Vivre libre ou mourir

Khaḍr ʿAdnān Muḥammad Mūsā, était un militant palestinien et un prisonnier en Israël qui est décédé après une grève de la faim de 87 jours pour protester contre sa détention accusation ni sans procès - Photo : via réseaux sociaux

Par Mariam Barghouti

Le monde a perdu Khader Adnan après 86 jours de grève de la faim, et la Palestine a perdu une icône. Pourtant, comme le dit la chercheuse Ashira Darwish, « la liberté signifie qu’il a quitté le corps qu’ils ont détruit ».

Le 2 mai, Khader Adnan a été retrouvé mort dans sa cellule à l’intérieur de la « clinique » de la prison de Ramleh. Il est le premier prisonnier palestinien à mourir en grève de la faim dans une prison israélienne depuis 1967.

Il est également le vétéran de sept autres grèves de la faim, qu’il a menées au cours de deux décennies, mais ce sont ses grèves de la faim les plus récentes (à partir de 2011) qui l’ont propulsé sur le devant de la scène nationale et internationale en tant que symbole du défi et de la fermeté palestiniens.

C’est presque à lui seul que l’on doit le début des vagues ultérieures de grèves de la faim palestiniennes dans les prisons israéliennes, devenant ainsi une figure centrale de ce que l’on a appelé « la bataille des estomacs vides ».

Originaire de la ville d’Arrabeh, près de Jénine, cet homme de 44 ans était marié à Randa, avec qui il a eu neuf enfants – cinq garçons et quatre filles.

L’homme qui exigeait la liberté

« La liberté signifie qu’il a quitté le corps qu’ils ont détruit », a déclaré à Mondoweiss Ashira Darwish, chercheuse et mère de famille qui a été l’une des premières personnes à accueillir Khader Adnan lorsqu’il a pu sortir de la prison d’Ofer après le succès de sa première grève de la faim de longue durée en 2011-2012.

Avant de devenir la cible des abus israéliens, Adnan a étudié l’économie à l’université de Birzeit, où il a obtenu son diplôme en 2001. Il devait retourner à l’université pour poursuivre ses études supérieures, mais il a été arrêté avant d’avoir obtenu son diplôme.

Dessin : Carlos Latuff
La première fois qu’Adnan a déclaré une grève de la faim individuelle de longue durée dans une prison israélienne, c’était en 2011-2012, et elle a duré 66 jours.

Adnan entrait tout juste dans la trentaine, et la ferveur révolutionnaire des révoltes arabes contre le totalitarisme se répandait en Palestine. La grève de la faim d’Adnan a été l’étincelle qui a marqué la résurgence du mouvement des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, attirant l’attention et la solidarité du public palestinien.

« Khader Adnan est un nom et une personnalité qui sont devenus incontournables dans notre foyer », a déclaré à Mondoweiss Dana Bulous, avocate et fille de Jawad Bulous, représentant légal d’Adnan lors de ses premières grèves de la faim.

« J’ai entendu parler de Khader Adnan pour la première fois en 2012, lorsque mon père a été désigné pour le représenter », a-t-elle déclaré à Mondoweiss au lendemain de la mort d’Adnan. « Je me souviens que mon père m’a dit qu’un détenu administratif avait entamé une grève de la faim et que je devais l’accompagner dans cette affaire dans la mesure du possible », a déclaré Mme Bulous.

À l’époque, Adnan avait été arrêté par les forces israéliennes et placé en détention administrative, une pratique qui consiste à être emprisonné sans inculpation ni procès, et pour des raisons que les services de renseignement israéliens n’ont pas besoin de divulguer au détenu ou à son avocat, puisqu’elles sont reléguées dans un « dossier secret ».

« La détention administrative est un système cruel qu’Israël utilise régulièrement contre les Palestiniens, en particulier en Cisjordanie », explique Bulous à Mondoweiss. « Dès le départ, c’est une situation impossible pour les prisonniers, leurs familles et leurs avocats. »

Ce processus, conçu et mis en œuvre par les tribunaux militaires et le système judiciaire israéliens, fonctionne séparément du cadre administratif et judiciaire civil d’Israël, et prive effectivement tout détenu de la possibilité de contester, de contredire ou même d’admettre sa culpabilité pour les crimes qui sont montés de toutes pîèces contre lui.

« J’ai vu comment mon père revenait de ses visites à Khader, plein d’admiration et d’étonnement, disant qu’en plus de 30 ans de travail avec les prisonniers, il avait rarement rencontré quelqu’un avec l’esprit et la conviction de Khader », a raconté M. Bulous.

Quand je demandais à Khader : « Comment avez-vous fait ? », se souvient Darwish, « il me répondait : « J’ai yaqeen [foi] en Dieu », faisant référence à la croyance islamique en la certitude que Dieu vous protégera.

