Une société ne se réveille pas génocidaire un matin d’octobre

16 décembre 2025 - Les Palestiniens pleurent la mort d'Ammar Yasser al Ta'amra, 16 ans, lors de ses funérailles dans le village de Tuqu', au sud de Bethléem, en Cisjordanie. Il a été tué hier par l'armée israélienne lors d'un raid sur le village - Photo : Mosab Shawer / Activestills

Par Marie Schwab

Une société ne se réveille pas génocidaire un matin d’octobre. Une société ne se découvre pas subitement l’envie de se filmer en train de danser sur fond d’images de petits corps démembrés.

Avant de prendre ses enfants par la main pour aller détruire des caisses de lait maternisé en poussant des cris de joie, il faut avoir baigné dans une culture de la haine et de la peur. Il faut avoir été élevé dans le culte victimaire et le sentiment de supériorité. Avoir la certitude d’être au-dessus du droit, et partager avec ses alliés une longue histoire coloniale de déshumanisation de l’autre.

En novembre 2023, l’occupant savait qu’il pouvait, sans aucune conséquence, abandonner des prématurés dans des couveuses après avoir enlevé ou exécuté le personnel soignant. Un collectif d’une centaine de médecins israéliens savait qu’il pouvait appeler au bombardement des hôpitaux, sans aucun inconvénient.

L’occupant a appris au cours de décennies d’impunité qu’il pouvait tout se permettre. Les Palestiniens ont appris la résistance. Quant à l’Occident, il n’a rien appris.

L’Occident a choisi, année après année, de considérer les Territoires palestiniens occupés comme territoires souverains israéliens, et les Palestiniens comme un obstacle.
L’Occident a choisi, année après année, de renouveler le blanc-seing donné à l’oppression, à la dépossession, à l’occupation militaire. De placer l’occupant au-dessus de la loi et de le soutenir dans chaque violation du droit. Au nom de quoi ?

Depuis des décennies, dans les discours et les esprits, des pseudo valeurs telles que la « civilisation », le « droit de se défendre », la « guerre contre le terrorisme » se sont substituées aux notions les plus basiques du droit international et des Conventions de Genève. « Israël » a été érigé au rang de valeur en soi. Mais que défend donc l’Occident en soutenant Israël ? Le suprémacisme, la négation d’un peuple ? La violence et la cruauté brutes ? L’éternelle distorsion des faits et des principes ?

Depuis des décennies, sous les yeux complaisants du monde, une entité étrangère armée s’arroge en Palestine le droit de couper les routes, de déraciner les arbres et d’arrêter chez elle toute une population. Depuis des décennies, une entité étrangère armée s’arroge en Palestine le droit de décréter que les maisons de tout un peuple se trouvent dans une zone militaire interdite.

Entre 2000 et 2023, sous les yeux complaisants du monde, 20 000 Palestiniens ont été assassinés par l’occupant en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem-Est. Au 6 octobre 2023, 47 enfants avaient été assassinés dans l’année en Cisjordanie.

Depuis des décennies, même les rares soldats israéliens ayant le courage de parler des exactions dont ils ont été témoins dans les Territoires occupés – devenant ce faisant des parias dans leur propre société – ne peuvent s’empêcher de continuer à désigner les Palestiniens que par un seul terme, celui de « terroristes ».

Depuis des décennies, un jeune infirmier israélien, tout juste diplômé, qui se saisit du bâton qu’on lui tend et entre dans une cellule pour battre l’homme qui gémit, recroquevillé au sol, est convaincu de faire son travail.

Dans une telle société, un Netanyahou n’est pas une erreur de casting, mais le premier ministre ayant le plus longtemps occupé ce poste. Non une aberration monstrueuse, mais le miroir d’une société raciste et suprémaciste. Une société qui ne considère pas ses actes comme des crimes, mais comme une source de satisfaction et de fierté.

« Dans la société israélienne, la cruauté et le sadisme sont devenus un but en soi », résume l’analyste palestinien Mouin Rabbani. « Israël ne commet pas seulement un génocide, Israël commet un génocide avec allégresse. En affirmant à la fois qu’il en a le droit et que rien de ce qu’on voit n’est vrai. »

Aujourd’hui, la différence entre les fascistes au pouvoir et ceux qui croient appartenir au centre libéral est très ténue.

Dans cette société, les gens descendent en masse dans les rues pour protester contre une réforme judiciaire, certains de se battre pour sauver la démocratie – sans voir qu’il ne peut y avoir de démocratie dans un système d’apartheid et de nettoyage ethnique.

« Israël vit dans le déni depuis des décennies. Les Israéliens dénient l’occupation, ou plus exactement, l’occupation est pour eux un phénomène normal et légitime. Israël vit dans le déni depuis sa création, depuis le mythe de la terre sans peuple », expose le journaliste israélien Gideon Levy.

