
Octobre 2024 - Équipes de l'UNRWA administrant des vaccins contre la polio dans une école de l'UNRWA à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza - Photo : UNRWA
Par Al-Mayadeen
Avec la quasi-totalité des écoles détruites à Gaza, les enfants palestiniens ont en commun des souvenirs indélébiles, des sentimenst de pertes profondes, mais aussi leur espoir inébranlable d’apprendre.
Avec près de 97 % des écoles de Gaza détruites ou endommagées dans le génocide israélien, quelque 600 000 enfants palestiniens entament aujourd’hui leur troisième année sans éducation formelle.
Trois élèves et un enseignant ont partagé leur expérience avec The Guardian, évoquant à la fois les pertes qu’ils ont subies et leurs espoirs pour l’avenir.
Juwayriya Adwan, 12 ans, originaire d’al-Mawasi, Khan Younis, n’a pas vu l’intérieur d’une vraie salle de classe depuis deux ans. S’adressant au Guardian, elle a confié à quel point elle aspire à retrouver la routine simple de la vie scolaire.
« Cela fait deux ans que je n’ai pas entendu la cloche du matin à l’école Khawla Bint al-Azwar, que je ne me suis pas assise à mon bureau et que je n’ai pas levé la main pendant mon cours préféré », se souvient-elle.
Bien que la poussière de craie, les copeaux de crayon et les échos des rires restent vivaces dans sa mémoire, son école n’existe plus.
« Elle a été bombardée par les Israéliens peu après le début de la guerre », explique-t-elle. « Mes livres ont été brûlés et certains de mes amis ont été tués. »
« Trésors d’un monde perdu »
Juwayriya se souvient du 7 octobre, le dernier jour où elle est allée à l’école, comme si c’était hier. « J’étais en cinquième année… Ce matin-là, les sirènes d’alerte aérienne ont retenti dans les couloirs. Certains enfants pleuraient, d’autres se tenaient fermement la main. Notre enseignante a essayé de nous calmer, mais même sa voix tremblait. »
Ce qu’elle espérait être une journée normale d’enseignement et de jeux s’est rapidement transformé en un tournant traumatisant. « Je me souviens avoir souhaité passer une journée normale : des cours, une récréation, une récitation de poèmes. Au lieu de cela, cette journée est devenue la dernière page de mon ancienne vie. »
Aujourd’hui, Juwayriya vit dans un refuge surpeuplé avec ses parents, ses deux frères et sa sœur. « Les parois de la tente claquent au vent, ne protégeant ni du froid ni de la chaleur. Nous faisons la queue pour obtenir de l’eau et de la nourriture. L’électricité est un rêve, et l’intimité n’existe pas. L’espoir paraît fragile. »
La nuit, elle regarde les étoiles et se demande si ses amis voient le même ciel. « Certains m’envoient des messages quand ils le peuvent, me disant que l’école leur manque et qu’ils ont conservé leurs anciens cahiers, comme des trésors d’un monde perdu. Je me sens coupable parce que j’ai perdu tous les miens. »
« La perte la plus difficile à accepter est l’absence d’éducation »
Juwayriya, qui rêvait autrefois de devenir enseignante, aspire désormais à devenir journaliste. « Je veux raconter nos histoires de peur et de faim, mais aussi de courage. Car même ici, au milieu de la mort et des ruines, nos voix refusent de se taire. »
Quand elle parvient à étudier, c’est souvent en ligne ou dans de petites tentes où des bénévoles enseignent. « Les cours sont courts, il y a des coupures d’électricité ou les frappes aériennes recommencent, mais dans ces moments-là, je me sens vivante. Je me souviens de qui j’étais : la fille qui aimait les calculs et la poésie, qui croyait que l’éducation pouvait changer le monde. »
Elle pleure les pertes plus générales, en disant : « La guerre a pris tellement de choses : nos maisons, nos écoles et nos familles. J’ai perdu mon oncle, sa femme et leurs enfants. J’ai perdu ma belle ville, Rafah, qui n’est plus qu’un tas de décombres aujourd’hui. Mais la perte la plus dure de toutes est l’éducation, car c’est la perte de l’avenir lui-même. »
Le message de Juwayriya au monde est clair : « Ne laissez pas nos rêves mourir. Nous ne voulons pas de pitié, nous voulons des actions. Les enfants de Gaza méritent des livres, des écoles et la sécurité. L’éducation n’est pas un luxe, c’est un droit fondamental. Gaza n’est pas seulement la destruction ; ce sont des enfants qui continuent de rêver sous les drones la nuit. C’est mon histoire et je continuerai à l’écrire, même si tout ce qui me reste est un crayon cassé et un morceau de papier déchiré. »
« L’éducation est devenue un acte de défi »
Naglaa Weshah, enseignante palestinienne de 40 ans, enseigne à Gaza depuis plus de dix ans, à Khan Younis, Deir al-Balah et maintenant dans le camp d’al-Bureij. « Avant le début de la guerre, j’enseignais à six classes d’environ 40 élèves chacune, soit près de 240 jeunes esprits qui tous rêvaient apprendre. »
Elle se souvient de la joie que lui procurait l’enseignement : « Leur enseigner était ma raison d’être et ma joie de vivre, et je me souviens encore de l’étincelle dans les yeux d’un élève lorsqu’il comprenait une nouvelle idée ; le genre de moment qui fait le bonheur de tout enseignant. »
La classe de Naglaa était animée et interactive.