Adnan a été arrêté 13 fois au total, ce qui lui a valu neuf ans de prison, soit près d’un quart de sa vie. Khader Adnan est devenu le témoin direct d’un nouveau mode de résistance avec deux armes dans son arsenal : les « estomacs vides » et la solidarité.

« Khader n’acceptait rien d’autre que sa liberté. Aucune pression ne pouvait l’amener à négocier pour moins que cela », a déclaré M. Bulous. « C’était la liberté ou la liberté. »

Une vie de grèves de la faim

« Lorsqu’il a mis fin à sa grève de la faim et qu’il a été libéré, Adnan est venu sur [la place al-Manara] où les jeunes manifestaient et jeûnaient en solidarité [avec d’autres grévistes de la faim et détenus] », a dit Mme Darwish, se souvenant de la première fois qu’elle a rencontré Adnan. « Il était tout simplement la personne la plus gentille qui soit. »

Tout au long de son action militante, Khader Adnan, qui était affilié au Jihad islamique palestinien (PIJ), a souvent défendu des positions unitaires, insistant sur le fait que les Palestiniens devaient rester unis face à une machine coloniale impitoyable.

Lorsqu’il était enchaîné et incapable de se joindre au mouvement dans les rues, Adnan avait recours à son corps comme outil de protestation.

« Khader est venu et s’est tenu sur cette place pour tous les autres détenus et grévistes de la faim », s’est souvenu Randa Moussa, l’épouse d’Adnan, à Mondoweiss, en référence aux innombrables fois où Adnan a protesté sur la place al-Manara, dans le centre de Ramallah.

Tout au long de ces années de défi, et après ses nombreuses batailles avec son estomac vide, l’homme de 44 ans a été surnommé le « chevalier des grèves de la faim », en témoignage de son insistance à revendiquer le dernier domaine de contrôle sur son corps.

« Les mots ne suffisent pas pour le décrire, mais nous parlons généralement de quelqu’un qui a un passé de lutte », a dit à Mondoweiss Amany Sarahneh, porte-parole de la Palestinian Prisoners Society.

La première expérience de grève de la faim de Khader Adnan a eu lieu dans les prisons de l’Autorité palestinienne (AP) à Jéricho, il y a plus de 22 ans. Adnan a témoigné avoir subi des tortures et des mauvais traitements pendant ce séjour dans les prisons de l’AP, sous l’accusation d’avoir incité d’autres personnes à jeter des pierres sur le Premier ministre français Lionel Jospin lors d’une visite à l’université de Birzeit. Cette première grève de la faim a duré dix jours.

La deuxième fois qu’il s’est privé de s’alimenter, c’était en 2004, lorsque près de 4000 détenus politiques palestiniens ont entamé une grève de la faim de 18 jours pour protester contre les abus commis dans les prisons israéliennes et réclamer des droits fondamentaux tels que des visites familiales et l’accès à du tabac, des livres et des journaux.

C’était la troisième arrestation d’Adnan par Israël, et il a passé la plus grande partie de son temps en isolement.

Sa troisième grève de la faim, et celle qui l’a fait connaître, a eu lieu en 2011-2012. Sa grève a coïncidé avec de nouvelles politiques mises en œuvre par l’administration pénitentiaire israélienne, qui privaient les prisonniers de leurs droits.

Cette fois-ci, la grève d’Adnan a été menée de façon isolée et a lancé un mouvement de grèves de la faim individuelles de détenus palestiniens protestant contre leurs conditions individuelles d’emprisonnement, en particulier en ce qui concerne leur détention administrative.

Après 66 jours de grève, Adnan a été libéré du camp de détention militaire d’Ofer, le 17 avril 2012.

Khader Adnan accueilli par sa fille à son arrivée dans sa ville natale d’Arrabeh, près de Jénine, après sa libération de la prison israélienne, le 12 juillet 2015 – Photo : Réseaux sociaux

Khader Adnan a entamé une autre longue grève de la faim en mai 2015, au cours de laquelle il a refusé de s’alimenter pendant 56 jours, après une première grève de la faim de dix jours en février de la même année, lorsqu’il a été à nouveau arrêté et placé en détention administrative pendant deux périodes consécutives de six mois.

L’accord conclu entre les services pénitentiaires israéliens et Khader Adnan prévoyait qu’il mettrait fin à sa grève de la faim si les autorités israéliennes le libéraient et s’engageaient à ne plus l’arrêter dans le cadre de la détention administrative.

Pourtant, seulement deux ans plus tard, il a été de nouveau arrêté par les forces israéliennes en décembre 2017.

Il a entamé une grève de la faim de 58 jours en 2018, à peu près au moment où la Grande Marche du retour se mobilisait à Gaza, après quoi il a été libéré.

« Au fil des ans, l’État israélien s’est de moins en moins soucié des grévistes de la faim », explique Bulous à Mondoweiss. Il a essayé de « faire saigner » leur vie jusqu’à l’extrême limite afin de ne pas céder.

Le succès d’Adnan cette année-là ne s’est pas arrêté à sa propre libération. Une vague de « batailles d’estomacs vides « a suivi parmi les détenus politiques palestiniens. Hana Shalabi, Bilal Diab, Thaer Halahleh, Hasan Safadi et Nizar Tamimi ont tous entamé des grèves de la faim qui ont duré plusieurs mois.

La plupart des grévistes de la faim ont retrouvé leur liberté, même si certains ont été déportés ou exilés dans des endroits comme Gaza et la Jordanie.

Pendant le pic de l’Intifada de l’Unité, en mai et juin 2021, Khader Adnan est à nouveau arrêté par les autorités israéliennes et placé en détention administrative. Il a entamé une grève de la faim pendant 25 jours, après quoi il a été libéré.

« Après la grève de la faim de 2021, Khader est resté trois jours aux soins intensifs », a expliqué Moussa à Mondoweiss, énumérant les opérations chirurgicales qu’Adnan a dû subir après chaque grève, ce qui a encore affaibli son corps.

Il était clair pour les autorités israéliennes qu’Adnan refuserait de négocier avec elles lorsqu’il serait enchaîné, ne serait-ce qu’un seul instant, et pourtant, le 2 mai de cette année, la vie d’Adnan lui a été arrachée. Mais son impact sur la communauté perdure au-delà de ses victoires dans les batailles des « estomacs vides ».

Au-delà des grèves de la faim : défier l’injustice où qu’elle soit

Les succès d’Adnan lors des grèves de la faim qui ont précédé, dépendaient non seulement de sa conviction et de sa volonté d’endurer la faim, mais aussi de la solidarité et des pressions extérieures venues par la rue palestinienne et la communauté internationale.

La perspective d’un bouleversement populaire ou d’un soulèvement en réponse aux violations commises à l’encontre des prisonniers palestiniens a eu un effet dissuasif sur l’administration pénitentiaire israélienne.

« Je pense que l’assassinat délibéré de Khader Adnan est une stratégie israélienne visant à réprimer davantage les Palestiniens et toute forme de résistance », a expliqué Bulous à Mondoweiss. « Que nous utilisons des moyens pacifiques ou non », a-t-elle ajouté.

Bien que Khader Adnan soit principalement connu pour sa défense des détenus politiques, sa lutte contre la répression et l’injustice n’était pas uniquement dirigée contre les gardiens de prison qui tentaient d’obtenir de lui des aveux sous la contrainte. Il s’est également opposé à la répression et à l’autoritarisme de l’Autorité palestinienne.

En février de l’année dernière, il a été la cible d’une attaque par coups de feu en voiture à Naplouse, que le défunt Adnan avait alors qualifiée de tentative d’assassinat par l’Autorité palestinienne pour l’écarter de la scène politique et publique palestinienne.

Il avait également souligné que la tentative d’assassinat de l’AP visait à éliminer les symboles palestiniens de l’opposition à l’occupation et à dissuader les Palestiniens de résister. Selon sa famille, personne n’a rendu de comptes pour la tentative d’assassinat et aucune enquête n’a été ouverte.

« Khader était un homme de communauté, il savait comment mobiliser », a dit Randa Moussa à Mondoweiss avant le décès, priant et espérant toujours que son mari s’en sortirait vivant. « Sa stratégie consistait à mobiliser le collectif. Il veillait à ce que, lorsque nous allions soutenir des détenus ou des grévistes de la faim, ou lorsque nous participions à des veillées, nous y allions tous, toute la famille. C’était un acte collectif », a-t-elle rappelé.

« En fin de compte, même s’ils l’ont tué, nous disons qu’ils peuvent penser qu’ils l’ont tué, mais en réalité son esprit ne mourra jamais », a affirmé Sarahneh, de la Palestinian Prisoners Society, à Mondoweiss.

Le corps d’Adnan a été transféré au centre « Abu Kabir », le seul institut en Israël autorisé à pratiquer des autopsies sur des corps présentant des cas de mort non naturelle.

Les autorités israéliennes ont procédé en dépit des dernières volontés écrites d’Adnan. Celui-ci ne voulait pas que son corps soit disséqué après sa mort, mais qu’il soit enterré rapidement et sans délai.

Selon ses avocats, ce retard dans l’enterrement est une nouvelle tentative de s’en prendre au symbolisme et à l’inspiration qu’Adnan a mis en graine dans sa communauté.

Lorsque le monde a perdu Khader Adnan, la Palestine a perdu une icône et un symbole, tandis que Randa et ses neuf enfants, Ma’ale, Hamza, Mohammad, Ali, Abedlrahman, Omar, Zeinab, Maryam et Bisan, se sont retrouvés sans mari et sans papa.

Quant à Khader Adnan, pour citer Ashira Darwish : « Maintenant, il est libre ».

4 mai 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine