civile et les militants palestiniens dans toute la Palestine historique et la diaspora réclament des dirigeants démocratiquement élus, responsables et représentatifs. Ce doit être un appel collectif assorti de mesures visant à protéger ceux qui sont vulnérables à la répression et au harcèlement de la part des forces de sécurité.

* La communauté internationale doit intensifier ses efforts pour faire pression sur le régime israélien afin qu’il respecte les droits des Palestiniens. Il s’agit notamment de permettre aux processus démocratiques palestiniens de se dérouler à Jérusalem-Est dans le respect du droit international.

* En outre, la communauté internationale doit cesser d’encourager la domination d’un parti ou d’une faction politique du fait de son refus de toute relation avec le Hamas et d’autres organisations et la catégorisation de la majorité des partis politiques palestiniens d’ “organisations terroristes”. Elle doit se montrer prête à reconnaître une direction palestinienne unifiée où tous les partis et factions sont représentés.

29 janvier 2019 – al-Shabaka – Traduction: Chronique de Palestine – MJB