« J’ai toujours pensé que l’apprentissage devait être plein de vie. Ma classe était un espace de jeu, d’art et de mouvement. Nous dessinions des cartes, mettions en scène des événements historiques et transformions les leçons en histoires. Les rires remplissaient toujours la salle, la curiosité ayant remplacé la peur. Oui, même avant la guerre, les enfants de Gaza avaient toujours peur. Ma classe était un lieu sûr, mais après le 7 octobre, tout a changé. »
Son école est devenue un refuge pour les familles fuyant les bombes et a rapidement été détruite. « Il ne reste pratiquement plus aucune école debout à Gaza aujourd’hui. Depuis deux ans, rien n’est plus normal. La guerre a détruit tous les aspects de notre vie : notre sécurité, nos maisons, nos écoles, nos rêves. La peur et le chagrin sont nos compagnons permanents. »
Beaucoup de ses anciens élèves ont été tués, tandis que ceux qui restent sont confrontés à la faim, au déplacement forcé et à l’épuisement.
« Parfois, quand Internet le permet, j’ai des nouvelles de certains d’entre eux. Ils m’envoient des messages pour me demander : ‘Est-ce que ça va, professeur ?’ Nous échangeons quelques mots, de courtes leçons, de minuscules étincelles de connexion au milieu du chaos. Ils me demandent si les choses reviendront un jour à la normale. Je leur réponds que je ne sais pas. »
L’enseignement se poursuit partout où cela est possible
Dans toute la bande de Gaza, l’enseignement se poursuit partout où cela est possible, dans des tentes, des salles de classe endommagées ou des abris surpeuplés. « L’éducation est devenue un acte de défi, une façon de dire : ‘Nous sommes toujours là.’ Et tant que nous continuerons à apprendre, nous resterons. »
Naglaa constate également l’impact sur ses propres enfants. « Ils passent leurs journées à faire la queue pour avoir de l’eau, à chercher de la nourriture ou à ramasser du bois. Leur enfance a été remplacée par la survie. Je leur rappelle, comme je le rappelle à mes élèves, que la connaissance est une force et qu’un jour, ils retourneront dans leurs salles de classe. »
Elle garde espoir et déclare : « Malgré des pertes inimaginables, je continue de croire au pouvoir de l’enseignement. Je rêve du jour où les écoles de Gaza seront à nouveau remplies de rires, où les cours ne seront plus interrompus par les bombardements et où chaque enfant pourra à nouveau penser à l’avenir. Jusqu’à ce que ce jour arrive, je continuerai d’enseigner autant que je le peux, malgré la peur, les décombres et l’obscurité, car l’éducation est notre seul espoir. »
« Trop jeune pour être la survivante d’un génocide »
« J’avais sept ans quand la guerre a éclaté. Ce matin-là, le 7 octobre, j’étais assise dans ma classe, en train d’apprendre les mathématiques. Je me souviens avoir serré mon crayon très fort quand la première explosion a secoué l’école. J’ai eu l’impression que mon cœur s’était arrêté », a déclaré Sarah al-Sharif, une enfant palestinienne de 9 ans originaire de la ville de Gaza, au journal The Guardian.
Son école et sa maison ont été détruites. « L’armée israélienne l’a encerclée, a attaqué les personnes qui s’y étaient réfugiées et l’a complètement détruite. Ma maison a également été bombardée. Tous ces endroits ne sont plus que des cendres aujourd’hui. »
Elle pleure l’enfance qu’elle a perdue. « J’aimais les calculs, les sciences et la poésie, mais mon esprit est constamment fatigué et j’ai du mal à me concentrer. Parfois, je regarde mes anciens livres d’école et je trace les lettres que j’ai écrites il y a longtemps. Aujourd’hui, les gens utilisent les livres pour allumer des feux afin de cuisiner et de se réchauffer. »
Il est difficile d’étudier en ligne. « J’essaie d’étudier en ligne lorsque l’électricité et Internet fonctionnent, mais c’est presque impossible. »
La normalité, une option impossible
Sarah aspire à la normalité. « Je regrette de ne plus me sentir normale. Je regrette d’avoir été une enfant et une élève. Je suis trop jeune pour être une survivante du génocide ; si je meurs, ce n’est pas ainsi que je veux qu’on se souvienne de moi. Je veux qu’on se souvienne de moi pour mes rêves. Je voulais devenir médecin, soigner les gens et leur redonner espoir. Mais sans école, ce rêve semble impossible », a-t-elle déclaré.
« La guerre a érigé tant de murs dans mon esprit. Il y a deux mois, j’ai complètement arrêté d’étudier à cause des bombardements intensifs. J’ai l’impression que le temps s’est figé, que ce qui reste de mon enfance m’est volé », se lamente Sarah.
Elle lance un appel au monde entier : « J’aimerais que le monde nous voie, nous, les enfants de Gaza, non pas comme des chiffres dans les journaux, mais comme des enfants qui veulent simplement apprendre, jouer et vivre. Nous méritons de rêver comme tous les autres enfants. Un poète palestinien a dit un jour : ‘Nous sommes un peuple qui aime la vie autant qu’il le peut.’ J’aimerais simplement que la vie nous aime en retour. »
« J’ai vu le corps de mon ami Ezzo gisant dans la rue »
Ismail, un enfant palestinien de sept ans qui vit aujourd’hui en Égypte, garde un souvenir ému de sa maternelle à Gaza. « Je me souviens encore de ma maternelle à Gaza, avec ses murs lumineux et colorés, ses caisses de jouets et son coin lecture rempli de livres. Ma maîtresse était très gentille et m’aidait toujours quand je ne comprenais pas quelque chose. J’adorais y aller tous les jours parce que je pouvais jouer et apprendre avec mes amis. »
La guerre a tout changé. « Puis la guerre a éclaté et l’école a fermé. Les bruits des explosions remplissaient l’air. Notre maison à al-Maghazi a été bombardée et nous avons dû fuir. Mes parents ont tout laissé derrière eux : nos jouets, nos vêtements, même mes crayons de couleur préférés. Pendant que nous courions, j’ai vu le corps de mon ami Ezzo gisant dans la rue. Il avait quelques années de moins que moi. »
La vie restait instable. « Maman a dit que nous allions déménager à Deir al-Balah pour être en sécurité, mais là-bas non plus, le ciel n’était jamais calme. Sans école, je n’avais plus rien à faire. Peu à peu, j’ai commencé à oublier des choses : des mots, des chiffres, même comment écrire correctement mon nom. Cela me rendait triste et furieux. Mes amis, mon professeur et l’apprentissage de nouvelles choses me manquaient. »
Finalement, sa famille a été contrainte de se rendre en Égypte. « Lorsque nous avons enfin trouvé un endroit où nous installer, la vie semblait plus sûre, mais pas plus facile. Nous sommes en Égypte depuis plus d’un an, mais je n’ai toujours pas pu retourner à l’école. Ma sœur Sarah est maintenant assez grande, mais même elle ne peut pas y aller. »
Malgré la situation tragique qui persiste à tous les niveaux, l’UNRWA a annoncé qu’environ 300 000 élèves palestiniens reprendraient les cours samedi à Gaza, bien que le blocus imposé par « Israël » continue d’empêcher l’entrée dans l’enclave de centaines de millions de dollars d’aide humanitaire.
Dans des déclarations télévisées publiées sur X, Adnan Abu Hasna, conseiller médiatique de l’UNRWA, a écrit que l’agence avait « mis en place des plans pour reprendre le processus éducatif pour 300 000 étudiants palestiniens de l’UNRWA et que ce nombre était susceptible d’augmenter ».
Il a déclaré qu’environ 10 000 élèves assisteront à des cours en présentiel dans les écoles et les refuges, tandis que la grande majorité recevra un enseignement à distance, car « il est absolument impossible de passer deux ans supplémentaires [en plus du Covid] sans scolarité. »
Abu Hasna a déclaré que 8000 enseignants participeront au programme.
Les chiffres reflètent une réalité sinistre
Selon les données du ministère palestinien de l’Éducation, au 16 septembre, « Israël » avait détruit 172 écoles publiques, bombardé ou endommagé 118 autres et frappé plus de 100 écoles gérées par l’UNRWA. Le ministère a déclaré que 17 711 élèves avaient été tués à Gaza depuis le début du génocide et 25 897 blessés. Il a également signalé la mort de 763 employés du secteur de l’éducation et 3189 blessés.
« Nous avons également un plan dans le secteur de la santé pour revitaliser 22 cliniques centrales dans la bande de Gaza », a-t-il déclaré. « Nous disposons de dizaines de points de distribution alimentaire et de milliers d’employés ayant une grande expérience logistique. »
Abbu Hasna a ajouté que l’UNRWA avait déjà acheté pour plusieurs centaines de millions de dollars de fournitures qui restent bloquées à l’extérieur de Gaza.
Auteur : Al-Mayadeen
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20 octobre 2025 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine
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