Le Liban à nouveau pris pour cible

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Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, mouvement de la résistance libanaise - Photo : Archives Info-Palestine.eu
Abdel Bari AtwanAlors que Trump s’acharne contre l’Iran, les Saoudiens s’en prennent au Hezbollah.

Il apparaît clairement qu’un nouveau chapitre de la vendetta de Arabie saoudite contre l’Iran est sur le point de s’étendre au Liban et qu’il prendra de nombreuses formes, impliquant les sphères politiques, économiques et médiatiques.

Cela a été rendu évident par les récents échanges verbaux entre Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah et de la résistance libanaise, et Tamer as-Sabhan, ministre d’État saoudien et actuellement premier porte-parole du royaume. Cela a été encore souligné par la convocation précipitée à Riyad de Saad al-Hariri, premier ministre libanais et principal obligé de l’Arabie Saoudite dans le pays.

Sabhan, qui connaît bien le Liban puisqu’il a travaillé à l’ambassade de son pays à Beyrouth, a commencé par formuler une série d’accusations virulentes à l’égard du Hezbollah sur son compte Twitter, puis les a répétées dans une interview à la chaîne de télévision MBC, affiliée au parti anti-Hezbollah des Forces libanaises. Employant un langage nettement outrancier, le ministre saoudien a fulminé contre le Hezbollah, le traitant de «parti du diable» et de «milice terroriste», exigeant qu’il soit réduit à la portion congrue tant au Liban qu’au niveau régional, et l’accusant de faire la guerre à l’Arabie saoudite sur la demande de l’Iran.

Et ce qui est plus significatif, il a averti à plusieurs reprises que si les ministres du Hezbollah n’étaient pas exclus du gouvernement multipartite libanais, le pays dans son ensemble paierait un lourd tribut et quiconque coopérerait avec le Hezbollah – politiquement, économiquement ou dans les médias – serait puni.

C’est au milieu de cette avalanche de menaces que Hariri fut sommé de se rendre à Riyad. Le premier ministre n’a pas perdu de temps à obéir aux ordres. Il a annulé tous ses engagements et a pris l’avion, comme s’il était un employé du gouvernement saoudien, comme l’ont remarqué certains journalistes libanais qui considéraient son comportement comme dégradant, non seulement pour lui mais aussi pour tout le pays.

Deux questions incontournables se posent ici : d’abord, qu’est-ce qui a provoqué cette soudaine escalade saoudienne contre le Hezbollah, avec une telle férocité verbale, à ce moment précis ? Deuxièmement, quelles mesures l’Arabie saoudite peut-elle prendre contre le parti au Liban, et cela pourrait-il se transformer en confrontation militaire ?

En réponse à la première question, on peut affirmer que cette escalade saoudienne est directement liée à l’escalade plus générale des États-Unis contre l’Iran, reflétée dans le discours du président Donald Trump au Congrès et par son refus de certifier l’accord nucléaire.

Elle est également liée aux développements au Yémen, et plus particulièrement aux récents combats sur les frontières sud du royaume avec le pays. Sabhan a fait allusion à cela quand il a tweeté: «Les milices du Hezbollah visent nos pays du Golfe sur les ordres de l’Iran … et le Liban est devenu leur captif”.

Deux ans et demi après le lancement par l’Arabie saoudite d’une guerre voulue rapide et décisive sur le pays, les combats au Yémen et dans les zones frontalières ne vont pas dans le sens voulu par Riyad… Le mouvement Houthi Ansarallah a intensifié ses attaques militaires, ainsi que des frappes de missiles sur des villes frontalières saoudiennes telles que Jizan et Najran. Ces frappes auraient atteint leurs objectifs et n’auraient pas été interceptées par les systèmes de défense antimissile Patriot de l’Arabie saoudite.

La direction saoudienne accuse le Hezbollah de former des combattants d’Ansarullah et de leur fournir des missiles de fabrication iranienne par un moyen ou un autre (malgré le blocus aérien, maritime et terrestre du Yémen, organisé par l’Arabie saoudite). De plus, le porte-parole Houti, Muhammad Abdessalam, a menacé dans une interview inédite sur la chaîne Al Jazeera de tirer des missiles sur des villes situées en Arabie saoudite et à Abou Dhabi, capitale des Émirats arabes unis, principal partenaire de l’Arabie saoudite dans la guerre du Yémen. C’est peut-être ce que voulait dire Sabhan lorsqu’il a accusé le Hezbollah de menacer les États du Golfe.

Il y a beaucoup de choses que l’Arabie Saoudite, l’allié le plus proche des États-Unis dans le monde arabe, pourrait tenter contre le Hezbollah et ses alliés. Son escalade pourrait prendre une variété de formes qui auraient des conséquences négatives – en particulier dans les domaines économique et financier – pour le Liban dans son ensemble. Et l’on ne peut exclure la possibilité d’une confrontation militaire.

Nasrallah est conscient de cela. Dans un discours samedi, il a noté que l’Arabie Saoudite n’avait pas les moyens par elle-même de se confronter au Hezbollah, ou via des mandataires libanais locaux, et ne pouvait le faire que dans le cadre d’une alliance internationale. Le responsable du Hezbollah a depuis un certain temps lancé des avertissements car il s’attend à ce qu’Israël lance un autre assaut à grande échelle contre le Liban.

Nous ne savons pas quelles instructions ont été données à Hariri quand il a rencontré le prince héritier saoudien Muhammad bin-Salman. Mais il ne serait pas surprenant d’apprendre qu’on lui a ordonné de se retirer du gouvernement ou de limoger ses ministres du Hezbollah afin de créer une nouvelle crise gouvernementale au Liban. Hariri n’aurait pas d’autre choix que d’obéir. Cela signifierait l’effondrement de l’arrangement politique durement gagné qui lui a permis de revenir au pouvoir et au général Michel Aoun d’être élu président.

Sabhan ne parlait pas sur un coup de tête, mais sur instructions venues d’en haut. Ces autorités supérieures sont étroitement liées à la Maison-Blanche et aux agences militaires et de sécurité américaines. Elles n’agissent pas et ne se positionnent pas sur des questions importantes dans la région sans se coordonner et recevoir les directives de ces agences, dans le contexte de l’alliance liant les deux pays.

Ce qui nous ramène au point où nous avons commencé. Le Liban est remis est remis sur le feu, et la chaleur va bientôt commencer à monter.

A1 * Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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2 novembre 2017 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah