
5 juillet 2025 - Un enfant pleure sur le corps de son père à l'hôpital Al-Nasser de Khan Yunis, tué par les forces israéliennes qui visaient un groupe cherchant de l'aide humanitaire dans la région d'Al Shakoush, à Rafah. Dix corps de Palestiniens, ainsi que des dizaines de blessés, sont arrivés à l'hôpital Al-Nasser après l'attaque. Israël n'a autorisé qu'une seule organisation internationale à distribuer de l'aide : le Fonds humanitaire pour Gaza (GHF), soutenu par Israël et les États-Unis. Le GHF n'opère que dans quelques sites de distribution d'aide militarisés, où des centaines de Palestiniens ont été tués et des milliers d'autres blessés. Ces sites ont été qualifiés de « pièges mortels » par les organisations internationales de défense des droits humains et l'ONU - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Israël tue les enfants jusque dans leurs rêves : des enfants ont survécu à la mort… mais elle continue de les visiter chaque nuit dans leur sommeil.
« Je vois le soldat dans mon sommeil pointer son fusil vers moi. Je vois la lumière de son laser se promener sur ma poitrine, ma tête, mes yeux… Puis j’imagine qu’il appuie sur la détente. Je sens la soldate écraser ses cigarettes sur mon dos. Je vois leurs chiens policiers me fixer, prêts à me sauter dessus. Je les vois souvent. J’entends leurs menaces comme si elles viennent tout juste d’être prononcées. Je me réveille terrifié, incapable de me rendormir. »
C’est avec ces mots que Mohammed Yassine, 12 ans, originaire du nord de la bande de Gaza, décrit les cauchemars qui le hantent chaque nuit, depuis qu’il a vécu une expérience traumatisante de détention et de torture aux mains des forces d’occupation israéliennes — une expérience qui a également touché des membres de sa famille.
Mohammed a été détenu pendant plusieurs semaines dans un camp de prisonniers près de la frontière, où il a subi de sévères tortures et des conditions de détention terribles et insupportables. Il en a été profondément marqué. Un traumatisme psychologique dont il souffre encore aujourd’hui, même après sa libération.
Les principales manifestations révélant la profondeur du traumatisme psychologique dont souffre Mohammed sont les cauchemars récurrents qui le hantent chaque nuit, lui ramenant en mémoire les images des moments douloureux qu’il a vécus. Parfois, dans ses rêves, il voit les soldats mettre leurs menaces à exécution, et il se réveille alors horrifié, convaincu qu’il est mort.
Ce que traverse Mohammed est vécu par des milliers d’enfants à Gaza. Ceux qui, épuisés par la dureté du jour — à chercher de l’eau, de la nourriture dans les centres de distribution, ou à courir après du pain et d’autres tâches harassantes — ne trouvent aucun répit la nuit.
Lorsque l’obscurité s’installe, le film de la guerre sanglante ressurgit, avec toutes ses scènes de massacres et de tragédies que les habitants de Gaza, de tous âges, ont vécu et revivent encore et encore.
Dans une étude menée par l’organisation Save the Children sur les enfants de Gaza, il est révélé que plus de 79 % d’entre eux souffrent de cauchemars chroniques, et environ 91 % sont diagnostiqués avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT).

12 août 2025 – Enfants de la bande de Gaza, sur les lieux mêmes d’un bombardement israélien – Photo : Mohamed Al-Naami
L’étude a indiqué que 96 % des enfants ressentent que leur mort est imminente, et près de la moitié d’entre eux souhaitent la mort en raison des traumatismes psychologiques continus qu’ils vivent. De plus, 79 % d’entre eux souffrent de cauchemars persistants qui perturbent leur sommeil et leur stabilité.
L’organisation a enregistré des troubles psychologiques graves chez les enfants, y compris des comportements d’automutilation et des idées suicidaires, et a confirmé que plus de la moitié des parents ont signalé que leurs enfants manifestent des tendances violentes envers eux-mêmes ou des pensées dangereuses inappropriées pour leur âge.
Quant à l’UNICEF, elle a révélé que chaque enfant à Gaza a besoin d’un soutien psychologique et social urgent, une réalité sans précédent dans l’histoire de l’organisation.
Des responsables considèrent qu’il ne s’agit pas simplement d’un trouble de stress post-traumatique, mais d’un traumatisme continu et incessant. L’un d’eux a déclaré : « Nous ne l’appelons pas TSPT parce que les traumatismes ne sont pas terminés, ils continuent de se produire quotidiennement. »
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La nuit est devenue pour la plupart des enfants de Gaza un nouveau chapitre de souffrance, envahi par des cauchemars douloureux qui reflètent l’ampleur de la détérioration psychologique causée par les événements sanglants et les massacres dévastateurs qu’ils ont vécus durant la guerre.
Cette souffrance se traduit par des symptômes physiques et psychologiques évidents : énurésie, terreurs nocturnes, perte de la capacité à parler, apparition précoce de cheveux blancs, retrait social, ainsi que des signes de dépression voire des pensées suicidaires.
