
La petite Laila Anwar al-Ghandour, âgée de 8 mois et tuée par l'armée d'occupation, est pleurée par les siens - Photo : ActiveStills/Mohammed Zaanoun
Par Maram
Tous ceux que j’aimais sont morts en martyrs. Mais je suis là pour vous, mon fils, mon père, mon frère, mon mari. Et pour Gaza.
Je m’appelle Maram, je viens de Gaza. Je suis née dans une ville qui n’a jamais connu la paix. J’ai grandi au son des bombardements et des murs qui s’effondraient, dans des quartiers où l’odeur de la poudre était plus forte que celle du pain.
J’ai été habituée à la peur dès mon enfance et j’ai appris à sourire même lorsque tout s’écroulait autour de moi.
Mais ce qui a commencé après le 7 octobre ne ressemblait à rien de ce que j’avais connu auparavant. Ce n’était pas seulement une guerre, c’était autre chose, quelque chose de plus profond, de plus dur, qui transperçait l’âme et effaçait le visage de la vie.
Au début de la guerre, j’ai perdu mon fils. Mon petit garçon. Celui que je voyais grandir accroché à ma robe. Il avait de grands yeux curieux qui ne cessaient de poser des questions, même quand il n’y avait pas de réponses.
Il m’avait dit un jour qu’il voulait construire des maisons plus solides que celles que nous avions perdues.
Il a disparu en un instant. Il n’y a pas eu d’adieu, je n’ai pas pu l’embrasser une dernière fois. Je l’ai cherché sous les décombres, j’ai crié son nom, j’ai serré ce qui restait de sa chemise, me convainquant qu’il n’était que blessé.
Mais la vérité, quand je l’ai découverte, était dévastatrice, aussi froide que le missile qui avait mis fin à son existence. À partir de ce moment, ma voix a changé pour toujours, comme si mon cri avait arraché quelque chose au plus profond de moi, pour ne plus jamais revenir.
Quelques jours plus tard, j’ai appris que mon père était mort en martyr. Il avait toujours été le dernier rempart derrière lequel je me cachais, même de ma propre douleur.

C’était un charpentier aux mains rugueuses et au cœur tendre : ses doigts savaient façonner le bois et caresser la tête d’un enfant avec le même soin. Il croyait que la dignité était la seule richesse qui valait la peine d’être conservée.
Sa mort n’était pas inattendue – la mort n’est jamais étrangère à Gaza – mais je ne pouvais imaginer ma vie sans lui. Je me tournais vers lui à chaque moment de faiblesse, pleurant silencieusement en sa présence, et son silence seul suffisait à apaiser mon cœur.
Quand il est parti, aucune larme n’est venue. Je me sentais comme si j’étais devenue de pierre à l’intérieur.
Puis j’ai perdu mon frère. C’était le plus drôle de la famille, il transformait les sirènes en blagues et les nuits froides en chansons autour d’un feu de camp.
Il voulait devenir enseignant, changer les mentalités même s’il ne pouvait pas changer le monde. Nous avons grandi ensemble sous le siège, partageant le pain, la peur et les rires.
Il me disait toujours : « Je suis toujours là avec toi, n’aie pas peur. » Mais lui aussi est parti. Je n’ai pas crié, je n’ai pas pleuré, je n’ai rien ressenti. La perte est devenue familière, un schéma qui se répète sans fin.
Et enfin, mon mari, l’homme qui acceptait ma peur et me réconfortait d’un simple regard. Il avait perdu tout ce qu’il avait construit : notre maison, brique par brique, les économies qu’il avait mises de côté pour l’avenir de nos enfants, même le petit carnet de rêves qu’il gardait caché dans son tiroir.
Il avait une voix qui pouvait calmer les tempêtes et des mains qui étaient toujours chaudes, même dans les abris les plus froids. Il rêvait d’ouvrir une boulangerie et de donner à chaque pain le nom d’un membre de la famille.
Puis, l’endroit où nous nous étions réfugiés a été pris pour cible, et il a été parmi les victimes. Je me souviens de ses derniers mots : « Nous survivrons… nous vivrons. » Je voulais le croire, mais quelque chose en moi savait déjà. Il a laissé derrière lui un vide que personne ne peut combler.
Je suis toujours là. Je respire, oui – mais je ne vis plus comme avant. Tous ceux que j’aimais sont devenus des martyrs. Et pourtant, je ne suis pas devenue une ombre. Je suis toujours une mère, une fille, une sœur, une épouse.
Je n’ai pas survécu parce que je suis la plus forte, mais parce que leur histoire doit être racontée. Je porte leurs noms dans mon cœur et je marche avec eux à chaque pas. Je suis devenue leur voix, le souvenir de leurs visages, un amour qui n’a pas pris fin avec leur départ.
J’ai appris que la force ne signifie pas ne pas pleurer, mais continuer, même à travers les larmes. Cuisiner des plats que personne ne mange, laver des vêtements que personne ne porte. Et me dire : « Je suis toujours là ».
Je suis là pour vous, mon fils, mon père, mon frère, mon mari. Et pour Gaza.
Je m’appelle Maram, je viens de Gaza. À partir des cendres et des décombres, j’essaie de créer de la lumière. Avec mes larmes, je plante les graines d’un nouvel espoir.
J’apprends aux enfants à aimer, à rêver, à persévérer, même dans les moments les plus difficiles.
On pourrait croire que j’ai tout perdu, mais je n’ai pas perdu mon humanité. Je continue de croire qu’après chaque nuit, un nouveau matin se lève. Et dans mon cœur, aussi brisé soit-il, il y a encore de la place pour la vie et pour un avenir meilleur.
Je suis celle qui reste pour raconter votre histoire.
Auteur : Maram
* Maram est étudiante en ingénierie des systèmes informatiques à l'université Al-Azhar de Gaza, où elle devrait obtenir son diplôme en 2025. Passionnée par la technologie, la programmation et la résolution de problèmes, elle possède des compétences en programmation et en développement web. Elle est impatiente d'acquérir une expérience pratique dans le développement de logiciels et la conception de systèmes. De langue maternelle arabe, elle maîtrise bien l'anglais à l'écrit et à l'oral, aime apprendre de nouveaux langages de programmation et travailler sur des projets techniques innovants. Elle s'intéresse également beaucoup à l'écriture. Le nom de famille de Maram n'est pas divulgué pour des raisons de sécurité.
30 mai 2025 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – YG
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