Les premiers Israéliens ont préféré ne pas voir que leurs maisons étaient bâties sur les ruines encore fumantes des villages palestiniens. Ils ont préféré penser qu’il était naturel et essentiel d’aller massacrer les bébés palestiniens, leurs parents et leurs grands-parents, dans leurs villages de Deir Yassin et al-Majdal, Tantura et Beit Jiz.

« La plupart des Israéliens ne savent pas ce qui s’est passé durant la Nakba, et ceux qui le savent n’éprouvent aucune compassion, et n’ont aucune compréhension de ce que cela révèle sur eux-mêmes, sur leur Etat et leur mouvement idéologique. Israël a utilisé le génocide progressif et le nettoyage ethnique par paliers bien avant octobre 2023 », remarque l’historien israélien Ilan Pappé.

Dès les années trente, les futurs dirigeants de l’État d’Israël tenaient des propos aux connotations largement fascistes et eugéniques, préfigurant la stérilisation forcée massive des Falashas.

Citons Chaim Weizmann, futur premier président d’Israël : « La Palestine ne peut absorber les Juifs d’Europe. Nous voulons que les meilleurs de la jeunesse nous rejoignent. Nous voulons uniquement des gens instruits en Palestine afin d’enrichir la culture. Les autres Juifs doivent rester là où ils sont et faire face au sort qui les attend. Ces millions de Juifs ne sont que poussière sur les roues de l’histoire et ils peuvent se faire emporter par le vent. Nous ne voulons pas qu’ils inondent la Palestine. Nous ne voulons pas que Tel Aviv devienne un autre ghetto misérable. »

David Ben Gourion, futur premier ministre : « Traitez-moi d’antisémite, mais je dois dire que je suis saisi de honte par ce qui se passe en Allemagne, en Pologne (…) Nous n’appartenons pas à ce peuple juif. Nous ne voulons pas être ce genre de Juifs. »

De leur côté, Menachem Begin et Yitzakh Shamir ont été chefs de milices terroristes sionistes responsables de pogroms et d’attentats avant d’être élus premiers ministres. (Betar puis Irgoun pour le premier, Lehi-Stern pour le second.)

«  L’Europe aime à croire qu’il y a des Juifs en Israël qui pensent autrement. Malheureusement il n’y a pas de groupe significatif qui penserait différemment en Israël », constate Ilan Pappé.

« Tous les candidats alternatifs à Netanyahou soutiennent le génocide, le nettoyage ethnique, l’apartheid, l’occupation, pas un seul n’a soutenu la reconnaissance même purement symbolique d’un Etat de Palestine », remarque Gideon Levy.

A Gaza disparue, les Palestiniens organisent leur survie. Jour après jour, des équipes exhument des corps de cours d’hôpitaux transformées en charniers géants. Jour après jour, on extrait des corps et encore des corps de sous les gravats de maisons devenues des tombeaux familiaux.

Les parents enveloppent dans un geste désespéré leur enfant dans une couverture mouillée, priant pour qu’il survive à une nouvelle nuit de froid et de vent dans une tente inondée. Les médecins, eux-mêmes une déchirure, continuent de soigner sans moyens des enfants que la vie abandonne parce que leur corps n’a pas pu se contenter de 600 calories par jour pendant deux ans.

« La campagne génocidaire israélienne a fabriqué une réalité à laquelle nos corps affamés ne peuvent survivre », écrit l’écrivaine Eman Abu Zayed. « Après tout ce que nous avons enduré, il est clair que nous ne pourrons pas survivre à un troisième hiver dans des conditions aussi hostiles. »

A nous de tout faire pour que les plaintes et les cris des enfants de Gaza ne deviennent jamais un bruit de fond ordinaire. A nous de confronter chacun de nos élus, de nos voisins, de ceux que nous considérions comme nos amis, au fait qu’au regard de leur indifférence, la seule chose qu’ils pourront dire à leurs enfants et à leurs petits-enfants, ce n’est pas « je ne savais pas », mais « je n’en avais rien à faire ».

Je voudrais terminer par une pensée pour les centaines de combattants de la liberté piégés dans les tunnels à Rafah. Ils sont assassinés par dizaines, loin des yeux du monde. Ces exécutions sommaires sont autant de violations éhontées du cessez-le-feu. Parmi les résistants assassinés se trouvent le fils de Bassem Naim et celui de Ghazi Hamad, qui ont dans une certaine mesure accordé leur confiance à l’occupant en signant l’accord de cessez-le-feu.

Bassem Naim, qui avait déjà perdu un premier fils, son petit-fils et sa mère durant le génocide, vient de renouveler la proposition sans cesse réitérée depuis 2006 par le Hamas d’une trêve de 10 ans qui pourrait inclure le gel des armes.

Bizarrement, ceux qui ne jurent que par la « solution à deux Etats », tout en permettant à l’un d’annexer l’autre, n’ont pas jugé utile de saluer cette proposition.

15 décembre 2025 – Transmis par l’auteure.

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