Sirine Yassine, l’épouse de l’oncle de l’enfant Mohammed et sa tutrice pendant le déplacement forcé, raconte que ce que Mohammed a vécu pendant sa détention l’a détruit psychologiquement, a ébranlé sa confiance en lui et l’empêche de dormir normalement, au point qu’il a désormais peur rien qu’à l’idée d’aller dormir.
Elle ajoute : « Pendant son sommeil, on l’entend murmurer des mots, certains sont clairs, d’autres sont confus : Ce n’est pas moi… Laissez ma famille… Ne me tirez pas dessus… Il fait froid… Laissez mon frère. »
Parfois, sa voix s’élève au point de réveiller les autres déplacés qui dorment à côté de nous dans l’école où nous sommes hébergés.
Elle décrit les mouvements brutaux de son corps durant son sommeil, traduisant l’intensité de la violence qu’il subit dans ses cauchemars, en prolongement direct de la torture qu’il a vécue pendant sa détention.
Elle poursuit : « Mohammed se réveille souvent, et il se sent gêné en réalisant qu’il a dérangé ceux qui l’entourent. Alors il quitte la salle de classe et passe des heures seul dans la cour de l’école. Le manque de sommeil et les cauchemars répétés ont clairement détérioré sa santé, affaibli son système immunitaire, provoqué des maladies à répétition, et une forme de léthargie s’est installée chez lui. »
Quant à la fillette Salwa Al-Qaedh, âgée de 9 ans, ses nuits ne passent pas sans qu’elle revive les détails du bombardement de la maison de sa famille par les forces d’occupation, dans le quartier de Zaytoun, à l’Est de Gaza, durant les premiers mois de la guerre d’agression. Les souvenirs de cette nuit de carnage continuent de la hanter sans répit.
Sa mère, Souad Al-Qaedh, affirme que la détresse psychologique de sa fille dépasse ce que peuvent endurer même les adultes. Elle a un besoin urgent de soins. Dans ses rêves, elle voit le sang de son père, de ses oncles et de ceux qui étaient à la maison avec elle, ainsi que leurs restes déchiquetés. Elle a l’impression de marcher sur les martyrs et les blessés, terrifiée et affolée, alors qu’elle tente de fuir.
Elle ajoute : « Bien que le massacre remonte à un an et huit mois, ses séquelles pèsent toujours sur Salwa comme si cela s’était produit la veille. Chaque nuit marquée par des bombardements ou des massacres dans les camps environnants ravive en elle ces souvenirs et cauchemars. Durant la trêve qui s’est étendue de janvier à mars 2025, les cauchemars s’étaient quelque peu atténués, mais avec la reprise des hostilités et les déplacements forcés, son état psychologique s’est détérioré davantage. »
Elle poursuit : « Le soir, je raconte à ma fille des histoires empreintes d’espoir, avant qu’elle ne s’endorme, veillant soigneusement à ne jamais évoquer la figure paternelle, de crainte de raviver son sentiment de manque et de la replonger dans ce maelström. Pourtant, malgré toutes ces précautions, les cauchemars persistent, et sa détresse ne fait que s’aggraver. Une nuit, elle s’est réveillée en sursaut, en larmes, fixant sa main, convaincue qu’elle était couverte de sang. Elle s’est alors précipitée pour la laver, espérant effacer ce qu’elle croyait encore présent sur sa peau. »
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De même, la jeune Dina Al-Sayyed Jad, âgée de 17 ans, a survécu à un massacre dans le quartier d’Al-Shujaiya. Témoin directe d’une tragédie lui ayant infligé une profonde souffrance psychologique, elle fut ensevelie sous les décombres lorsque sa maison s’effondra, après le bombardement de la maison mitoyenne par les forces d’occupation.
Incapable de bouger et privée d’oxygène, elle crut sa fin imminente. Bien qu’extraite vivante, elle ne s’est jamais remise de la douleur psychologique qui l’habite depuis cette nuit fatidique.
