
Les familles des victimes pleurent ceux qui ont été tués alors qu'ils attendaient l'aide humanitaire dans les zones de distribution de l'aide américaine dans le quartier de Morag, à Rafah. En plus, six Palestiniens ont été pris pour cible dans une tente abritant des personnes déplacées dans le quartier de Mawasi, à Khan Yunis. L'ONU et d'autres organisations ont critiqué les centres de distribution d'aide humanitaire gérés par les États-Unis et Israël, les accusant de mettre en danger les Palestiniens qui cherchent de l'aide et d'être en contradiction avec les principes humanitaires, ce qui entraîne une augmentation des meurtres et de la famine - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Josep Borrell
Le silence de l’Europe a permis au génocide des Palestiniens de se poursuivre sans contrôle, sapant ainsi tout ce qu’elle défend.
Note de la rédaction : la prise de position de Josep Borell sur le génocide à Gaza, son appel à des sanctions contre l’état israélien et sa dénonciation des responsabilités européennes, sont louables, mais hélas bien tardives. Elles auraient été bien plus efficaces au moment où il était encore en fonction… Ceci dit, son opinion doit être relevée, car parmi tous ces « institutionnels » qui pratiquent la complicité passive ou active, certains font le choix après avoir quitté leurs fonctions, de libérer leur parole. Et l’on imagine alors la force des pressions exercés sur eux lorsqu’ils sont en responsabilité. En conclusion, c’est tout notre système de représentation politique qui doit être profondément révisé…
Si elles survivent aux attaques de Donald Trump, les cours internationales ne rendront pas leur verdict final avant plusieurs années. Mais pour tous ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir, il ne fait guère de doute que le gouvernement israélien commet un génocide à Gaza, massacrant et affamant les civils après avoir systématiquement détruit toutes les infrastructures du territoire. Pendant ce temps, les colons et l’armée israélienne se rendent chaque jour coupables de violations graves, massives et répétées du droit international et du droit international humanitaire en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Ceux qui ne font rien pour mettre fin à ce génocide et ces violations du droit international, bien qu’ils en aient les moyens, s’en rendent complices. C’est malheureusement le cas des dirigeants de l’Union européenne et de ceux de ses états membres, qui refusent de sanctionner Israël même si l’UE en a l’obligation légale.
L’UE dispose de nombreux leviers qu’elle peut actionner pour exercer une influence significative sur le gouvernement israélien. L’UE est le plus gros partenaire commercial d’Israël et son principal partenaire dans le domaine de l’investissement et des échanges entre individus. Elle est aussi l’un de ses principaux fournisseurs d’armes.
L’Accord d’Association UE-Israël, conclu en 2000 après les Accords d’Oslo, est le plus favorable de tous les accords conclus par l’Union avec des pays tiers. En plus de l’absence de droits de douane sur ses exportations de produits et services et l’exemption de visa d’entrée pour ses citoyens, l’accord donne à Israël accès à plusieurs financements européens majeurs et à des programmes d’échange, tels que Horizon et Erasmus.
Toutefois, l’article 2 de cet accord le conditionne au respect par Israël du droit international et des droits humains fondamentaux. Décider ou non de le suspendre n’est donc pas un choix que l’UE peut faire comme bon lui semble. Puisque les ministres des affaires étrangères de l’UE ont constaté qu’Israël ne respectait pas ces droits, les dirigeants de l’UE ont maintenant l’obligation légale de suspendre l’accord. Ne pas le faire serait également une grave violation de l’accord d’association avec Israël.
Toutefois, malgré tous mes efforts en ce sens lorsque que j’étais haut représentant de l’UE, et en dépit de la détérioration dramatique de la situation humanitaire à Gaza l’accroissement des violations du droit international en Cisjordanie au cours des derniers mois, l’UE et la plupart des gouvernements de l’UE n’ont jusqu’à présent utilisé aucun des leviers à leur disposition pour faire pression sur le gouvernement israélien.
Par conséquent, confrontée à l’intransigeance du gouvernement de Benjamin Netanyahu, l’UE est depuis plus d’un an et demi incapable d’affirmer ses engagements en matière de droits humains fondamentaux, de défense du droit international et du multilatéralisme, ou encore d’affirmer sa position de longue date en faveur de la solution à deux états. Son inaction a déjà considérablement dégradé son statut géopolitique, non seulement dans le monde musulman mais à l’échelle du globe.
Le contraste frappant entre la réaction ferme des autorités européennes à l’agression russe de l’Ukraine et leur passivité confrontées à la guerre à Gaza a été largement exploité par la propagande de Vladimir Poutine contre l’UE. Et avec succès, comme nous pouvons le voir notamment au Sahel. Ce deux poids-deux mesures européen a aussi fortement affaibli le soutien à l’Ukraine dans de nombreux pays en voie de développement.
En persistant à ne pas suspendre l’accord d’association malgré sa violation évidente par Israël, en ne bloquant pas les livraisons d’armes à ce pays malgré les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis à Gaza, en n’interdisant pas les importations en provenance des colonies illégales en dépit des décisions de la Cour internationale de justice à cet effet, en ne sanctionnant pas les ministres israéliens et les dirigeants politiques qui font des déclarations génocidaires, en n’interdisant pas à Benjamin Netanyhou de traverser l’espace aérien européen malgré les mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, et en ne soutenant pas les juges de la Cour et les représentants de l’ONU sanctionnés par les États Unis, l’UE et ses états membres se discréditent aux yeux du monde et sapant le droit international et l’ordre multilatéral qu’ils sont supposés défendre . Alors qu’elle est attaquée par Poutine à l’Est et Trump à l’Ouest, l’UE accentue ainsi son isolement en se coupant du reste du monde.
Les dirigeants de l’UE et de ses états membres devront probablement devoir rendre des comptes à l’avenir pour leur complicité dans les crimes contre l’humanité commis par le gouvernement de Netanyahu. Et, avec le recul, les Européens porteront sans aucun doute un jugement sévère sur leur cécité à l’égard du génocide en cours.
Toutefois, il est maintenant urgent de limiter les dégâts. L’UE doit décider de prendre des sanctions contre Israël sans plus tarder. C’est là le seul discours susceptible d’amener les dirigeants israéliens d’arrêter de commettre des crimes contre l’humanité.
Auteur : Josep Borrell
• Josep Borrell a été haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de 2019 à 2024. Il est président du Centre de Barcelone pour les affaires internationales (CIDOB).
01 août 2025 – The Guardian – Traduction: Chronique de Palestine – MJB
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