Dina raconte : « Je n’ai jamais réussi à tourner la page de cet instant. L’heure que j’ai passée sous les décombres m’a semblé une éternité. Tout baignait dans une obscurité profonde, mon sang s’écoulait, et chaque respiration devenait de plus en plus difficile. Mon seul souci était le sort de ma famille. Les moindres détails de cette nuit me hantent encore aujourd’hui. »
Dans son récit, Dina nous confie : « J’étais coincée sous les décombres, suffocant, saignant, criant de toutes mes forces pour appeler à l’aide, jusqu’à l’arrivée des équipes de la défense civile. Nous avons tous survécu en tant que famille, bien que certains aient été gravement blessés. Mais je ne suis plus la même, surtout lorsque la nuit tombe. »
Dina revit cette scène dans ses cauchemars récurrents et explique : « J’ai fait plusieurs fois le même rêve ; je crie dans mon sommeil comme j’ai crié sous les décombres, je ressens cette même oppression respiratoire, puis je me réveille terrifiée et réalise que ce n’est qu’un cauchemar… mais il revient souvent. »
Dina précise que sa souffrance psychologique ne concerne pas uniquement sa personne : « Toute la famille endure cette douleur ; certains en parlent ouvertement, tandis que d’autres la gardent pour eux, feignant la force. Cependant, il est important de souligner que l’expression de la souffrance psychologique ne diminue en rien la personne concernée. Au contraire, elle constitue une réaction normale face aux expériences vécues : bombardements, peur, blessures, faim et déplacements forcés. Nous avons tous frôlé la mort, et les répercussions psychologiques ne se limitent pas aux cauchemars. Elles se manifestent sous diverses formes et provoquent fréquemment des réactions émotionnelles souvent incomprises ou jugées injustifiées. »

12 août 2025 – Enfant de la bande de Gaza – Photo : Mohamed Al-Naami
Absence de prise en charge psychologique
Malgré l’ampleur des traumatismes psychologiques vécus par les enfants de Gaza, ils sont confrontés à une carence catastrophique en termes de services de soins psychologiques, ce qui aggrave leur condition et transforme leur souffrance en maladies chroniques.
De son côté, la docteure Najwa Massoud qualifie l’état psychologique des habitants de la bande de Gaza — et plus particulièrement des enfants — de « profondément tragique », précisant que cet état est susceptible de perdurer sur de longues périodes.
Dans son témoignage, elle explique : « Chaque jour, notre unité médicale, située au centre de la bande de Gaza, reçoit des dizaines d’enfants accompagnés de leurs proches, se plaignant d’incapacité à dormir en raison de cauchemars, ou souffrant de reviviscences répétées des événements sanglants avant le sommeil. En dépit de l’absence de psychiatres spécialisés, nous nous employons à leur apporter toute l’aide possible et tentons de les apaiser par le dialogue, bien que souvent les mots s’avèrent insuffisants. C’est pourquoi les familles en viennent à solliciter des somnifères ou des sédatifs pour leurs enfants, uniquement pour leur permettre de trouver le sommeil. »
La docteure explique que cela ne constitue pas une solution véritable, mais plutôt un danger pour les enfants.
Elle ajoute : « La psychiatrie infantile repose sur des approches thérapeutiques fondées sur un environnement sûr et apaisant, ce qui est impossible à assurer dans un contexte de bombardements incessants, de peur et d’insécurité. Aucune institution spécialisée en psychiatrie infantile n’existe dans la bande de Gaza. Les structures actuellement disponibles sont des institutions communautaires qui ne couvrent même pas 5 % des besoins réels. »
La docteure Massoud décrit les cas qu’elle observe quotidiennement : « Certains enfants présentent un état de dissociation mentale, d’autres sont incapables de se concentrer. Plusieurs souffrent de symptômes de traumatismes psychologiques sévères liés aux attaques, tels qu’une peur intense généralisée, une aphasie, ou encore des troubles moteurs consécutifs à ces traumatismes. »
Elle souligne également « qu’un grand nombre de cas ne parviennent pas aux unités médicales, notamment les enfants ayant recours à la violence, ceux qui s’enferment dans le mutisme, ou encore ceux qui éprouvent une peur de s’exprimer et souffrent de bégaiement, ainsi que d’autres troubles révélateurs de l’ampleur des souffrances endurées par ces générations. »
Cependant, la crise psychologique à Gaza ne se limite pas aux enfants ; elle affecte toutes les catégories de la société, sans exception. Elle précise : « Même les hommes souffrent, mais ils perçoivent l’admission d’une souffrance psychologique comme une honte, ce qui les pousse à la dissimuler jusqu’à ce qu’elle s’aggrave, menant parfois à une rupture psychologique. »
Elle ajoute : « Depuis le début de la guerre, l’occupation a empêché l’entrée de nombreux médicaments, y compris des traitements essentiels pour les patients souffrant de troubles psychiques, dont certains avaient réussi à se rétablir et à se réintégrer normalement dans la société. Suite à l’interruption de ces traitements, leurs souffrances ont repris, entraînant une détérioration significative de leur état. Par ailleurs, l’occupation a interdit l’entrée de médicaments antidépresseurs, aggravant ainsi la souffrance de milliers de patients. »
Elle affirme : « Tout cela se fait de manière méthodique et réfléchie, » et appelle à une intervention urgente aux plus hauts niveaux pour sauver ce qui peut être sauvé.
Elle conclut par un appel : « Nous avons besoin d’hôpitaux de campagne spécialisés en psychiatrie, ainsi que d’équipes médicales internationales capables de prendre en charge des centaines de milliers de cas. Nous avons besoin d’infrastructures, de médicaments, et, par-dessus tout, que la guerre cesse afin que le processus de guérison puisse commencer. »
Auteur : Mohammad al-Naami
* Mohammad al-Naami est un journaliste originaire de Gaza.
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